« Le jour où... je me suis levé(e) et barré(e) d’un entretien d’embauche »

17 nov. 2022 - mis à jour le 17 nov. 2022

7min

« Le jour où... je me suis levé(e) et barré(e) d’un entretien d’embauche »
auteur.e
Barbara Azais

Journaliste freelance

Vous est-il déjà arrivé de subir un entretien d’embauche ? D’être face à un recruteur désagréable sans oser interrompre l’échange et partir ? Si dans les faits, l’entretien d’embauche permet d’évaluer la capacité d’un candidat à occuper un poste, il peut aussi prendre une tournure infantilisante, irrespectueuse et humiliante. Notamment lorsque les recruteurs sont inexpérimentés, manquent de savoir-vivre, de bienveillance ou même de politesse. Dans ce genre de cas, des candidats désabusés finissent par interrompre prématurément l’entretien pour montrer leur mécontentement.

« On s’est raccroché au nez » Richard, 42 ans, responsable commercial

Je travaillais dans la fonction commerciale d’une agence de presse avant d’être licencié économique en 2015. À ce moment-là, je me suis dis que j’allais prendre le temps et profiter de mes enfants en m’offrant une année sabbatique. Au bout d’un an et demi, je me suis mis à la recherche d’un nouveau poste et en passant quelques entretiens, j’ai découvert le milieu des recruteurs : certains étaient sympas, d’autres beaucoup moins. J’ai notamment répondu à l’offre d’emploi d’un fabricant de verres optiques et me suis rapidement retrouvé convoqué pour un entretien téléphonique avec le RH qui m’avait tout l’air d’être en poste dans cette structure depuis longtemps.

Dès le début de la conversation, il a attaqué avec un ton incisif et s’est mis à critiquer ma lettre de motivation en me disant que j’aurais dû me vendre davantage, préciser que ce serait un honneur de travailler dans cette entreprise, que c’est une boite géniale… Il a fini par me donner un cours sur la façon de rédiger une bonne lettre de motivation selon lui, sans pour autant me répondre quand je lui demandais s’il s’agissait bien d’un entretien d’embauche. J’avais beau lui demander s’il voulait en savoir plus sur mon expérience et mes compétences, il continuait à descendre la construction de ma lettre de motivation avec son ton professoral. C’était déstabilisant, je ne comprenais pas le but de cet échange qui n’avait rien d’un entretien.

Forcément, j’ai commencé à perdre patience et le ton est monté peu à peu. Il répétait sans cesse des choses comme : « Vous auriez dû…, je ne comprends pas que…, ça ne me donne pas envie de vous recruter… » Plus il s’enfonçait dans cette conversation lunaire, plus je réalisais que je n’avais aucune envie de travailler dans une entreprise dans laquelle le personnel a ce type de comportement. Alors j’ai fini par l’interrompre et lui dire : « On va s’arrêter là, je pense que je ne vous conviens pas et je sens d’avance que vous ne me convenez pas non plus »… On s’est raccroché au nez. C’était quelqu’un qui semblait âgé et très à cheval sur ses principes, persuadé d’avoir raison en tous points. Il estimait que je devais presque me courber pour obtenir ce poste.

À la même période, j’ai également obtenu un rendez-vous pour un poste de business development à La Poste avec une jeune RH connue pour être dure en entretien. Très vite, l’échange s’est transformé en cas scolaire. Elle me présentait un problème et me demandait de lister les étapes pour le résoudre : « Qu’est-ce que vous feriez ici, petit 1, petit 2… ? » Elle avait une approche technique et très théorique du métier. Je me suis retrouvé à lister des réponses tel un écolier. Elle cherchait certainement un étudiant prêt à recracher des cas d’école, mais j’étais dans le métier depuis longtemps et je savais que la réalité était bien plus complexe que cela, qu’on ne résout pas un problème de la même manière en fonction des personnes avec lesquelles on travaille et de plein d’autres éléments à prendre en compte. À nouveau, l’offre n’a pas du tout rencontré la demande, alors j’ai mis fin à l’entretien. Sans regret !

