Semaine de 4 jours en études sup' : un espace pour se développer hors des cours ?

Nov 28, 2023

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Semaine de 4 jours en études sup' : un espace pour se développer hors des cours ?
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Romane Ganneval

Journaliste - Welcome to the Jungle

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Du monde professionnel à l'enseignement supérieur, le modèle de la semaine de quatre jours ne cesse de faire de nouveaux adeptes. À l’école de design Strate (Lyon et Sèvres) par exemple, cette initiative a été lancée depuis la rentrée scolaire. Guillaume Lom Puech, designer et directeur général des établissements nous explique les bienfaits de cette semaine raccourcie.

Comment vous est venue l’idée de mettre en place une semaine de quatre jours dans vos établissements ?

Lorsque nous avons ouvert le campus de Lyon en 2019, nous voulions trouver une solution pour valoriser les projets personnels de nos élèves. Parce que si les cours permettent de développer des hard skills (compétences techniques), nous savons que le monde de l’entreprise valorise tout autant les soft skills (compétences humaines). On s’est alors demandé comment nous pouvions aider nos étudiants à développer leur individualité ? Certains d’entre eux font des activités extra-scolaires comme du piano, de la photographie, s’investissent dans des associations… On a alors pensé que libérer une journée de cours pouvait être quelque chose d’intéressant pour leur développement et nous avons décidé de lancer une expérimentation d’un an sur notre campus de Lyon.

Qu’a donné cette première expérimentation ?

Pendant un an, tous les mercredis ont été banalisés dans le cadre du programme « passeport de compétences ». Nous avons demandé à nos étudiants de sortir de l’école afin qu’ils puissent monter des projets entrepreneuriaux, s’investir dans des associations, créer des choses qu’ils pourraient présenter à l’école, sans que ce soit lié aux cours et donc pas noté. Lorsqu’on est designer, il ne faut pas oublier que ce que l’on dessine sur un bout de papier a un impact, une matérialité et qu’avec cette posture, on porte en nous une certaine responsabilité. Pour assumer le rôle social et politique de son travail, nous devons être investi et c’était le sens de ce projet.

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Les étudiants étaient donc obligés de restituer à l’école ce qu’ils avaient produit sur cette journée ? N’est-ce pas contraire à l’idée même de la semaine de quatre jours ?

Un temps de restitution a été organisé, mais on s’est très vite rendu compte que tous nos étudiants ne pouvaient pas toujours nous fournir quelque chose de concret. Seulement, certains projets ont été sélectionnés et on a même organisé des expositions autour de travaux réalisés pendant ce temps libre, dans le but d’en motiver d’autres. Après, s’il est intéressant d’accompagner et valoriser les expérimentations de chacun, depuis qu’on a ouvert cette organisation à notre campus de Sèvres, on ne peut plus organiser ces temps de retours. C’est trop contraignant et puis, vous avez raison, demander des livrables, n’est-ce pas contraire à l’idée de la semaine de quatre jours ?

Quand on a annoncé la nouvelle à nos étudiants, on a eu peur qu’ils pensent que ce serait pour eux une troisième journée de weekend, même si on a le droit de se reposer de temps en temps. Il faut savoir que dans les écoles d’art et de design, il y a une certaine pression à la production et les étudiants sont obligés d’être dans un travail de réflexion permanent. Parfois, il est nécessaire de pouvoir appuyer sur pause pour faire de la veille et des recherches et ainsi développer ou retrouver sa créativité. Donc, on a gardé le cadre de la semaine de quatre jours et on a allégé les rendus pour que les étudiants puissent véritablement en profiter et qu’ils soient autonomes dans leur gestion de ce temps libre.

Strate coûte 10 000 euros l’année. L’organisation en semaine de quatre jours, a-t-elle permis de baisser les prix de l’école et est-ce aussi une façon de permettre aux étudiants de travailler à côté de leurs études ?

