Que valent (vraiment) les formations en management ?

25. 10. 2023

5 min.

Que valent (vraiment) les formations en management ?
autor
Paulina Jonquères d'Oriola

Journalist & Content Manager

prispievatel

Les formations en management se multiplient, tout autant que les personnes qui se réclament expertes du sujet. Or, elles coûtent cher. Mais alors que valent-elles ? Comment repérer les « red flags » et choisir la bonne ? Deux formatrices témoignent.


Alors que le monde du travail est en constante mutation et que les managers sont plus que jamais sous pression, seuls 40 % des cadres en management ont suivi une formation dédiée (enquête Cadreo, 2019). Et lorsqu’ils sont formés, le sont-ils convenablement ? Le témoignage qui va suivre suscite un certain nombre d’interrogations bien qu’il ne puisse pas représenter à lui seul la réalité. D’ailleurs, nos deux interviewées insistent : les formations en management sont essentielles, et tout n’est pas à jeter dans ce petit monde. Loin s’en faut !

Mais revenons-en au témoignage édifiant de Caroline, employée en cabinet de conseil après une première partie de carrière dans la communication. Suite à une reprise d’étude et une reconversion réussie dans le domaine des ressources humaines, elle occupe différents postes au sein de la fonction et se spécialise dans le développement des compétences et la QVCT. Elle rejoint un cabinet de conseil en qualité de consultante en 2021. C’est alors qu’elle est envoyée illico presto par son employeur dispenser des formations en management. « C’est absolument absurde, car ce n’est pas ce pourquoi j’ai été recrutée ni mon domaine de spécialité. Je ne suis pas formatrice, mon seul point de contact avec le sujet de la formation est que j’ai enseigné un an lorsque j’avais la vingtaine avant de changer de voie. Quant au management, j’ai encadré des équipes mais je ne suis pas pour autant experte du sujet », s’insurge la consultante qui est contrainte de s’exécuter en dépit de ses réticences.

« Il est dangereux de jouer aux apprentis sorciers. »

Alors, par honnêteté intellectuelle, Caroline a toujours mis un point d’honneur à rappeler aux entreprises qu’elle accompagne son statut de non-sachante. « D’autant que l’on a beau suivre une formation en management, on va toujours être confronté à une situation inédite », lance-t-elle, martelant l’importance de demeurer dans une posture d’humilité puisqu’aucun style de management ne fonctionne de manière universelle. Un point de vue partagé par la conférencière Frederique Jeske. Après avoir dirigé de nombreux organismes dont La ligue contre le cancer, elle a fondé son propre cabinet de conseil, Uskoa, à travers lequel elle dispense désormais des formations en management. « J’aime construire ces formations car je m’inspire de la vraie vie et des multiples situations que j’ai rencontrées », affirme-t-elle. Et d’ajouter : « Je n’ai jamais compris que l’on puisse dispenser ce type de formation sans avoir soi-même managé ».

Outre le manque d’expérience « terrain » de certains formateurs, nos deux interlocutrices s’inquiètent aussi de la montée en puissance des formations orientées presque exclusivement sur la psychologie ou le développement personnel, sans parler des techniques plus ésotériques. « Bien sûr, il est important qu’un manager apprenne à bien se connaître, mais cela ne suffit pas. Il faut se méfier des gourous qui n’ont pas les outils fondamentaux pour accompagner les managers », interpelle Caroline. Elle va même plus loin en nous racontant avoir elle-même assisté à des formations en management durant lesquelles le public était littéralement subjugué par le formateur, « comme s’il avait été touché par la grâce ».

Caroline s’inquiète ainsi des dérives de ces « apprentis sorciers ». Elle craint notamment l’effet domino sur les équipes, avec des conséquences possiblement désastreuses. De son point de vue, le management est avant tout une association entre la connaissance, la pratique et le savoir-être, qui, combinés à une situation professionnelle donnée, donnent lieu à une compétence.

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Une p’tite formation et puis s’en va

L’autre point qui préoccupe nos deux interviewées concerne le retour sur investissement de ces formations. Car… elles coûtent cher ! « Je me souviens avoir dû piloter un budget de formation de 300 000 euros pour un organisme public de 400 salariés, dans lequel 50 000 euros étaient alloués uniquement à une formation pour les 50 managers cadres », affirme Caroline. D’après elle, une telle dépense n’était pas justifiée au regard du contenu fourni. Elle s’étonne d’ailleurs que pour être référencées sur Qualiopi (marque de certification), les formations ne soient pas véritablement jaugées sur le fond et répondent simplement à une conformité légale. En outre, elle regrette que ces formations soient souvent jugées par les participants à chaud, quand leur impact devrait plutôt se mesurer sur la durée.