« Vous voulez un larbin, pas une responsable RH » Isabelle, 53 ans, DRH internationale

J’avais déjà quelques années d’expérience RH quand j’ai répondu à cette offre d’emploi. Il s’agissait d’un CDD de remplacement pour un congé maternité. Mais il faut dire que l’entretien a mal commencé : j’ai attendu 1h15 à l’accueil avant d’être reçue. Une femme est finalement arrivée entourée de plusieurs personnes et m’a lancé un « suivez-moi » avant de reprendre sa conversation avec ses collègues, sans même prendre la peine s’excuser pour son retard ni même de me saluer. Sympa. La suite ne m’a pas non plus rassurée sur le personnage : dès les premières minutes de l’entretien, elle a ouvert les hostilités en me dressant la liste de tout ce qu’elle ne voulait pas chez un candidat, le tout avec un ton condescendant. À tel point que je n’avais déjà pas envie de travailler avec elle. Elle était hautaine et me donnait l’impression de n’être rien. C’était ahurissant. À défaut d’empathie et de sympathie, j’attendais un minimum de respect de RH à RH. Ayant été DRH d’un groupe de 600 personnes pendant trois ans, j’ai trouvé son comportement inadmissible. Je l’ai interrompue au bout de 20 minutes d’entretien : « Vous voulez un larbin, pas une responsable RH. On ne va pas travailler ensemble. » Elle ne l’a évidemment pas bien pris, mais je me suis levée et elle est partie. Face à une personnalité comme ça, il n’y avait rien à faire.

On pourrait facilement se dire qu’en tant que RH, nous sommes avantagés en entretien, mais il n’en est rien ! J’avais déjà été malmenée par un cabinet de recrutement auparavant. Je me souviens leur avoir dit pendant l’entretien : « Demain, je serai votre donneuse d’ordre et vous me traitez mal. Vu votre attitude avec moi, je n’ose pas imaginer comment vous traitez les autres candidats. » Je ne comprends pas l’intérêt d’être trop sévère et abrupte alors que le rôle du RH ou du recruteur est de comprendre la personne, ses attentes et voir si elles correspondent aux nôtres. Surtout que lorsqu’on les aborde avec sympathie et douceur, les candidats parlent plus facilement. Il y a beaucoup d’attitudes qui ne sont pas acceptables en recrutement.

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« Je n’étais pas salarié et j’en prenais déjà plein la tronche » Nicolas, 43 ans, office manager

En 2008, j’ai répondu à une offre d’emploi de responsable logistique chez un grand distributeur de mobilier. Le premier entretien s’est bien passé, mais au moment de rencontrer les deux managers, ça a viré au cauchemar. Ils ont évoqué des situations en me plaçant directement dans la position du salarié qui venait de fauter et qui se faisait réprimander : « Quand vous allez faire ça, ça ne va pas passer, ça va aller jusqu’au blame. » C’était très étrange d’anticiper que je fasse des erreurs, comme s’ils partaient du postulat que j’allais forcément être incompétent et échouer à ma tâche ! Rien de plus dégradant… Je leur ai rappelé pourquoi j’étais là et j’ai compris qu’il ne s’agissait pas d’un poste de responsable comme l’expliquait l’annonce. Ça devenait insupportable. Je leur ai dit que s’ils me traitaient comme ça et me parlaient de cette façon à l’entretien, je ne voulais pas travailler avec eux. Je n’étais même pas salarié et j’en prenais déjà plein la tronche, or j’ai déjà eu ma dose de managers toxiques dans ma vie professionnelle !

