Élitiste, polluant… Faut-il éradiquer le voyage d'affaires ?

05 oct 2023

4 min

Élitiste, polluant… Faut-il éradiquer le voyage d'affaires ?
autor
Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

colaborador

Le voyage d’affaires fait débat en entreprise. Les raisons invoquées ? Trop coûteux, un impact carbone élevé, inégalitaire… Néanmoins, il reste important pour le business. Comment réinventer le voyage pro post-Covid ?

Après un net ralentissement depuis la crise Covid, les prévisions du secteur mondial des voyages d’affaires envisagent un rebond des dépenses atteignant 1,8 billion de dollars d’ici 2027. Et dès 2024, elles devraient dépasser leur niveau pré-pandémie, soit 1 400 milliards de dollars. Pourquoi ce retournement alors que la doxa est à la sobriété en matière de mobilité ? L’impulsion des salariés. Selon une enquête SAP, 49 % d’entre eux se disent disposés à partir pour le travail au cours des 12 prochains mois versus 45 % en 2022. En effet, les voyages business seraient un élément déterminant dans leur carrière (88 %). Ils y voient aussi le moyen de maintenir des relations avec leurs clients (40 %) et de créer des connexions avec des prospects (38 %). Malgré tout, le voyage d’affaires fait toujours débat, à tel point que les entreprises tentent de trouver des alternatives pour répondre aux objections courantes. Décryptage.

Voyage d’affaires : quel procès lui fait-on ?

Une empreinte écologique trop élevée

Si les voyages d’affaires sont profitables à l’économie mondiale, ils ne sont pas toujours des plus bénéfiques pour la planète. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) estime que plus de 50 % des émissions de CO2 des entreprises sont liées aux déplacements professionnels. Ces derniers auraient en moyenne une intensité carbone plus importante que celle des voyages pour motif personnel. Et ce, pour deux raisons principales : comme les séjours sont généralement plus courts, les émissions du transport sont moins amorties sur la totalité du déplacement. De plus, l’événementiel d’affaires est un poste d’émissions additionnel. On parle ici des salons ou des congrès dont l’organisation génère des émissions de gaz à effet de serre. Et la pression monte : d’après WWF, si chaque entreprise européenne réduisait de 20 % ses déplacements, 22 millions de tonnes de CO2 seraient économisées chaque année.

Genre, sexualité, âge… Un facteur (inattendu) d’inégalités

Les voyages d’affaires semblent injustement réservés à quelques privilégiés. Selon l’enquête SAP, plus de 3 voyageurs d’affaires sur 5 estiment qu’ils n’ont pas toujours les mêmes chances que leurs collègues, en raison de leur genre, de leur âge, de leur orientation sexuelle, de leur apparence physique ou même de leurs conditions de santé. Près d’un tiers des voyageurs d’affaires LGBTQ+ considèrent ne pas toujours avoir les mêmes opportunités en raison de leur orientation sexuelle. C’est le cas pour 23 % des membres de la génération Z et 9 % des femmes.

Des coûts qui flambent en période inflationniste

Les frais liés aux voyages professionnels sont différents selon les régions du monde. À titre d’exemple, l’Allemagne est le plus grand marché pour les voyages d’affaires dans la région EMEA, avec 91,86 milliards de dépenses pour cette activité en 2021. En 2020, le budget moyen du voyageur d’affaires allemand était de 161 € par jour, selon Statista. Or avec la période inflationniste, ces coûts risquent de représenter un poste bien plus conséquent dans les budgets des entreprises. Selon l’enquête SAP, les impacts inflationnistes s’élèveraient déjà à 43 % (pour le même nombre de voyages).

