« J’ai ressenti une injustice » : l'indélicatesse des contre-visites médicales

29. 2. 2024

7 min.

« J’ai ressenti une injustice » : l'indélicatesse des contre-visites médicales
autor
Manuel Avenel

Journaliste chez Welcome to the Jungle

prispievatel

Afin de contrôler la régularité d’un arrêt maladie, un médecin diligenté par la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) ou un employeur, peut procéder à une visite de contrôle au domicile du salarié. Le but, s’assurer que celui-ci ne se soit pas « mis en caisse » et que son arrêt est bien justifié. Une vérification nécessaire, mais parfois difficile à vivre pour les malades.

« C’était un peu comme si on avait envoyé la police faire une perquisition », Camille.

Après un accident de sport, j’ai été arrêté deux semaines, juste au début du confinement. À son terme, la douleur était toujours anormalement présente mais en raison de la situation du Covid, des examens plus poussés donnaient lieu à des mois d’attente. Quatre mois d’arrêt sous anti-douleur plus tard, j’ai été surprise par la visite impromptue d’un médecin contrôleur à mon domicile. C’était un peu comme si on avait envoyé la police faire une perquisition. J’ai d’abord cru à un canular… je me demandais « j’ouvre, j’ouvre pas ? » Il m’a ensuite présenté sa carte professionnelle et j’ai compris que c’était sérieux. C’était impressionnant parce qu’on n’est pas du tout prévenu et on n’imagine pas que ça puisse exister. J’avais mes petites béquilles, ce qui m’a valu un regard interloqué du médecin et une question : « Vous vous en servez aussi à l’intérieur ? » Il m’a ensuite demandé de marcher dans mon salon, a examiné tous mes résultats d’examens médicaux et mes ordonnances. Il a constaté ma dépendance aux béquilles pour me déplacer et a confirmé l’arrêt de travail. Soulagée, je lui ai demandé si j’avais gagné la loterie pour recevoir une telle visite, mais il m’a répondu que non, ce contrôle venait de mon employeur.

Au début, je n’ai pas été trop choquée par cette information. Il faut dire que les médicaments me plongeaient dans les vapes. Mais plus tard, lorsque j’en ai discuté avec mes proches, j’ai pris conscience que ce n’était pas normal. Quand on a été exemplaire dans sa boîte, on est un peu dégouté qu’un tel procédé soit manigancé par notre hiérarchie.

Les mois suivants ont été marqués par une série d’arrêts de travail, passant progressivement de quinze jours à trois mois, car les médecins avaient enfin posé un nom sur ma pathologie : un syndrome douloureux régional complexe (SDRC), aussi appelé algodystrophie. Pour vous faire une idée, ça fait partie du top trois des pires douleurs que le corps humain peut ressentir, jugé plus insupportable qu’un accouchement et cela peut durer jusqu’à deux ans.

Avec du recul, je me dis qu’en l’absence d’un diagnostic clair, on avait peut-être pensé que j’étais guérie entre-temps et que j’essayais d’abuser du système. Quand on ne sait pas ce que vous avez, on se dit que le genou va simplement dégonfler. Mon kiné a enfin pu adapter les soins et les exercices qu’il me faisait faire. La suite logique, ce sont des contrôles obligatoires où c’est au salarié de se déplacer à la CPAM. Ils vérifient les moindre détails… Voir comment on marche, mais aussi comment on se déplace. Est-ce qu’on est venu en taxi, en voiture, est-on capable de prendre les transports en commun ? Il y avait un petit côté flicage et je me dis qu’on devait ce régime draconien à cause du Covid et une volonté de contrôler les abus.

Côté travail, comme je m’y attendais à mon retour après deux ans, malgré mes efforts pour obtenir un mi-temps thérapeutique, j’ai finalement été mise au chômage et me suis engagée dans une reconversion professionnelle. Les contrôles médicaux réguliers imposés par mon employeur et la sécurité sociale ont généré chez moi beaucoup de frustrations. Ce n’est que grâce au soutien de mes proches que j’ai pris conscience de l’injustice de certaines pratiques.

« Son diagnostic : j’avais un problème avec mon employeur, mais pas de soucis de santé », Lucien.

