SOS Managers en détresse : « Je ne sais pas déléguer »

24 nov. 2021

6min

SOS Managers en détresse :  « Je ne sais pas déléguer »
auteur.e
Gabrielle de Loynes

Rédacteur & Photographe

contributeur.e

SOS MANAGERS EN DÉTRESSE - Quand vous avez été promu·e manager, vous étiez (avouez-le) loin d’imaginer ce que diriger une équipe impliquait vraiment. Car trouver le juste équilibre entre leadership, bienveillance et équité, en autres choses, relève dans certaines situations du parcours du combattant. Dans cette série, notre expert du Lab Ludovic Girodon vous offre enfin les clés pour sortir la tête de l’eau face à vos problématiques du quotidien. Managers, suivez le guide !

Dans l’imaginaire collectif, le/la manager est une sorte de Superman. Omniscient·e, omnipotent·e, il/elle solutionne tous les problèmes. Alors à quoi bon déléguer ? D’ailleurs, la majorité des managers en sont incapables. Peut-être est-ce votre cas ? Il y a le/la « manager flic », qui contrôle tout. Le/la « manager parent », qui veut faire à la place de son/sa collaborateur·rice. Et celui/celle qui ne veut pas lâcher l’opérationnel… Qui sont-ils/elles ? Pourquoi n’y parviennent-ils/elles pas ? Et comment les aider ?

Déléguer ou « faire faire » ?

L’incapacité à déléguer touche de nombreux·ses managers… Un héritage que l’on doit probablement « au style de management du XXe siècle, marqué par le présentéisme et le poids hiérarchique, analyse Ludovic Girodon. Si l’on assiste à une progressive déconstruction de ce modèle archaïque, la mutation prend du temps. « Le/la manager, qu’on a longtemps doté de super pouvoirs, doit apprendre à se rendre dispensable, explique le conférencier. Car la première problématique du manager du XXIe siècle, c’est le manque de temps. Et la délégation est la réponse à cette problématique ».

DÉ-LÉ-GUER. Un verbe simple en apparence, mais que signifie-t-il vraiment ? « C’est un mot valise, déplore Ludovic Girodon. On lui prête quantité de significations ». Et on le confond à tort avec la notion de « faire faire ». « Un manager qui “fait faire” va dispatcher des tâches à son équipe. Chacun va disposer de son propre terrain de jeu, précise-t-il. Au contraire, la délégation est un acte bien plus fort et plus lourd. Il implique un transfert de pouvoirs et de responsabilités du manager à son collaborateur. Le manager prête à son co-équipier une partie de son terrain de jeu. Il confie une mission qui lui incombe à un membre de son équipe qui agit alors en son nom ».

Faire faire ou déléguer, on a tendance à s’emmêler les pinceaux. Et pourtant, c’est ce mélange des genres qui conduit nombre de managers à défendre leur pré carré. Mais à force de la jouer solo, de courir d’un bout à l’autre de son vaste terrain de jeu sans jamais passer la balle, le/la manager s’essouffle…

« J’aurais été aussi vite en le faisant moi-même »

Victor est le fondateur d’une agence de design produit. Cet autodidacte est un indépendant dans l’âme. Il a d’ailleurs toujours travaillé seul. Mais un jour, c’est le rush. Et, pour faire face aux commandes qui déferlent, Victor recrute une alternante. « Je voulais lui déléguer des tâches pour me permettre de me concentrer sur ma relation client, explique-t-il. Je recherchais véritablement une personne autonome et exécutante. Mais j’avais complètement négligé le temps de formation qu’il fallait lui accorder ».
Victor doit sans cesse surveiller le travail de sa nouvelle recrue. « Moi qui pensais gagner du temps en déléguant des tâches, je me suis aperçu qu’il fallait en prendre pour superviser son travail, avoue-t-il. Je devais régulièrement lui expliquer les consignes, répondre à ses questions, relire et corriger son travail. En fait, j’aurais été aussi vite en le faisant moi-même, même plus vite ! » Rapidement, il se rend compte de son erreur : « J’attendais de sa part qu’elle soit autonome, qu’elle me fasse gagner en efficacité et en rentabilité. Au contraire, je perdais du temps et de l’argent ». Victor craque, il finit par contacter une freelance, plus autonome, créative et expérimentée. « C’était le jour et la nuit, souffle-t-il. L’alternance ne convenait pas à ma petite structure et ma personnalité ».

L’œil de l’expert : Avant de se poser la question de savoir si l’on est capable ou non de déléguer, il faut s’interroger sur la personne à qui l’on délègue et les raisons qui nous poussent à le faire. « Ce n’est pas la même chose de déléguer à une alternante junior ou une freelance expérimentée, souligne Ludovic Girodon. Le manager doit en prendre conscience. Moins il a de temps à consacrer à la formation, plus la délégation doit se faire auprès d’une personne senior ». Pour sous-traiter sereinement une partie de son travail, encore faut-il trouver la bonne personne. Une fois la perle rare dégotée, le consultant recommande de clarifier les rôles de chacun·e. « Il faut procéder à un entretien de délégation, propose-t-il. En tête à tête, le manager va pouvoir expliquer à son collaborateur pourquoi il décide de déléguer, pourquoi telle tâche et pourquoi lui déléguer à lui ? L’entretien sert aussi à recueillir le consentement de celui qui reçoit la délégation. À cette occasion, le manager va pouvoir armer son délégataire pour le représenter, lui livrer des conseils, des pistes de formation… ».

