Semaine de 4 jours : soutien ou frein à l’égalité hommes-femmes ?

26 sept. 2023

6min

Semaine de 4 jours : soutien ou frein à l’égalité hommes-femmes ?
auteur.e
Laetitia VitaudExpert du Lab

Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes

Au-delà des obligations légales, certaines initiatives favorisent (avec plus ou moins de succès) l'égalité professionnelle au travail. On évoque ainsi allègrement la lutte contre les stéréotypes à l'embauche, le soutien à la parentalité ou encore l'obligation de transparence salariale. On parle moins, en revanche, de la semaine de 4 jours. Pourtant, notre experte Laetitia Vitaud nous prouve, qu'à bien des égards et sous certaines conditions, elle peut également peser dans la balance vers plus d'égalité.

La semaine de 4 jours -en libérant un jour supplémentaire pour des activités en dehors du travail- offre indéniablement des avantages en matière de bien-être, de qualité de vie au travail (QVT) et de conciliation entre sphères pro et perso. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle a le vent en poupe ces temps-ci ! Elle concentre tous les débats sur la baisse du temps de travail. En 2023, même les syndicats de l’industrie automobile américaine se sont mis à la réclamer pour les ouvriers.

Puisqu’on en attend presque des miracles, la semaine de 4 jours pourrait-elle être aussi un vecteur d’égalité femmes-hommes ? Son impact semble a priori très positif. En offrant aux femmes et aux hommes davantage de temps pour s’occuper de leur famille et de leur foyer, elle allège la charge mentale qui pèse plus lourdement sur les femmes jusqu’à présent. Si chacun en bénéficie, elle peut aussi permettre de mieux distribuer les tâches domestiques et parentales. Ce qui est forcément bon à prendre, non ? Mais est-ce une avancée qui va forcément de soi ? N’est-elle pas soumise à certains pré-requis ?

Plus d’égalité de revenus

Je suis fermement convaincue qu’en réduisant la place du travail dans la vie, on agit favorablement sur l’égalité entre les hommes et les femmes. À l’échelle globale, ces dernières assument encore plus des deux tiers des corvées ménagères et des tâches parentales. Leur vie professionnelle (et personnelle) reste alourdie par une charge mentale qui les freine dans leur carrière. Un jour libre supplémentaire, c’est donc forcément un bol d’air pour les personnes qui suffoquent le plus !

Dans de nombreux secteurs, les emplois de la « réussite » reposent encore sur une logique sacrificielle et des horaires délirants. Des traders aux chirurgiens en passant par les consultants en stratégie ou les banquiers d’affaires, on glorifie le surtravail. Dans ces hautes sphères, on cravache plutôt 6 jours que 5 et 70 heures au lieu de 35. Aux États-Unis, on parle de « greedy jobs » en évoquant ces emplois qui requièrent un tel investissement en temps qu’ils empêchent tout équilibre de vie. Des jobs qui contribuent pour beaucoup à l’écart de « réussite » entre hommes et femmes, car ils excluent les travailleurs qui ne peuvent ou ne veulent pas bosser 70 heures par semaine, parmi lesquelles les mères de familles et les aidants.

Si vous faites votre temps plein en 4 jours et n’êtes plus obligé·e de passer à temps partiel, c’est un gain indéniable…

Face à ce monde du travail-là, les femmes font en moyenne des choix qui les pénalisent financièrement. Beaucoup vont vers des carrières moins rémunératrices où l’on n’exige pas tant d’heures hebdomadaires, d’autres évitent les promotions afin qu’on ne leur en demande pas davantage, sans oublier celles qui finissent par demander un temps partiel face aux exigences de leur vie de famille. En France, les emplois à temps partiel restent occupés à 80 % par des femmes. Le fameux « 4/5e » en est une forme choisie par de nombreuses cadres désireuses de se dégager un jour de liberté supplémentaire, parce qu’elles ne parviennent souvent plus à prendre sur elles les deux tiers des tâches parentales et des corvées domestiques avec un travail à temps plein.

Ces choix se payent cher. Ils se traduisent par une perte de revenus et un statut plus précaire au moment de la retraite (cette dernière reste aujourd’hui de près de 40 % inférieure à celle des hommes, de 28 % si on intègre la pension de réversion). Par conséquent, n’y allons pas par quatre chemins : la semaine de 4 jours est un élément essentiel pour limiter cet écart ! Si vous faites votre temps plein en 4 jours et n’êtes plus obligé·e de passer à temps partiel, c’est un gain indéniable…

Plus d’égalité au travail et dans la vie

Il n’y a pas que l’argent qui compte. La semaine de 4 jours, si elle est mise en place intelligemment, conduit forcément à une réorganisation du travail pour faire la chasse au gaspillage et en finir avec le présentéisme inutile. Ce dispositif invite à gagner en productivité, à briller par ses résultats plutôt que par ses discours ou sa seule présence. Il signe, entre autres, la fin de la réunionite, qui a un impact disproportionné sur les personnes avec des responsabilités familiales. Les femmes sont désavantagées quand elles ne peuvent pas y participer. La suppression de réunions inutiles (et excessives) contribue à créer un environnement de travail plus équitable où les femmes ont de meilleures chances de progresser.