J’ai récidivé lors d’un autre entretien de recrutement prévu en fin de journée où l’on m’avait soumis à un énorme test de compétences. Il s’agissait d’une compilation de tous les cas concrets que je pourrais rencontrer à ce poste. J’y ai passé 2h30 avant de réaliser que je n’en étais qu’au tiers et qu’il était déjà 22h. C’était tout bonnement impossible à terminer. Je les suspectais presque de m’avoir exploité en me faisant faire leurs tâches. Alors je suis allé prévenir un des seuls salariés qui restait dans les locaux que c’était infaisable et que je ne souhaitais pas finir à 1h du matin. Il y a eu un court moment d’incompréhension : on ne s’attend pas à ce que le candidat se lève et parte, mais c’est ce que j’ai fait et c’était plutôt satisfaisant !

« J’étais résignée, je n’avais plus rien à perdre » Céline, 40 ans, rédactrice d’actes notariés

On est tous confrontés au même problème quand on débute professionnellement : le manque d’expérience. En tant que clerc de notaire, lors de mes premiers entretiens, on me posait aussi beaucoup de questions inappropriées comme la malheureusement classique : « Est-ce que vous envisagez d’avoir des enfants ? » J’ai subi beaucoup de petites humiliations. Jusqu’au jour où l’on m’a de nouveau fait remarquer que je n’avais pas d’expérience. C’était usant pour le moral. Lasse, je me suis levée pour partir en plein milieu de l’entretien.

J’étais surprise de moi-même car j’ai habituellement un grand respect pour la hiérarchie. Je n’ai pas agi par colère, je me suis tout simplement dit que c’était perdu d’avance et que je n’avais plus rien à perdre. En me levant, je leur ai donc fait remarquer que « si personne ne me permettait d’avoir de l’expérience, je n’en n’aurais - effectivement - jamais ». Finalement, la personne qui me faisait passer l’entretien m’a rattrapée. Contre toute attente, elle a apprécié ma répartie et j’ai fini par être embauchée. Elle partait du principe que je n’aurais pas peur de m’opposer à des personnes plus mûres malgré mon jeune âge.

« Combien de couches se vendent chaque année en Chine ? » Baptiste, 35 ans, RH et communication

Mon histoire s’est déroulée quand j’avais 21 ans et que j’étais encore en école de commerce. Un cabinet de conseil était venu recruter dans notre promo en nous faisant passer des tests assez techniques pour retenir les 10-20 meilleurs. J’étais ravie d’apprendre que j’avais été sélectionné suite à ce cas pour passer un entretien. Au début de l’échange, tout m’a paru normal : on m’a questionné sur les différents stages que j’avais faits, mes qualités, mes défauts, les départements qui m’intéressaient, etc. Puis, de but en blanc, la recruteuse m’a demandé : « Combien de couches se vendent chaque année en Chine ? » Surpris, j’ai tout de même tenté d’élaborer des statistiques logiques par rapport à mes connaissances, mais elle m’a coupé aussitôt : « Je n’aime pas votre raisonnement, faites-le différemment. » Ça m’a déstabilisé, mais j’ai persisté et changé de stratégie. De nouveau, elle m’a stoppé dans mes explications et m’a dit, sèchement, que c’était impossible.

Ce n’était pas tant le challenge qui me dérangeait, mais le ton et la forme que j’ai trouvés désagréables. Elle ne m’a même pas laissé le temps d’expliquer ma théorie. Je ne me sentais pas à l’aise et c’était peut-être son but de me tester ainsi, mais ce n’était pas une raison valable pour moi. Alors je me suis levé et lui ai dit : « On pense souvent qu’un entretien permet à l’entreprise d’évaluer le candidat, mais c’est aussi pour que le candidat évalue l’entreprise. » À l’époque, je n’étais pas particulièrement fier d’avoir réagi de la sorte. Mais, j’ai rencontré beaucoup de personnes qui avaient vécu des situations similaires et je réalise que j’ai bien fait ! Maintenant que je travaille, je participe à des entretiens d’embauche et considère le candidat comme un égal avec lequel je discute dans le but de mieux se connaître mutuellement.

Article édité par Gabrielle Predko, photo Thomas Decamps pour WTTJ

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