Cette histoire est celle de mon extraction, ou comment j’ai quitté une entreprise qui me plombait la santé. Pour vous remettre dans le contexte, mon patron était ceinture noire de harcèlement moral, discipline qu’il exerçait envers la plupart de ses collaborateurs. Un jour, j’ai fini par me trouver dans sa ligne de mire. Tout a commencé après un arrêt maladie pour cause de Covid (à l’époque où cela nécessitait un arrêt) qui tombait au même moment que les congés de mon patron (qui n’en prend jamais). Lorsque ce dernier a appris la nouvelle à son retour, il a complètement vrillé et a commencé à me mettre des bâtons dans les roues. Enfin, il m’a littéralement retiré les roues puisqu’il a décidé de reprendre les clefs de mon véhicule de service dont j’avais besoin pour venir tous les jours au travail. Mes horaires ont été déplacés, bref ça sentait la mise au placard à plein nez. Il me mettait sur écoute quand j’appelais des clients et avait installé une caméra pile en face de mon poste de travail. Totalement illégal.

Les effets n’ont pas tardé à se faire sentir : j’étais super mal en me rendant au travail, je rentrais dans une espèce de parano avec des angoisses qui perturbaient mes nuits. Et je n’avais aucune idée de la façon dont j’allais me sortir de cette situation car je n’avais pas le temps de réfléchir. J’étais complètement pris mentalement et je pensais à chaque petit détail qui me polluait la vie au travail. Je savais que si j’arrivais en retard ça pourrait être un motif de licenciement. Je suis donc allé voir un médecin, j’ai expliqué ma situation. Je n’ai pas eu besoin d’en rajouter pour obtenir un arrêt d’un mois et demi pour anxiété au travail, qui a été renouvelé une fois.

Cet arrêt m’a permis de souffler et de faire le point afin de savoir si le problème venait de moi ou pas et de prendre de la distance. Ce qui m’a alarmé c’est que beaucoup de mes collègues ont fini en burn out ou ont quitté l’entreprise en larmes après un gros craquage. Moi, j’ai eu le réflexe de consulter un médecin. Tout s’est bien passé jusqu’à ce que deux semaines avant la fin de mon arrêt, je reçoive un courrier de la CPAM, m’intimant d’aller consulter un médecin pour un contrôle, afin de juger de la pertinence de mon arrêt. Je ne savais pas encore que c’était une dénonciation de mon patron. Je me suis déplacé jusqu’au centre et le médecin que j’ai rencontré m’a posé tout un tas de questions : si je savais pourquoi j’étais là, si je suivais un traitement médicamenteux (ce n’était pas le cas), si mon état de santé nécessitait de voir un psy. On m’a aussi demandé si le fait d’être en arrêt avait solutionné mon problème (ce qui était le cas) et finalement, si j’avais des séquelles aujourd’hui, ce à quoi j’ai répondu que non. Son diagnostic : j’avais un problème lié à ma relation avec mon employeur, mais pas de soucis de santé. Traduction, on ne pouvait rien faire pour moi car la sécu ne prenait pas cela en charge. Le médecin a tout de même accepté de laisser courir mon arrêt jusqu’à son terme, soit une semaine après la convocation. Mais on m’a prévenu que je ne pourrai plus être arrêté dans cette entreprise pour ce motif-là. Autrement, la CPAM y mettrait un terme très rapidement.

Entre-temps, j’ai acheté une voiture et je suis revenu apaisé dans l’entreprise parce que j’avais plus de problème de locomotion. Le boss savait que j’avais contacté un avocat et prévenu l’inspection du travail pour l’ensemble de son œuvre. À partir de là, il y a eu une sorte de rupture entre lui et moi. Moi je voulais rester ou négocier une rupture conventionnelle parce que j’avais bien fait mon travail pendant des années, et lui voulait me faire craquer pour que je démissionne. Dans la semaine, j’ai reçu une convocation et finalement tout s’est terminé de manière très propre.

Mon avis sur ce contrôle… Les arrêts longs qui se multiplient sont généralement provoqués par le stress et/ou de mauvaises conditions de travail. Il faudrait pouvoir aborder ces problématiques avant de penser qu’un salarié abuse d’un système.

