Ces entreprises finlandaises qui ont appris à faire confiance à leurs employés

Jan 07, 2020

4 mins

Ces entreprises finlandaises qui ont appris à faire confiance à leurs employés
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Laetitia VitaudLab expert

Future of work author and speaker

Des entreprises dont les salarié.e.s peuvent venir au bureau quand ils/elles veulent (ou presque) et où l’on crée quand même de la valeur, est-ce que cela existe vraiment ? « C’est une chimère – une utopie ! », diront certains.

Pourtant, c’est une réalité quotidienne pour les entreprises finlandaises. En Finlande, il existe une culture pragmatique dans laquelle confiance et égalité sont les maîtres-mots. Les salarié.e.s finlandais.es peuvent venir au bureau (plus ou moins) à l’heure qui leur convient. Ils/elles peuvent travailler à distance quand ils/elles le veulent. Et trouver un meilleur équilibre entre leurs contraintes professionnelles et leurs obligations familiales. Si bien que contraintes et obligations laissent la place à épanouissement et équilibre émotionnel. Certain.e.s choisissent même de travailler quelques mois en Espagne, simplement pour éviter la rudesse des hivers finlandais… Alors, comment font les entreprises finlandaises ? Surtout, comment s’en inspirer ?

Ambienta, une entreprise dans l’informatique, emploie 200 personnes. Suite aux demandes de ses employé.e.s, désireux/désireuses d’éviter au maximum les trajets pendulaires, l’entreprise a ouvert 15 bureaux régionaux et activement encouragé ses employé.e.s à faire du télétravail afin qu’ils/elles deviennent plus efficaces et plus créatifs/créatives. Quand on voit à quel point les petites entreprises finlandaises comme Ambienta (et d’autres plus grandes) sont en avance en matière de télétravail et de culture de la confiance, on peut se demander quelle est la poule et quel est l’œuf dans cette histoire. La culture de la confiance typiquement finlandaise est-elle la conséquence de la pratique répandue du télétravail ? Ou bien cette pratique est-elle rendue possible par la culture de la confiance ?

Pour mieux cerner la situation, il faut réaliser que la Finlande est un tout petit pays de 5,5 millions d’habitants (deux fois moins que l’Ile-de-France !) qui a rejoint l’UE en 1995. On en entend souvent parler à propos d’éducation, car le système éducatif du pays est régulièrement classé en tête par l’enquête PISA. Or ce qui fait la force du système éducatif du pays — l’autonomie des élèves, la valorisation du temps de jeu, la force du système public et la réglementation – c’est également tout ce qui a permis au pays de devenir un hub de l’économie numérique en Europe. Quand on est un tout petit pays (qui plus est avec un climat plutôt rude), il faut faire mieux que les autres pour attirer et garder les talents.

La flexibilité et la culture de la confiance sont avant tout un choix de société. En effet, elle ont d’abord été inscrites dans la loi ! En 1996, année de l’adoption du Working Hours Act, tous les salarié.e.s ont reçu le droit d’ajuster leurs horaires de travail à leurs contraintes personnelles (ils/elles peuvent commencer et finir le travail 3 heures plus tôt ou un peu plus tard que les autres). L’impact sur la culture de travail a été considérable. En 2011, une étude internationale du cabinet Grant Thornton a révélé que les travailleurs finlandais étaient ceux dont l’emploi du temps était le plus flexible au monde : 92% des entreprises finlandaises permettent à leurs salarié.e.s d’ajuster leurs horaires, contre 76% au Royaume-Uni et 18% au Japon. Depuis cette date, on parle beaucoup plus, un peu partout, des bienfaits de la flexibilité au travail et de nombreuses grandes entreprises s’y convertissent de plus en plus.

