La semaine de quatre jours dans la fonction publique : bientôt une réalité ?

24 oct. 2023

11min

La semaine de quatre jours dans la fonction publique : bientôt une réalité ?
auteur.e.s
Romane Ganneval

Journaliste - Welcome to the Jungle

Kévin Corbel

Journaliste Modern Work

contributeur.e

Après les entreprises privées, la fonction publique commence à s’intéresser à la semaine de quatre jours. Pour améliorer la qualité de vie de ses agents et répondre à un déficit d’attractivité, plusieurs municipalités et organismes à travers la France se lancent dans l’aventure malgré des contraintes de continuité de service et de volumes horaires spécifiques à leur statut. Éclairage sur les envies de mutation d’un secteur en crise et peu enclin aux changements structuraux.


« Je crois que beaucoup de Français aspirent aujourd’hui à travailler différemment, à trouver de la reconnaissance, mais aussi du sens et de la liberté d’organisation », voilà les mots qu’avait choisi en février 2023 Gabriel Attal, encore ministre des Comptes publics, au lancement de la première expérimentation de la semaine de quatre jours dans un service public. L’heureuse élue, l’Urssaf Picardie, invitait sur la base du volontariat ses agents à concentrer leurs trente-six heures de travail hebdomadaires sur quatre jours au lieu de cinq. Mais alors que 38 agents sur les 200 éligibles s’étaient dits intéressés par cette nouvelle organisation, ils seront finalement trois à sauter le pas… En cause ? Une mauvaise prise en compte des difficultés inhérentes à la fonction publique et des contraintes personnelles des agents. Seulement, Anne-Sophie Rousseau, la directrice de l’Urssaf Picardie, n’est pas prête à rester sur « un fiasco total ». Cet été, elle annonçait déjà le lancement prochain d’une nouvelle phase d’expérimentation, en prenant note des erreurs passées.

Si cette dernière ne lâche pas, c’est qu’elle n’est plus la seule à défendre la semaine de quatre jours dans les services publics et à croire en ses bienfaits. La Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) propose également depuis février 2023, pour les personnes aidantes, la possibilité de travailler quatre jours par semaine, là aussi sans réduction de temps de travail. S’ils ne sont qu’une vingtaine d’agents à tester ce nouveau dispositif pour le moment, c’est que le service des relations humaines « a volontairement décidé de prendre un petit panel de salariés pour en tirer les meilleurs enseignements », assure Jérôme Friteau, DRH de l’organisme.

À la communauté de communes du terroir de Caux, en Seine-Maritime, ou encore dans la commune de Neuilly-sur-Marne, c’est une formule un brin plus complexe qui a été retenue. Dans ces bureaux, les agents ont depuis quelques mois la possibilité de répartir leurs heures sur cinq, quatre jours et demi ou quatre jours de travail. À Saint-Étienne-du-Rouvray, les salariés alternent quant à eux entre une semaine de quatre et de cinq jours.

En septembre dernier, la métropole de Lyon - gérée depuis 2020 par les écologistes - qui ont toujours défendu l’impact positif de cette mesure sur le climat - s’est également lancée dans une phase d’expérimentation en suivant 300 volontaires sur plusieurs mois. À terme, le service des ressources humaines souhaiterait rendre éligibles 5 500 agents à la semaine de quatre jours, dans le but de « renforcer l’égalité femmes-hommes et favoriser l’équilibre vie personnelle et vie professionnelle », a indiqué dans un communiqué Bruno Bernard, président de la métropole de Lyon.

« Comme (…) nous ne pouvons pas augmenter les salaires comme nous le souhaitons, nous devons être plus exigeants sur la qualité de vie au travail et le bien-être de nos agents » - Zemorda Khelifi, vice-présidente de la Métropole de Lyon

La semaine de quatre jours pour mieux recruter et faire baisser l’absentéisme

Confrontée à une concurrence du privé sur les salaires - les salaires du public ont augmenté de 1,8 % dans le public en 2022, contre +4 % en moyenne dans le privé - et à une raréfaction des profils, la fonction publique a de plus en plus de mal à recruter ses agents. Tous les corps de métiers de la fonction publique nationale, territoriale et hospitalière sont touchés. Rien qu’en 2023, on estime à 58 000, le nombre de postes non pourvus dans l’Hexagone. Et la situation n’est pas près de s’arranger puisque les candidats aux concours de la fonction publique d’État ont chuté de 650 000 en 1997, à 228 000 en 2018. Alors, comme rempart à ce désamour, certains responsables des ressources humaines des établissements publics tentent de dépoussiérer l’image trop rigide de leur organisation et du manque d’autonomie laissée à ses agents, en brandissant la carte de la semaine de quatre jours. Cette mesure pour rester attractif a déjà fait ses preuves outre Manche, où le conseil de district du South Cambridgeshire a décidé de renouveler son test de la semaine de quatre jours pour douze mois supplémentaires suite aux excellents résultats obtenus début 2023, comme l’affirmait au Monde sa présidente, Bridget Smith : « Nous avons réussi à convaincre des personnels, qui voulaient nous quitter, de rester. »