Travailler est en effet une possibilité offerte par la semaine de quatre jours. De la même façon que s’investir dans une association ou dans un projet personnel. Lorsqu’on est directement confronté au monde du travail, on acquiert de nouvelles compétences que l’on pourra garder pour plus tard. Mais il est important de le faire avec un œil de designer : si vous travaillez dans la restauration ou dans une boutique, qu’est-ce qui rend votre expérience agréable ? Qu’est-ce que vous pourriez faire pour améliorer le quotidien de vos collègues ou de vos clients ?

En revanche, le prix de la scolarité n’a pas baissé puisque nous avons conservé le même volume horaire en condensant les cours mais surtout en étalant un peu plus le temps de cours sur l’année et donc, en rognant sur les vacances. Et ça fonctionne plutôt bien, puisqu’une grande partie de nos intervenants viennent du monde de l’entreprise et enseignent après leur journée de travail. Ainsi, nos étudiants peuvent avoir des cours en seconde partie d’après-midi, sans que ce soit trop lourd.

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Quels sont les retours des étudiants sur ce nouveau mode d’organisation ?

Pour l’instant, ils semblent très satisfaits de cette mesure. Et c’est assez encourageant quand on sait que faire du design, c’est aussi générer des expériences agréables. En tant qu’école de design, on s’est demandé comment faire pour que les personnes qui étudient ici puissent profiter au mieux de leur temps dans l’école où ils rencontreraient leurs futurs collègues et amis. On a un vrai rôle à jouer dans l’amélioration des conditions de vie et dans le quotidien de nos étudiants et ça semble porter ses fruits !

Est-ce que la mise en place de la semaine de quatre jours est aussi un affront à la culture productiviste dans les métiers créatifs ? Parce qu’à force de produire, on peut parfois brimer sa créativité et s’essouffler ?

À vrai dire, je ne me rends pas compte si l’on demande aux créatifs de produire plus qu’avant, même si ça doit être le cas dans un monde où tout devient qualifiable et où l’on demande de réaliser des objectifs, de suivre des KPI… Pourtant, s’il y a bien quelque chose qui n’est pas chiffrable, c’est bien la créativité et elle a besoin d’espace pour se développer. En tout cas, il y a une demande de plus en plus importante des jeunes pour développer leur bagage intellectuel et culturel et c’est fondamental. Et on ne peut qu’encourager ce désir !

Demandez par exemple à un groupe de designers et un groupe d’ingénieurs de relier les deux rives d’un fleuve : quand les ingénieurs se lanceront tout de suite dans des calculs pour créer un pont, les designers en seront encore à questionner la nécessité de construire un tel édifice. Après tout, une rive peut être traversée à la nage, dans les airs et pourquoi pas fabriquer un tunnel sous le fleuve ? Tout ça, c’est du design. La culture de l’œil est nécessaire pour faire de bons designers qui travaillent à la fois sur la compréhension des usages via les sciences humaines, la concrétisation et la réalisation avec les sciences dures, mais aussi, réfléchissent à l’esthétique ou au concept de leurs créations.

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Même si cela ne fait que quelques mois que vous avez lancé cette organisation, voyez-vous un impact sur le bien-être physique et psychique de vos étudiants ?

L’amélioration du bien-être des étudiants est un élément primordial de ce projet, parce que c’est de notre responsabilité d’y être attentif. Les risques psychosociaux, les burn out, les dépressions dont nous parlons beaucoup plus ces dernières années dans le monde du travail concernent tout autant les étudiants, surtout depuis le Covid. Même si, en effet, il est un peu tôt pour dire que ces mesures ont un impact significatif sur la vie de nos étudiants, on voit que le taux de décrochage et l’absentéisme dans les premières années sont en baisse.

Je trouve que c’est un bon compromis entre encadrement et liberté. Souvent, le cadre dans les écoles d’art est très contraignant et les étudiants peuvent tirer la langue quand le projet personnel est encore fragile. D’un autre côté, on ne les lâche pas non plus comme c’est le cas à l’Université et où les taux de perte des étudiants sont très importants. On donne juste ce qu’il faut de liberté pour qu’ils développent leur créativité, sans les perdre de vue.

Article édité par Manuel Avenel, photographie par Thomas Decamps

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