La Finlande n’est donc plus seule. Mais le gouvernement finlandais entend aider les entreprises du pays à rester les plus avancées en matière de flexibilité. Une nouvelle loi (Working Hours Act 2) entrera en vigueur en 2020 et permettra à l’essentiel des salarié.e.s à temps complet de flexibiliser plus de la moitié de leur temps de travail : ils/elles pourront décider librement de l’organisation de 50% de leur temps de travail. Les 40 heures hebdomadaires pourront être organisées de manière contrastée : certain.e.s pourront commencer très tôt pour s’occuper de leurs enfants après l’école ; d’autres voudront concentrer leurs heures de travail sur trois ou quatre jours seulement pour profiter de longs week-ends ; d’autres, enfin, voudront travailler davantage pendant plusieurs semaines pour partir en vacances plus longtemps.

Ce qui rend ces avancées possibles, c’est la technologie, explique l’une des auteures de la loi, Tarja Kröger. Il est tellement plus facile aujourd’hui de travailler à distance, et donc d’avoir une meilleure maîtrise de son emploi du temps. Pour elle, les entreprises aussi ont beaucoup à y gagner : « Les gens sont tellement plus productifs quand leur emploi du temps leur permet de trouver une équilibre entre les exigences de leurs vies privée et professionnelle ». De nombreuses études lui donnent raison, comme ce sondage HSBC selon lequel pour 89% des gens, le travail flexible est une bonne raison d’être plus productif/productive. Ceux/celles qui font une partie de leur travail à distance se sentent également plus heureux/heureuses et plus valorisé.e.s que les autres, selon cette étude américaine.

Si le télétravail et la flexibilité ont convaincu les Finlandais.es plus rapidement que les autres peuples, c’est certainement grâce à une culture de la confiance plus forte qu’ailleurs. Selon une étude Eurobaromètre, parmi tous les Européen.ne.s, ce sont les Finlandais.es qui se font le plus confiance les un.e.s les autres. On peut l’expliquer par plusieurs choses : un modèle social fort qui assure plus d’égalité et de sécurité financière, et une culture du consensus qui engendre une grande confiance dans les institutions. Dans les entreprises, cela veut dire qu’on part du principe qu’un.e salarié.e en télétravail va effectivement travailler – pas dormir toute la journée.

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De plus, les entreprises finlandaises ont des organigrammes plus plats qu’ailleurs et les travailleurs/travailleuses y bénéficient de plus d’autonomie au travail. Ils/elles y sont plus responsabilisé.e.s dans toutes les autres dimensions de leur vie professionnelle. Ils/elles ont aussi une meilleure maîtrise de leur vie dans son ensemble. Seuls 4% des Finlandais.es travaillent plus de 50 heures par semaine. Le travail n’occupe pas toute la place dans leur vie : les loisirs, le sport, la famille, ou les vacances sont essentiels.

La culture scandinave de la collaboration joue également un rôle critique. C’est avec les employeurs/employeuses et les syndicats que les politiques ont conçu la nouvelle loi en 2019. Et du coup, l’adoption du nouveau texte a rencontré peu de résistance. Les syndicats se sont contentés d’alerter sur les dangers du brouillage croissant entre vie privée et vie professionnelle dans le télétravail. Libres de travailler quand ils/elles le veulent, certain.e.s pourraient se sentir contraint.e.s de travailler tout le temps, de rester connecté.e.s constamment. C’est pourquoi ces syndicats insistent sur l’importance de la communication. C’est le rôle des managers/manageuses de veiller à ce que les travailleurs/travailleuses isolé.e.s géographiquement restent relié.e.s à leurs collègues et ne souffrent pas de solitude.

Quelle est la poule et quel est l’œuf entre la flexibilité et la confiance ? Impossible de le dire, mais il est certain qu’il y a là un cercle vertueux. Plus il y a de liberté et d’autonomie, plus il y a de confiance. Et plus il y a de confiance, plus il y a d’autonomie. Il y a donc là une source d’inspiration pour tous les autres pays du monde. En France, la montée du télétravail a des conséquences qui vont bien au-delà du confort des salarié.e.s concerné.e.s. On peut parier qu’elle transforme le management en profondeur en faisant de la confiance un impératif.

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