« Comme nous n’avons pas la main sur les 1 607 heures que les agents sont tenus juridiquement d’effectuer chaque année et que nous ne pouvons pas non plus augmenter les salaires comme nous le souhaitons, nous devons être plus exigeants sur la qualité de vie au travail et le bien-être de nos agents », explique Zemorda Khelifi, vice-présidente de la Métropole de Lyon en charge des ressources humaines. Après leur élection en 2020, les écologistes ont d’abord commencé par intensifier le recours au télétravail avant de chercher des mesures compensatoires pour les agents qui n’y étaient pas éligibles. C’est là que l’idée de la semaine de quatre jours s’est imposée. Une solution largement plébiscitée par les agents du service public qui sont 79 % à être favorables à la semaine de quatre jours comme contrepartie, quand le télétravail n’est pas possible, selon une enquête OpinionWay pour Le Sens du service public. Pour Frédéryque Cottard, responsable des ressources humaines à la communauté de communes du terroir de Caux, cette aspiration à plus de bien-être au travail prend du poids même auprès des salariés les plus réfractaires à la semaine de quatre jours. Si certains préféraient plus de télétravail, « ils ont nettement changé d’avis suite à ce nouveau rythme », rapporte la responsable.

« La mise en place de la semaine de quatre jours avec les contraintes de l’hôpital n’est pas facile à obtenir de la direction qui craint de nouvelles embauches alors qu’on manque déjà de moyens. » - Jacqueline Le Pennec, présidente du syndicat Acteurs Santé CFE-CGC

Autre argument de poids en faveur de la semaine de quatre jours pour les responsables de ressources humaines : la réduction de l’absentéisme - et il y a urgence ! Selon l’Observatoire de l’absentéisme dans le secteur public, réalisé par WTW auprès de 10 930 collectivités employant 273 000 agents en France (juillet 2023), près d’un agent sur deux s’est absenté au moins une fois dans l’année (+30 % par rapport à 2021). Pour 60 % des personnes interrogées, cet état de fait est lié à l’usure professionnelle, suivi par le manque de motivation et d’engagement pour près d’un agent sur deux. Au CHU de Nantes où le syndicat Acteurs Santé CFE-CGC essaie de convaincre la direction de tester la semaine de quatre jours pour les personnels non-médicaux dans une unité de soins, environ 10 à 15 % des personnes manquent chaque jour à l’appel. « La mise en place de la semaine de quatre jours avec les contraintes de l’hôpital n’est pas facile à obtenir de la direction qui craint de nouvelles embauches alors qu’on manque déjà de moyens. De notre côté, on pense que cette mesure va nous aider à fidéliser nos agents et diminuer le taux d’absentéisme abyssal qui paralyse notre fonctionnement », argue Jacqueline Le Pennec, présidente du syndicat au sein de l’établissement hospitalier. Si aucun chiffre n’existe pour le moment côté public, l’argument fonctionne en tout cas dans le secteur privé : d’après une large étude menée au Royaume-Uni cette année, les 61 entreprises qui sont passées à la semaine de quatre jours ont enregistré en moyenne une baisse de 65 % de l’absentéisme sur la phase de test. Il convient toutefois de rappeler que les organismes privés ont une marge de manœuvre plus importante en termes de modification du volume horaire.

En plus des arguments d’attractivité, de santé et de bien-être au travail, la semaine de quatre jours permet aux agents de se concentrer sur d’autres activités qui sortent de leurs sphères professionnelles. « L’un de mes expérimentateurs est prof de judo à côté, il donne des cours le vendredi. La semaine de quatre jours lui permet d’avoir plus de temps à consacrer à cette pratique plutôt que de ne faire que quelques heures chaque soir », explique Jérôme Friteau de la Cnav. Les salariés aidants, avec un proche en situation de handicap, âgé ou en perte d’autonomie, tirent également profit de ce nouveau rythme, qui leur permet de mieux concilier leur vie professionnelle et vie personnelle. « Dans nos services, la semaine de quatre jours ne s’applique qu’aux agents qui ont des statuts particuliers comme les aidants ou ceux qui ont un conjoint qui habite loin », détaille Malek Prat, responsable des relations presse à la Caisse des dépôts. D’après la Direction de la recherche des études de l’évaluation et des statistiques, 9,3 millions de personnes en France seraient concernés par cette problématique.