« J’ai mis mon nez un peu partout »

Fort de sa longue expérience de commercial, Maximilien accepte un poste de directeur commercial dans une start-up. Dès le début, avec l’équipe, le courant passe. « Mais rapidement, j’ai trouvé que certains commerciaux ne travaillaient pas comme moi, reconnaît-il. Ils étaient beaucoup plus dans le profil “tchatcheur”, “grande gueule”, là où j’attendais de la rigueur et de l’organisation. Ils étaient très orientés objectif-résultat, tandis que pour moi la manière d’atteindre ces résultats importait tout autant ».
Peu à peu, Maximilien s’immisce dans le travail de chacun. Lentement, il prend le contrôle. « J’ai commencé par contrôler leur manière de démarcher par téléphone, raconte-t-il. Puis le contenu de leurs mails. Je les ai accompagnés en rendez-vous. Je m’assurais du suivi post rendez-vous. Bref, j’ai mis mon nez un peu partout. Et j’ai bien vu que ça coinçait. La relation se tendait et les commerciaux s’éloignaient de moi, ils prenaient leurs distances. J’étais devenu le manager flic. » Lors d’une réunion d’équipe, Maximilien comprend que ses collaborateurs se sentent infantilisés. « Ça a été assez violent, reconnaît-il. J’avais l’impression d’être remis en cause dans mon autorité. Mais finalement j’ai pris le contre-pied et j’ai décidé de les laisser faire à leur manière pour voir ce que ça donnait. Peu à peu, j’ai compris que les résultats étaient là malgré tout. Alors, j’ai choisi mes combats. Je ne pouvais pas tout contrôler, il y avait certains process qu’il me tenait à cœur de recadrer, mais je ne pouvais pas être partout… Je devais lâcher prise ».

L’œil de l’expert : « La délégation est une forme de lâcher prise, observe Ludovic Girodon. Il ne faut pas attendre que le collaborateur agisse à l’identique du manager. Il doit accepter qu’il agisse différemment. Par l’entretien de délégation, le manager clarifie les rôles et détermine les terrains de jeu de chacun. Ensuite, le collaborateur va adopter son propre style et le manager pourra lui faire ses feedbacks lors d’un entretien de suivi ». Déléguer, c’est accepter de se faire représenter, mais ce n’est pas du clonage. « À partir du moment où le manager délègue, c’est qu’il estime que son collaborateur a les capacités de recevoir cette délégation, insiste-t-il. Il doit donc le laisser faire, en confiance. Le manager n’est pas là pour contrôler son délégataire, mais pour l’accompagner et le faire monter en compétence. C’est d’ailleurs une des vertus de la délégation, aider son collaborateur à aller au-delà de sa fiche de poste et progresser. C’est un super levier de reconnaissance ».

« Je n’arrivais pas à lâcher… C’était mon bébé »

Astrid a été recrutée comme responsable marketing dans une très jeune start-up. « À l’époque, raconte-t-elle, j’avais peu d’expériences. La petite taille de la structure a fait que l’on m’a confié d’emblée beaucoup de responsabilités. Je gérais toute la partie marketing de A à Z. J’avais la double casquette : opérationnelle et décisionnaire ». Puis, la start-up lève des fonds, et Astrid prend du galon. « Je suis devenue manager d’une équipe marketing, se souvient-elle. Je suis sortie de la partie opérationnelle. Dans l’idée, ça me plaisait, je montais en grade, mais en pratique, je n’arrivais pas à lâcher… C’était mon bébé. Jusqu’ici, je maîtrisais tout et soudain, j’avais l’impression de remettre les clés de la boutique à des nouveaux qui ne connaissaient pas le sujet ».
Astrid doit apprendre à endosser un nouveau rôle, confier ses tâches à de nouvelles recrues et déléguer… « Ça a été très compliqué, avoue-t-elle. L’équipe le vivait comme un manque de confiance. Je repassais sur tout, pour le principe. Je m’immisçais partout et ne laissais que très peu de marge de manœuvre à l’équipe ». Rapidement, Astrid est débordée, dépassée, elle s’essouffle. « Un jour, j’ai eu un déclic, se souvient-elle. J’ai compris que c’était trop pour une seule personne. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on a recruté ! Je n’avais plus à faire, mais à superviser. J’avais une connaissance globale du sujet et je devais être en mesure de prendre de la hauteur pour orienter l’équipe. Il m’aura fallu du temps, mais j’ai fini par comprendre mon nouveau rôle et l’endosser ».

L’œil de l’expert : « La particularité de la situation d’Astrid, relève Ludovic Girodon, est d’être passée du “faire”, à la délégation, puis au “faire faire”. Elle est passée par cette étape nécessaire de clarification des rôles, le sien et celui de ses collaborateurs. C’est une phase de deuil d’un rôle technique, pour endosser un nouveau rôle de manager ». Pour passer de l’un à l’autre, le/la manager doit entrer dans un processus de délégation. « Il ne suffit pas de se décharger de tâches fastidieuses sur ses collaborateurs, précise l’auteur, ni de chercher uniquement à gagner du temps, le manager doit avoir envie de déléguer. C’est à cela que l’on reconnaît un vrai manager coach. Non seulement il apporte des conseils techniques, mais en plus il cherche à faire progresser son équipe ».

Déléguer, voilà le remède que préconise Ludovic Girodon aux managers débordé.e.s. C’en est fini du/de la manager Superman qui sauve le monde en cape rouge et costume clinquant. Bas les masques ! Place au/à la manager coach, le discret Clark Kent qui agit dans l’ombre. Non moins brave et nécessaire pour la société, il/elle sait déléguer ses super pouvoirs et se rendre dispensable

Édité par Mélissa Darré, Photo par Thomas Decamps
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