Vous rêvez de partir travailler au RU malgré le Brexit ?... Good luck !

05 sept. 2022

6min

Vous rêvez de partir travailler au RU malgré le Brexit ?... Good luck !

Le Royaume-Uni a toujours été une des terres d’exile préférées des travailleurs·euses Français. En cause, ses nombreux atouts : une position géographique proche, une langue apprise universellement, ou encore de nombreuses opportunités professionnelles. En 2019, le Royaume-Uni comptait ainsi 147 500 expatriés français, soit la troisième destination préférée des frenchies. Sauf que, trois ans et un Brexit plus tard, ils et elles n’étaient plus que 136 000. Une baisse importante, notamment due à des conditions plus draconiennes, mais le pays conserve tout de même sa place dans le classement mondial des pays dans le monde avec le plus de ressortissants français. Alors, comment s’y expatrier à l’ère post Brexit ? À quelles difficultés se heurtent celles et ceux qui tentent l’expérience ? Comment se positionnent les entreprises locales sur la question ? Décryptage.

« Le Brexit a complètement gelé les échanges entre les recruteurs et les candidats européens. Être un Français diplômé et bilingue est très bien vu par les Anglais, mais c’est administrativement que ça bloque. » Ce constat qu’a fait Romain, un jeune Français à la recherche d’un emploi au Royaume-Uni, beaucoup d’autres Français l’ont fait avant lui depuis le Brexit. Pour rappel, le 23 juin 2016, les électeurs britanniques votaient en majorité - à 51,89% exactement - en faveur d’un retrait du Royaume-Uni de l’Union Européenne. Après quatre années de tumultueuses négociations, un accord est finalement entré en vigueur le 1er janvier 2021 : depuis cette date, impossible pour les Européens de se rendre dans le pays pour des vacances de plus de six mois. À moins d’avoir préalablement obtenu son settled status ou pre-settled status, des visas mis en place par les autorités britanniques pour les ressortissants européens et les membres de leur famille qui résidaient sur le territoire avant le 31 décembre 2020. Ou de postuler pour un visa travailleur en se faisant sponsoriser par une entreprise.

Priorité aux hauts diplômés avec… beaucoup d’expérience

Manon est étudiante. Elle avait pour projet de partir travailler à Londres cet été afin de perfectionner son anglais. Pendant plusieurs mois, la Caennaise a donc envoyé des CV en masse : magasins de vêtements, restaurants et cafés, boutiques françaises spécialisées… Une aubaine en période estivale pour les recruteurs, qui semblaient être très intéressés par son profil et la rappelaient sans tarder. Mais au début de chaque entretien, c’est sur la même question que bute l’étudiante : « Avez-vous un visa pour travailler en Angleterre ? Je leur réponds que non, tout en suggérant l’option du sponsoring. Malheureusement, après s’être renseignées auprès des autorités, les entreprises reviennent vers moi avec la même réponse : elles n’ont pas le droit de sponsoriser une simple vendeuse ou serveuse », explique Manon. Car si l’obtention d’un visa travail pour pouvoir exercer au Royaume-Uni est désormais conditionnée par le parrainage d’un employeur, les conditions de sponsors sont elles aussi restreintes. Un système d’immigration à points mis en place par le gouvernement donne la priorité aux aptitudes, aux talents des personnes, mais également aux promesses d’embauche avec à la clé des salaires élevés. Pour avoir le droit d’obtenir un visa travail britannique, il faut pouvoir cumuler 70 points attribués en fonction des différents critères. Ces points s’acquièrent notamment en justifiant d’un niveau minimum d’Anglais B1, d’un niveau d’étude d’au moins bac+3, et évidemment d’un nouveau job, qui devra être rétribué au salaire minimum de £25.600 par an (un peu plus de 30 000€, ndlr).

Des critères qui n’ont rien d’aisé, même pour les plus privilégiés. Romain est diplômé d’une Grande École de Commerce. Il occupe depuis plus d’un an un poste de manager à Paris dans le secteur du marketing. En plus de cette expérience, il a réalisé quelques années plus tôt un stage de deux mois dans la capitale britannique. Alors, lorsqu’il a entamé il y a quelques semaines sa recherche d’emploi pour pouvoir y rejoindre sa compagne, une jeune professeure de sport qui vient d’obtenir sa mutation, il ne s’attendait pas à devoir faire preuve d’autant de persévérance : « C’est compliqué de trouver une entreprise qui est prête à sponsoriser un jeune actif. J’ai pourtant la chance d’avoir de très bons diplômes et d’être bilingue, ce qui rassure les entreprises intéressées par mon profil. Mais ça ne rend pas la tâche facile pour autant. Il faut se rendre à l’évidence : à diplômes équivalents et compétences égales, les employeurs n’ont aucun intérêt à payer le sponsoring d’un Français s’ils ont déjà des offres sur leur territoire. »