Dernier point, pour les chargés de ressources humaines qui défendent la semaine de quatre jours dans les établissements publics, cette organisation favorise également l’égalité femmes-hommes au travail. « Parmi les personnes qui se sont portées volontaires pour la semaine de quatre jours, il y a quelques personnes qui étaient jusqu’à présent à temps partiel et qui vont pouvoir reprendre un temps plein, observe Zemorda Khelifi de la Métropole de Lyon. C’est intéressant parce que ces femmes - chez nous, ce sont principalement des femmes qui sont à temps partiel - sur qui reposait la charge des enfants vont voir leur pouvoir d’achat augmenter. De leur côté, les pères de famille vont pouvoir davantage s’investir dans l’éducation de leurs enfants et autres tâches ménagères, puisqu’ils auront plus de temps pour eux. » En France, les emplois à temps partiel restent encore occupés à 80 % par des femmes. Le fameux « 4/5e » en est une forme choisie par de nombreuses salariées désireuses de se dégager un jour de liberté supplémentaire, parce qu’elles ne parviennent souvent plus à prendre sur elles les deux tiers des tâches parentales et des corvées domestiques avec un travail à temps plein.

La semaine de quatre jours sans réduction du temps de travail, une modalité qui complexifie sa mise en place dans le service public

Pour autant, peut-on vraiment parler d’une semaine de quatre jours s’il n’y a pas de réduction du temps de travail ? C’est la question que pose Éric Heyer, directeur du département “analyse et prévision” de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) en faisant bien la distinction entre semaine de quatre jours et semaine “répartie” sur quatre jours. Contrairement à la semaine de quatre jours, « la semaine en quatre jours n’est pas plébiscitée par les salariés », détaille l’économiste au Monde. Pour Anne-Sophie Rousseau de l’Urssaf Picardie, c’est justement ce point qui a fait défaut à la première expérimentation menée dans son établissement : « Comme nous n’avons pas la possibilité d’offrir la semaine de 32 heures à nos agents, nous avons proposé de répartir les 36 heures hebdomadaires sur quatre jours, ce qui revient à travailler neuf heures par jour sans prendre en compte la pause-déjeuner, ni le temps de transports. » Résultat : des journées de travail plus éprouvantes et souvent incompatibles avec la vie de famille. Et ce n’est d’ailleurs sûrement pas un hasard si les trois volontaires picards étaient tous·tes… des femmes sans contraintes familiales.

« Le service public est composé de gens prudents, qui sont habitués à travailler dans une organisation qui les sécurise. Un nouveau modèle d’organisation, ça perturbe ! » - Jérôme Friteau, DRH de la Cnav

Autre frein : la rigidité des directions face à la mise en place de la semaine de quatre jours, qui s’apparente pour eux à un saut dans l’inconnu en termes d’organisation. « Il y a eu beaucoup d’appréhension, car le service public est composé de gens prudents, qui sont habitués à travailler dans une organisation qui les sécurise, raconte Jérôme Friteaux de la Cnav. Un nouveau modèle d’organisation, ça perturbe ! Il y a eu de la réticence au départ. » Au CHU de Nantes, où la semaine de quatre jours devait être testée à partir de l’automne 2023, la direction ne cesse de repousser l’échéance au grand dam des syndicats qui portent le projet. « On est en train de nous la faire à l’envers, dénonce Jacqueline Le Pennec, le départ en retraite du directeur qui suivait le projet retarde tout. On s’attend désormais à un démarrage pour la fin de l’hiver, c’est frustrant car de notre côté cela fait plus d’un an qu’on prépare ce dispositif. » Les établissements de service public, du fait de contraintes de productivité et de limites de budget, avancent à pas de loup sur les nouvelles mutations du monde du travail.

