On sait enfin pourquoi vous n'êtes pas attentif en réunion (et comment y remédier) !

May 23, 2022

5 mins

On sait enfin pourquoi vous n'êtes pas attentif en réunion (et comment y remédier) !
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Elise Assibat

Journaliste - Welcome to the Jungle

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En réunion, qui n’a jamais senti ses yeux se fermer après deux heures passées à écouter sagement son interlocuteur ; ressenti le “besoin” pressant de s’avancer dans son travail ; voire carrément l’envie irrépressible de traîner sur ses réseaux sociaux plutôt que s’attarder sur un débat qui ne mène à rien ? Difficile de ne pas être distrait lorsque les réunions mettent nos nerfs à rude épreuve. Et de fait, 1 travailleur sur 4 ne percevait pas leur utilité de manière générale en avril 2017, selon une étude OpinionWay. Pire encore, 40 % d’entre eux en profitaient pour se concentrer sur leur portable ou leur ordinateur histoire de faire passer le temps plus rapidement. Alors comment expliquer que les salariés soient si nombreux à ne pas être attentifs en réunion ? Et si ce n’était finalement pas de leur faute ? Décryptage avec notre expert et réuniologue Louis Vareille et le neuro-praticien Cyrille Darrigade.

Quand l’attention échappe aux réunions

Le rôle du cerveau

Entre les réunions qui s’éternisent pendant des heures et toutes celles qui s’ajoutent au cours de la journée, rien d’étonnant à ce que les participants les aient pris en grippe. Mais avant de comprendre ce que cache ce profond rejet, rappelons tout d’abord d’où vient l’attention - essentielle pour écouter les propos de nos interlocuteurs - d’un point de vue neurologique. « L’attention c’est la faculté de notre cerveau qui se met en route lorsqu’on se consacre à un objet ou une tâche, explique Cyrille Darrigade, neuro-praticien. Elle se compose de trois capacités : l’observation, le jugement et l’action. » Autrement dit, lorsqu’on est amené à se concentrer, nous avons la possibilité de contrôler ce qui va orienter notre attention. Et si les fonctions exécutives de notre cerveau ne sont pas sollicitées… on s’ennuie.

Pourtant, « l’ennui n’est pas toujours une mauvaise chose, reconnaît le spécialiste. Pour certains, c’est même un facteur de créativité… dans une certaine mesure ! » Car le cerveau est un organisme qui fonctionne en permanence. Et si l’activité qu’on lui propose ne le stimule pas suffisamment, il cherche ailleurs. « En rêvassant par exemple ou par le biais des stimulus qui vont accaparer notre attention plus intensément que l’interlocuteur en face, constate Cyrille Darrigade. L’environnement ennuyeux peut aussi stimuler les neurones dotés de récepteurs à l’adénosine, ce qui favorise l’endormissement. » Dans tous les cas, l’objectif de stimulation intellectuelle de ladite réunion n’aboutit pas et pousse le salarié à occuper son cerveau autrement.

La réalité du cerveau humain

Alors pourquoi les réunions semblent-elles incapables de maintenir l’attention des salariés alerte ? Tout simplement parce qu’il est impossible pour le cerveau de rester concentré dans les réunions que nous organisons. « En France, elles durent en moyenne quatre-vingt-dix minutes, alors qu’il est physiquement impossible de tenir autant de temps en restant concentré, affirme Cyrille Darrigade. Non seulement, les participants sont attentifs une minute sur deux, mais en plus, notre vigilance décroît fortement pendant les dix premières minutes et plus encore les trente prochaines. » Il faut arrêter de croire que l’on peut tenir pendant des heures à écouter tout le monde de manière attentive. « Aucune raison de se plaindre ou de regretter son absence d’attention permanente, le cerveau n’est tout simplement pas fait ainsi, atteste le neuro-praticien. D’ailleurs, la forcer de manière constante ne servirait qu’à nous user plus rapidement. »

Pour Cyrille Darrigade, la durée idéale d’une réunion est de vingt à trente minutes avec une pause d’au moins deux minutes entre les deux. « Notre mécanisme d’attention fractionne nos capacités d’écoute de manière à pouvoir être renouvelé, poursuit-il. Et quand vous la réactivez après ces deux minutes de pause, vous avez libéré l’attention de votre cerveau, vous diminuez la fatigue et vous multipliez l’intérêt porté à la matière dont il est question. » Il semble alors plus que nécessaire de s’adapter non pas aux projections que l’on se fait du cerveau humain mais à sa réalité.