Passer de 5 jours hebdomadaires travaillés à 4, c’est aussi donner plus de place aux autres facettes de l’existence, aux autres rôles qu’on occupe. En libérant ces activités qui n’existent habituellement que dans les quelques interstices laissés par un travail trop prenant, on revalorise le rôle de parent, de homemaker, de bénévole, de passionné·e de sport, de musicien·ne amateur… À grande échelle, la semaine de 4 jours peut avoir une influence culturelle considérable et inviter hommes et femmes à participer davantage aux tâches parentales et domestiques, d’une manière plus valorisante.

Les hommes se disent plus investis dans le rôle de parent que leurs propres pères. Les pères divorcés sont plus nombreux à passer du temps avec leurs enfants à intervalles réguliers. S’ils y consacrent encore nettement moins de temps que les mères, n’est-ce pas aussi parce que les attentes du travail ne leur facilitent pas la tâche ? On sait qu’un allongement du congé second parent pourrait avoir un effet important sur le partage des rôles au sein des foyers. Il pourrait en aller de même de la semaine de 4 jours. Si on y ajoute une dose de télétravail, de nombreux hommes pourraient passer durablement plus de temps chez eux et s’investir toujours plus dans la vie du foyer !

Attention à la « fausse » semaine de 4 jours et ses effets pervers

On l’a dit, la semaine de 4 jours a le vent en poupe. Mais tout le monde ne parle pas de la même chose. Certains parlent de réorganiser le travail de manière à réduire le temps de travail, tandis que d’autres parlent de concentrer en 4 jours le travail réalisé en 5. Dans ce dernier cas, on fait des journées plus longues et on accumule plus de stress. La Belgique, par exemple, a récemment passé une loi sur la « semaine de 4 jours » qui autorise à faire quatre journées nettement plus longues. Pour les salariés, le gain de flexibilité peut éventuellement être salutaire, mais on ne gagne pas en temps libre.

Le temps libre, c’est bien, mais si c’est pour faire encore plus de ménage et de courses, est-ce vraiment un cadeau ?

Ce que j’appelle ici de manière un peu provocatrice la « fausse » semaine de 4 jours n’est pas adaptée à toutes et tous. Si avec une journée de travail normale, il vous est déjà difficile d’arriver à l’heure à la crèche pour chercher votre enfant, cela ne risque pas de s’arranger avec une journée de travail à rallonge ! Pour celles et ceux qui ont des responsabilités parentales et sont déjà fatigués et stressés, la possibilité de concentrer davantage de boulot sur quatre jours au lieu de cinq n’est donc pas forcément une bonne option. Idem pour les aidants, parmi lesquels on trouve… beaucoup de femmes.

On peut aussi se demander si la semaine de 4 jours (y compris la « vraie ») ne comprend pas quelques effets pervers inattendus. En matière d’égalité femmes-hommes, le diable se cache souvent dans les détails et les angles morts. Puisque la semaine de 4 jours n’est pas universelle (loin s’en faut), il est probable que dans un foyer avec plusieurs adultes actifs, tout le monde ne soit pas concerné. Que se passe-t-il si une femme (également mère) est en couple avec un homme qui travaille 5 jours ? Il est probable que son jour libre supplémentaire soit intégralement absorbé par les tâches domestiques et parentales, et que leur répartition devienne encore plus inégalitaire. Le cinquième jour devient un jour de corvées pas partagées du tout.

Le temps libre, c’est bien, mais si c’est pour faire encore plus de ménage et de courses, est-ce vraiment un cadeau ? Les vacances des femmes sont déjà moins reposantes, la répartition des tâches domestiques étant encore souvent plus inégalitaire pendant les congés ! Sans compter que même en télétravail, elles se font souvent piéger par la flexibilité que leur offre cette possibilité d’être à la maison : faire plus de lessives et se montrer davantage disponibles pour les enfants accentuent les inégalités de genre. Alors oui, avec la semaine de 4 jours, au moins, elles ne subissent par le sacrifice financier d’un 4/5e…

La semaine de 4 jours offre des perspectives très positives pour l’égalité hommes-femmes au travail et dans la vie quotidienne. Elle peut contribuer à réduire la charge mentale des femmes en matière de tâches domestiques et parentales, tout en leur permettant de maintenir un emploi à temps plein. Mais encore faut-il qu’elle s’accompagne d’une volonté de promouvoir l’égalité femmes-hommes. Toutes choses égales par ailleurs, on ne peut pas s’attendre à des miracles !

Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.

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