Enfin, l’obligation de continuité de service et l’accueil du public complique encore la généralisation d’une telle mesure. « Si on outrepasse l’argument de l’intensification du travail, il ne faut pas oublier qu’on ne peut pas donner le même jour off à tous les agents d’un même service parce qu’on ne pourrait plus accueillir le public, ce qui est un peu le sens premier de notre mission, explique Carole Chapelle de la CFDT fonctions publiques. Donc, quelle est la solution ? Créer des disparités entre les agents ? Faire des emplois du temps à la carte selon les contraintes de chacun ? Pour moi, en plus d’être un facteur de désorganisation majeur, ça participe à l’individualisation du travail et donc, dégrade le collectif. »

Une organisation de la semaine de quatre jours qui évolue au fil des tests

À l’Urssaf de Picardie, on n’a pas peur de retenter l’expérience. Et cette fois, l’idée est d’aller plus loin dans la recherche de flexibilité. « Il y avait de la rigidité sur le protocole qu’on avait envisagé. Nos trois salariées en semaine de quatre jours avaient pris le mercredi comme jour off mais elles souhaitaient parfois changer pour mieux gérer leurs échéances à l’approche de jours fériés par exemple. On a ouvert cette possibilité sous réserve d’un délai de prévenance. », explique Anne-Sophie Rousseau. Mais ne pouvant descendre en dessous des 36 heures hebdomadaires, les agents restent contraints de travailler 9 heures par jour s’ils aspirent à un troisième jour de repos. Pour la directrice de l’établissement, qui est consciente des contraintes de volume horaire qui pèsent sur le service public, il s’agit davantage d’améliorer les conditions de travail de chaque agent : « Si seulement trois personnes sont satisfaites par ce scénario horaire, c’est déjà bien. Pour nous, la semaine de quatre jours n’est qu’une solution parmi d’autres. On se dit que la jeune génération qui arrive sur le marché du travail pourrait être intéressée. »

« C’est un dispositif qui ne doit pas être imposé par le gouvernement, sinon ça ne marchera pas. Il faut convaincre les décisionnaires. » - Éric Heyer, directeur du département “analyse et prévision” de l’OFCE

La semaine de quatre jours ne tend pas à se généraliser dans le service public

Pour autant, « il est faux de penser que la semaine de quatre jours, c’est possible partout, affirme Virginie Durand de la commune de Saint-Etienne-du-Rouvray, il faut qu’on soit disponibles pour les habitants en semaine, or nous n’avons pas assez d’agents pour effectuer un véritable roulement. » Malgré l’envie d’une majorité d’acteurs d’accorder plus de flexibilité aux agents du service public, la démocratisation totale de la semaine de quatre jours dans ce secteur semble relever de l’utopie. « Dans la commune, les personnes éligibles sont celles qui n’interagissent pas avec le public. À cause de cette condition, un agent d’accueil, un agent de déchetterie ou un agent de crèche ne peut pas accéder à la semaine de quatre jours », rappelle Frédéryque Cottard de la communauté terroir de Caux. Les différents organismes sont d’ailleurs bien conscients qu’une généralisation du dispositif est illusoire.

S’ajoute à cela l’aspect facultatif du dispositif, biais non-négligeable sur le réel impact de la semaine de quatre jours dans le secteur public. « Chez nous, ça peut prendre plus de temps d’avoir des résultats concrets car nous n’imposons pas la semaine de quatre jours, cela se fait uniquement sur la base du volontariat », rappelle Jérôme Friteau de la Cnav. Pour l’économiste Éric Heyer, également spécialiste du marché du travail, la semaine de quatre jours ne sera une bonne chose que si et seulement si elle est réellement voulue par les directions et le management. « C’est un dispositif qui ne doit pas être imposé par le gouvernement, sinon ça ne marchera pas. Il faut convaincre les décisionnaires en leur montrant les expériences qui ont réussi, les hausses de productivité, du bien-être, etc. La semaine de quatre jours est aujourd’hui une des solutions pour rendre le travail et ses conditions plus acceptables. C’est ainsi que l’on réglera la crise que subit aujourd’hui la valeur travail. »

Les organismes publics auraient donc tout intérêt à étendre cette mesure du mieux qu’ils peuvent en fonction des contraintes pour que leurs agents rejoignent les quelque 10 000 salariés français qui profitent déjà de la semaine de quatre jours. Mais ? Pour l’instant, peu de décideurs publics conçoivent cette nouvelle organisation comme une finalité, à l’image de Jérôme Friteau : « Si je me rends compte que, finalement, la semaine de quatre jours ne fonctionne pas dans la durée, je n’aurais absolument aucun état d’âme à l’abandonner pour tester autre chose. »


Article édité par Clémence Lesacq - Photo Thomas Decamps pour WTTJ

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