Syndrome du super-aidant : ces salariés prêts à tout pour rendre service

25. 5. 2023

4 min.

Syndrome du super-aidant : ces salariés prêts à tout pour rendre service
autor
Laetitia VitaudLab expert

Future of work author and speaker

prispievatel

Qu’il s’agisse de l’essence de leur métier ou de la nature de leurs softs skills, les gens qui aident les autres ne manquent pas de sens au travail. Sauf à franchir un cap : celui de se mettre eux-mêmes en danger. Zoom sur ce syndrome dit du super-aidant avec notre experte Laetitia Vitaud.

Dans mon entourage, je ne compte plus les individus qui ont quitté un emploi qu’ils estimaient « bullshit » pour devenir coachs, formateurs ou « aidants » sous une forme ou une autre. Et pour ceux qui ne changent pas de métier, le fait de rendre service là où on est reste un excellent moyen de se sentir utile. En somme, aider les autres, c’est probablement l’une des « raisons d’être » les plus essentielles du travail.

Mais en la matière, certains en font trop, se montrant disponibles à toute heure, toujours prêts à aider ceux qui en ont besoin, au mépris parfois de leur bien-être et de leur santé. Pire, leur impact n’est pas toujours aussi positif qu’ils le souhaiteraient. On appelle ces individus excessifs des « super-aidants ». Et si l’envie irrépressible de secourir les autres était, en réalité, une addiction ? Comment prendre conscience que l’on va trop loin et se fixer des limites pour trouver un juste équilibre ?

Un syndrome plus courant qu’on ne le pense

Que l’on adhère ou pas au concept de bullshit jobs, on ne peut nier que les emplois de bureau qui consistent à analyser et produire des idées, des slides et des tableaux sont devenus monnaie courante. Or, les personnes occupant ce type de postes sont nombreuses à avoir envie d’aider les autres, dans l’espoir de « compenser » la place prise par des tâches perçues comme plus faiblement utiles. À ce titre, il n’est pas rare de les voir aider leurs pairs au travail ou bien s’engager dans le bénévolat à côté de leur activité professionnelle. Mais quand cette envie écrase toute prise en compte de leur propre bien-être, elle devient problématique.

Dans un ouvrage intitulé The Super-Helper Syndrome: A Survival Guide For Compassionate PeopleLe syndrome du super-aidant : guide de survie pour les personnes empathiques »), les psychologues américains Jess Baker et Rod Vincent parlent de personnes « plus douées pour aider les autres que pour s’occuper d’elles-même ». Ils décrivent ainsi ces individus qui ont tendance à se surmener, à se confronter plus fréquemment que les autres à des situations traumatisantes, ou encore à absorber la souffrance des personnes qui les entourent pour les en soulager. Des cas notables notamment parmi les soignants, les enseignants ou encore les auxiliaires, mais pas que… Leur caractéristique commune étant un risque élevé de burn-out, d’anxiété et de dépression, alors que leur souffrance passe inaperçue grâce à leur talent pour ne jamais l’évoquer.

Les travers de l’empathie

Il n’y a rien de mal à être serviable et utile, au contraire ! C’est même bon pour la santé puisque cela provoque un sentiment de satisfaction qui contribue à l’épanouissement professionnel, tout en renforçant l’estime de soi et favorisant le bien-être émotionnel. Les activités altruistes peuvent même renforcer le système immunitaire (si si !) grâce à des changements hormonaux. Par exemple, l’ocytocine, hormone de l’amour et de la confiance, a un puissant effet anti-stress. Mais alors, quand est-ce que la joie d’offrir et d’aider devient excessive et problématique ?

Il existe certains signes qui ne trompent pas :

  • Vous vous sentez anxieux·se et inutile quand vous n’êtes pas en train d’aider quelqu’un ;
  • Vous aidez les autres même quand ils n’ont rien demandé ;
  • Vous vous sentez mal quand vous apprenez que quelqu’un d’autre a été utile à votre collègue / manager / client / patient… ;
  • Vous rêvez de changer la vie de vos collègues grâce aux conseils que vous donnez ;
  • Vous vous sentez en danger quand la personne que vous voulez aider ne suit pas vos conseils et recommandations ;
  • Vous vous sentez stressé·e et/ou épuisé·e par toute l’aide que vous voulez apporter aux autres.

Le fait de cocher l’une de ces cases ne fera pas nécessairement de vous un super-aidant à problèmes. Mais cela peut vous inviter à plus de vigilance sur votre comportement. Si votre identité dépend du sentiment d’utilité que vous associez aux services rendus, cela peut devenir dangereux pour vous et vous conduire à l’épuisement. Sans compter que la situation peut aussi être irritante pour vos collègues.

Comment trouver le bon équilibre ?

Il s’agit d’abord de chercher à être un partenaire égal plutôt qu’un « sauveur ». Pour cela, on devrait préférer l’aide qui contribue à rendre plus autonome la personne aidée. Les bons coachs et enseignants aident les gens à progresser jusqu’à ce qu’ils n’aient plus besoin d’eux.

Il est bon de surveiller les histoires que l’on se raconte à soi-même à propos des services que l’on rend et des conseils que l’on donne. Ces histoires signalent clairement les motivations qui sous-tendent nos actions.

C’est important d’avoir des attentes claires dès le départ, en particulier en ne se sentant pas plus préoccupé par la réussite de quelqu’un que la personne elle-même.

L’aidant mérite aussi d’être aidé. Une approche saine et équilibrée commence avec la prise en compte de ses propres besoins, de son bien-être physique, émotionnel et mental. Cela passe par des limites claires et le fait d’aller soi-même chercher de l’aide quand c’est nécessaire.

Primum non nocereD’abord, ne pas nuire »). Le premier principe du Serment d’Hippocrate a été pensé pour les soignants. Mais c’est un excellent mantra pour toute personne souhaitant être utile aux autres. S’il peut être jouissif de savoir que son entourage, notamment professionnel, compte sur votre aide, votre désir d’avoir un impact positif ne doit pas se transformer en besoin d’être indispensable. Lorsque les personnes que nous aidons se rendent compte que nous servons notre ego plutôt qu’elles, elles prennent le large. Mieux vaut préserver une séparation saine entre ce que nous sommes et ce que nous faisons, sans mettre toute son identité dans l’aide que nous apportons aux autres.

Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.

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