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3 idées pour maintenir un voyage d’affaires efficace, écologique et équitable

1. Lancer des restrictions sans distinction

Une majorité des employés français (80 %) pensent que les entreprises ont un rôle important à jouer dans la lutte contre le changement climatique. Le voyage d’affaires est l’un premier poste auquel s’attaquer : toujours selon SAP, la quasi-totalité des gestionnaires de voyages (93 %) s’attend d’ailleurs à ce que les politiques de déplacement de leur entreprise soient modifiées au cours des 12 prochains mois. Les choses commencent doucement à bouger. La Fédération européenne pour le transport et l’environnement a établi un classement concernant les voyages d’affaires de 230 multinationales américaines et européennes : au total, 21 entreprises françaises sont présentes dans ce classement, certaines s’étant fixées des objectifs clairs de réduction de leurs déplacements à l’image de Capgemini, AXA, BNP Paribas et Dassault Systèmes. Néanmoins, pour être acceptés, il faut que ces objectifs se traduisent en directives équitables, qui s’appliquent à tous, peu importe le niveau hiérarchique, le genre, l’âge… L’exemplarité des dirigeants représente un facteur essentiel d’acceptation auprès de l’ensemble des salariés.

2. Travailler mieux pour dépenser moins

Outre le fait de prendre des billets moins chers, certaines pratiques peuvent être mises en place pour économiser des déplacements business. En effet, des questions doivent être posées en amont afin d’arbitrer sur la pertinence de voyager ou non : est-ce critique pour le projet ? Est-ce déterminant pour le business ? Quelles sont les solutions alternatives pour mener cette réunion ou les discussions en cours ? Les interlocuteurs sont-ils habitués à la visio ou tout autre mode de communication digitalisé ? La pandémie a démontré qu’il était possible de réduire les voyages d’affaires tout en maintenant des communications distancielles : les employés citent les réunions en ligne (49 %) comme alternative principale aux déplacements. Côté outils, outre Teams et Zoom, le métavers offre des moyens plus immersifs de mener des réunions ou même de créer des événements d’entreprise comme des séminaires, des formations ou des rencontres diverses. Il existe de nombreuses possibilités grâce à la diversité des salles virtuelles : utiliser un tableau blanc collaboratif, changer la disposition de la salle, participer via un système de vote… Chaque avatar peut aussi se déplacer et mimer des interactions physiques.

3. Lancer une démarche de « travel green »

Le gouvernement a mis en place une obligation réglementaire pour accélérer les changements concernant la mobilité en entreprise : le Plan de Mobilité dont l’objectif est de rationaliser les trajets domicile-travail, mais aussi les déplacements professionnels des collaborateurs, en optimisant les modes de transports via des alternatives plus durables. 61 % des salariés français ont déjà changé leurs habitudes de déplacement par rapport à la période pré-Covid : 22 % d’entre eux disent avoir arrêté complètement les trajets d’affaires en avion et 39 % volent « beaucoup moins » ou « un peu moins ». Et la tendance s’ancre dans le temps : 91 % des habitués des voyages d’affaires prévoient de prendre des mesures en ce sens au cours des 12 prochains mois afin de réduire leur impact environnemental. Les entreprises doivent exploiter cette volonté collective pour lancer une mobilité plus sobre.

Quelques exemples de « green travel » ?

  • Développer le covoiturage pour les déplacements professionnels via des places de parking réservées aux covoitureurs, plateforme ou application de mise en relation.

  • Mettre à disposition des véhicules électriques ou à faibles émissions dans les pôles d’activité.

  • Gérer les voyages de manière centralisée avec un travel manager afin d’éviter de rationaliser les options durables.

  • S’appuyer sur un algorithme pour prendre des décisions plus vertes sans impacter les enjeux business. C’est le pari de Fairjungle : une start-up qui a développé un algorithme incluant le critère écologique dans les réservations de voyages professionnels. Sa promesse : faire baisser les émissions CO2 de 30 % aux entreprises utilisatrices. Comment ? Grâce à des recommandations d’alternatives de transports en comparant des millions d’itinéraires. L’application inclut également les règles de gestion des politiques de voyage propres à chaque entreprise, pour assurer un contrôle fin, en temps réel, des émissions de carbone.


Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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