« Ce contrôle, censé vérifier mon état de santé, m’a semblé plus être un interrogatoire visant à remettre en cause mon arrêt maladie », Françoise.

Je tiens à préciser que je suis sensible à la manière dont on traite les gens, car je suis soignante. Lorsque je suis tombée malade, je suis en quelque sorte passée de l’autre côté de la barrière. J’ai fait un AVC en post-partum qui m’a conduit à un « congé grave maladie », alloué par mon employeur. Pour l’obtenir, je suis passée devant une commission. L’avantage de ce dispositif est que l’on conserve son salaire dans sa totalité pendant un an.

Le contrôle médical que j’ai subi lors de mon arrêt a été une expérience difficile à vivre. J’ai d’abord reçu un appel téléphonique, mais je n’ai pas eu le temps de décrocher. J’ai donc rapidement rappelé, parce que ça me stressait d’avoir cet appel en absence. Dès les premiers échanges, la personne au bout du fil s’est montrée très désagréable. L’infirmière m’a moralisé d’un ton suspect : « Vous êtes en arrêt Madame, vous devez répondre au téléphone. » Elle n’ignorait pas que dans mon état, j’étais ralentie par mon handicap. Quand j’ai essayé d’expliquer ma situation, elle s’est montrée agressive, me disant que c’était elle qui menait les débats et que je ne devais pas l’interrompre. Elle voulait entendre le compte rendu des examens d’imagerie médicale que j’avais passés. Il y en avait une dizaine. Agacée, je me suis dit « attends ma cocotte, tu ne vas pas être déçue » et ma lecture a duré environ deux heures. C’était horrible.

Cet entretien est en fait une préparation à un contrôle avec un médecin de la CPAM. Bref, j’ai donc dû me déplacer au centre de la CPAM (par chance j’habite en centre ville) où je suis tombée sur une femme médecin généraliste. Elle s’est davantage mise à ma place, ce qui m’a soulagé. À la fin de l’entretien, elle m’a expliqué qu’ils suspectaient un congé parental déguisé de ma part.

Par chance, j’ai pu lui détailler mon état car je maîtrise le vocabulaire médical. Mais je suis persuadée que cela reste très difficile de devoir se justifier de sa situation pour un patient, en ajoutant le stress et la fatigue liée à la maladie. En fait, je trouve ça hyper injuste et ça peut vraiment vous laisser le sentiment d’être un imposteur. Pour ma part, les séquelles de mon AVC sont surtout cognitives, et mon handicap, comme 80% des handicaps, est invisible. Raison pour laquelle, on passe notre temps à nous justifier pour éviter la suspicion. Pour moi, ça entre dans ce discours capitaliste qui discrédite les personnes au chômage par exemple, supposant qu’elles sont chez elles à profiter du système. Pour les personnes en arrêt, il y a aussi ce fantasme. Et je crois qu’on ne se rend pas compte à quel point être en arrêt peut-être difficile ou contraignant. L’autre versant de ma pensée, c’est de dire qu’effectivement les abus, ce n’est pas quelque chose qui n’existe pas, mais ce n’est pas la majorité des cas.

À mon sens, si le système d’assurance maladie est bon, je pense que le personnel qui contrôle peut être indélicat en faisant des allusions déplacées. Ce n’est pas normal de se sentir dévalorisé alors qu’on reçoit une visite de contrôle. Pour ma part, j’ai ressenti une pression et une injustice. Lors de la convocation, l’attitude froide et presque accusatrice de l’infirmière m’a profondément déstabilisée, me sentant infantilisée. Ce contrôle, censé vérifier mon état de santé, m’a semblé relever davantage d’un interrogatoire pour remettre en question mon arrêt maladie. Cette expérience m’a fait prendre conscience de l’importance de défendre les droits des travailleurs malades et handicapés. Malgré les obstacles, je me suis battue pour faire valoir mes droits et j’ai finalement pu reprendre le travail à mi-temps thérapeutique. Mais cette expérience a laissé des traces, et je reste convaincue que le système doit être plus bienveillant et compréhensif envers celles et ceux qui en ont réellement besoin.

(1) Pour protéger l’anonymat des témoins, les prénoms ont été modifiés

Article édité par Romane Ganneval ; Photos par Thomas Decamps pour WTTJ

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