Pénurie de travailleurs

Des témoignages décourageants et qui questionnent, au regard de la pénurie de main-d’œuvre que subit le Royaume-Uni depuis plusieurs mois dans des secteurs clés comme celui des chauffeurs routiers. Un phénomène global, qui met les entreprises en grande difficulté a constaté Julie, une Française expatriée à Londres depuis cinq ans, actuellement à la recherche d’un emploi : « Il faut savoir que Londres était une ville multiculturelle, peuplée en grande partie d’étrangers. Avec le Brexit et le Covid, beaucoup ont dû partir. Aujourd’hui, il ne reste comme candidats potentiels que les Anglais de Londres ou les expatriés détenteurs de visa, ce qui réduit beaucoup le spectre. Je fais partie des rares demandeurs d’emploi français, diplômés et avec de l’expérience à pouvoir travailler ici. C’est une chance, j’en ai conscience. »

Des propos qui se confirment du côté des entreprises. Le restaurant français Le Colombier, établi depuis 1998 à Chelsea, en plein cœur de Londres, se voit désormais dans l’obligation de fermer son établissement au moins deux jours par semaine. « Nous avons été très affaiblis avec le Covid, et le Brexit n’a pas arrangé les choses. Depuis que les Français ne peuvent plus venir ici aussi facilement, nous n’arrivons plus à recruter » s’inquiète Didier Garnier, le propriétaire. « Pourtant, nous payons très bien nos employés, plus de £25 000 livres par mois pour les salaires les plus bas. Mais, étant donné que même les personnes à haut poste dans la restauration n’ont en général pas fait de longues études, ils ne sont pas éligibles au visa. Parfois, c’est le niveau d’Anglais qui pêche, ou encore le manque de moyens du futur employé, car le candidat doit lui aussi débourser plusieurs milliers d’euros pour pouvoir venir travailler ici. »

Le sponsoring, une procédure longue et très coûteuse

Lorsque les étoiles s’alignent, certains recruteurs parviennent tout de même à recruter en dehors du pays. C’est le cas de Wilfrid Van Geest, à la tête de Sibner Group, une entreprise spécialisée dans la gestion immobilière. Il y a quelques mois, il a recruté sa première employée française, fraîchement diplômée dans le secteur de l’informatique. Un parcours du combattant. « Après avoir décidé d’embaucher cette employée, il a fallu dans un premier temps s’enregistrer au Ministère de l’Intérieur, qui vérifie toutes les informations sur l’entreprise avant de délivrer la licence de sponsoring. Nous avons dû ensuite prouver aux autorités que nous avions d’abord cherché à recruter localement, mais que les postulants ne correspondaient pas à nos attentes. Pour cela, il faut montrer les profils, prouver que les entretiens ont bien eu lieu, puis expliquer pourquoi nous n’avons pas choisi ces personnes. Le candidat étranger doit ensuite lui aussi se soumettre à une procédure de demande et être accepté par le ministère. »

Un processus chronophage, plongeant les deux parties dans l’incertitude, mais qui est surtout très coûteux pour l’entreprise comme pour le candidat, rappelle Wilfrid Van Geest : « Pour obtenir une licence de sponsoring, l’entreprise doit débourser l’équivalent de 2 500€. Les frais d’administration, eux, coûtent l’équivalent de 1 600€. De l’autre côté, le visa coûte au candidat l’équivalent d’un millier d’euros, et ce dernier doit avancer les frais de la NHS (l’équivalent de l’assurance-maladie au Royaume-Uni, ndlr) qui s’élèvent à 750€ par an, et ce sur toute la durée du contrat. En sachant que le contrat ne peut dépasser cinq ans, soit la validité maximale d’un visa travailleur. »

Évidemment, ces frais, pas tous les candidats ni les employeurs ne peuvent les débourser. Surtout au lendemain de la pandémie et en plein climat de guerre, explique Nilmini Roelens, avocate spécialiste du droit de l’immigration au Royaume-Uni : « Je conseillerais aux candidats de postuler en priorité dans les grands groupes. Les petites entreprises, qui ont déjà été grandement affaiblies par le Covid et qui vont mettre des années à s’en remettre, sont d’autant plus frileuses aujourd’hui d’investir dans des candidats étrangers à cause de l’incertitude de la guerre en Ukraine. »

Une situation qui inquiète les spécialistes, à l’heure où le pays traverse actuellement une importante crise économique et sociale : « Le fait que les entreprises peinent à recruter empêche de relancer l’économie du pays, qui en a aujourd’hui grandement besoin. Le Royaume-Uni est plus que jamais affaibli, bien plus que le reste de l’Europe. Si le gouvernement ne décide pas de faire changer les choses en permettant notamment aux entreprises de recruter des étrangers plus facilement, nous courons droit à la catastrophe » poursuit l’avocate.

De leur côté, les Français installés au Royaume-Uni mettent la main à la patte. Julie profite par exemple du temps libre que lui octroie sa recherche d’emploi pour connecter entre eux les Français désireux de s’expatrier à Londres : « Depuis quelques mois, j’organise des “french breakfast” pour faire profiter de mon réseau local aux français qui souhaitent s’expatrier et trouver du travail à Londres. Je pense que se connecter entre nous est la clé pour maximiser nos chances de faire émerger de nouvelles opportunités professionnelles. »

Article édité par Clémence Lesacq ; photos : Thomas Decamps pour WTTJ

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