À côté de celle du coût, il y a également la question du tempo. Souvent trop rapide. De nombreuses formations s’étalent sur seulement deux jours, avec le risque de ne pas être digérées. « Personnellement, j’aime rencontrer les managers ou collaborateurs au préalable afin de mettre en place une formation sur mesure selon leurs besoins. Ensuite, nous avons un premier socle théorique, puis nous nous revoyons plus tard pour des entretiens de coaching individuel car changer de posture ne se fait pas en un jour. Enfin, j’aime mettre en place des ateliers de codéveloppement entre pairs. C’est important de travailler l’intelligence collective entre managers avant d’impulser cela au sein des équipes », expose l’experte.

Selon elle, une formation en management doit donc à la fois prodiguer les bases théoriques du management, travailler sur la posture du manager, et faciliter les échanges entre pairs.

« Le rôle d’une formation en management, c’est justement de mettre les managers dans une zone de confiance, où ils se sentent mieux armés pour guider leur équipe. »

Des cours de leadership ou de « manipulation » ?

Venons-en maintenant à l’esprit de la méthode. Il y a 20 ans, Frederique Jeske se souvient avoir elle-même suivi une formation durant laquelle on lui apprenait à mener une négociation sans transiger sur son objectif primaire. Certaines personnes qui ont suivi des formations il y a 7 ou 8 ans ont carrément employé le terme « manipulation ». Mais quid des formations aujourd’hui, à l’heure où les organigrammes s’aplatissent ? (Encore une fois, ce que nous allons exposer ne correspond bien entendu pas à tout le marché des formations, ndlr).

Au terme manipulation, on semble aujourd’hui préférer celui d’influence, même s’il s’agit toujours de mener une personne d’un point A à un point B, parfois contre son gré. Caroline — qui a suivi une formation américaine ayant pignon sur rue — se montre perplexe sur la nuance : « C’est comme si l’influence renvoyait à une forme de bienveillance, à la volonté de pousser quelqu’un à faire quelque chose qui serait bon pour lui. Mais quel est le libre-arbitre donné aux salariés ? J’ai parfois l’impression que sous couvert de pratiquer un management soit disant participatif, on endort l’esprit critique des salariés pour mieux les manipuler in fine ».

Et puis, on peut aussi s’interroger sur cette volonté de pousser les gens toujours plus loin. Alice la manageuse va être exhortée à sortir Robert de sa zone de confort, parce qu’elle a détecté en lui un potentiel inexploité. Et pour cela, Alice va elle-même être poussée dans ses retranchements en formation. « J’ai vu des gens fondre en larmes, mais je m’interroge sur cette pratique qui au demeurant est très nord-américaine et moins adaptée à notre culture », poursuit Caroline. De son côté, Frederique Jeske émet effectivement des réserves sur cette tendance : « Je crois que le rôle d’une formation en management, c’est justement de mettre les managers dans une zone de confiance, où ils se sentent mieux armés pour guider leur équipe. Actuellement, on observe que beaucoup de managers se sentent très angoissés », affirme-t-elle.

Alors comment choisir une bonne formation en management ?

Malgré leurs réserves, nos deux interlocutrices demeurent convaincues de la pertinence de certaines formations, à condition de bien les choisir. Pour cela, elles proposent quelques recommandations :

  1. S’assurer que la formation n’est pas un simple « one shot » et s’étale au minimum sur plusieurs semaines, pour que ses préceptes puissent être intégrés, mais aussi que ses effets puissent être monitorés sur la durée.
  2. Ne pas hésiter à comparer les prix et les prestations, et surtout à demander à être mis en relation avec de précédents clients.
  3. Vérifier que le formateur a déjà lui-même managé, et possède le bon socle de connaissances.
  4. Privilégier les formations qui alternent entre théorie, pratique, coaching individuel et échanges entre pairs.
  5. Éviter les formations catalogue pour se tourner vers davantage de personnalisation afin de partir des problématiques spécifiques de l’entreprise, tout en s’assurant que les outils qui vont être activés durant la formation sont cohérents avec le public ciblé.

Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ
*Le prénom de « Caroline » a été modifié.