La nécessité de se réinventer

Problème de conception

Ce décalage entre nos attentes et nos possibilités biologiques pose problème, notamment dans la manière de concevoir la réunion. « Souvent, la décrue de notre attention s’explique par le format qui a été mal préparé en amont, révèle Louis Vareille, réuniologue. Aussi, si l’objectif n’est pas clair avant même qu’une date soit fixée, que la durée n’est pas prise en compte et que le casting n’a pas été assez réfléchi, alors il sera quasi impossible de mobiliser les salariés. » Chacun a déjà pu l’observer : il n’est pas rare que les participants d’une réunion ne viennent pas suffisamment préparés. Mais ce n’est pas vraiment de leur faute puisque les sujets évoqués ne les concernent pas toujours. Le nombre de participants a également son intérêt : « Plus on est nombreux, plus on est paresseux puisque chacun sait qu’il peut compter sur les autres pour être les acteurs de la réunion », affirme le réuniologue. La passivité est donc de mise à tous les coups.

Dans un second temps, les organisateurs passent trop peu de temps à interroger les participants sur la qualité de la réunion après coup. Un phénomène qui n’étonne pas puisqu’il faut une certaine dose de courage pour oser demander à ces derniers d’évaluer leur prestation. « Une étude américaine a mis en lumière ce biais cognitif en interrogeant des salariés sur la productivité des réunions, illustre Louis Vareille. À leurs yeux, celles dont ils étaient l’animateur l’étaient à 79%, tandis que celles des autres ne l’étaient qu’à 56%. » Problème : sans retour de la part des participants, aucun moyen de se remettre en question et progresser. « Ce risque est d’autant plus inquiétant que l’on sait que l’ennui au travail peut provoquer des sentiments de dévalorisation, d’inutilité, de manque d’estime de soi qui mènent jusqu’au bore out », déplore le spécialiste. Alors que faire pour y remédier ?

S’adapter pour de vrai

« Alors même que le cerveau est incapable de rester concentré trop longtemps, il ne faut pas oublier que la surexposition aux écrans a considérablement diminué notre temps d’attention individuel, affirme Cyrille Darrigade. Et cette évolution comportementale a des conséquences directes sur notre capacité à nous concentrer sur un objet pour une période donnée. » Nous sommes interpellés à chaque instant par toutes sortes de stimulus. « Cette permanente compétition attentionnelle s’illustre notamment en réunion où il n’est pas rare d’avoir à la fois un écran d’ordinateur devant les yeux, un, voire deux smartphones à portée de main et une montre connectée qui nous envoie des messages », observe Louis Vareille.

La numérisation de l’époque est donc un fléau pour notre capacité de concentration et la crise sanitaire n’a rien arrangé. « Entre les visios et les rendez-vous physiques, les réunions demandent au cerveau un sursaut d’énergie pour s’adapter en permanence alors même que l’organisation réclame une implication trop importante », regrette Cyrille Darrigade. Alors si on veut se réunir, on fait un ordre du jour, on utilise une méthode de fractionnement du temps, on fait participer les personnes qui sont autour de la table en les incitant à faire des interventions brèves et on instaure un mode participatif pour que les salariés dialoguent. « Il en va de la responsabilité de l’animateur de faire un meilleur usage du temps que l’on vole aux participants et d’animer la réunion de manière à ce que ces derniers soient attentifs pour de vrai », conclut Louis Vareille. De cette façon, il sera possible de retrouver du sens et de se sentir utile à nouveau… Sans perdre de temps.

Finalement, ce manque d’attention croissant des salariés montre qu’il est urgent de réinventer les réunions afin de les adapter au contexte actuel. Et ne pas oublier que le cerveau n’a pas les capacités pour tenir ainsi sur la durée tout en restant concentré, mais que l’époque a aussi diminué notre attention par son usage excessif des écrans. À chacun de faire en sorte de concevoir des réunions capables de maintenir notre attention pour de bon !

Article édité par Romane Ganneval, photo par Thomas Decamps

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