« Je suis un éternel stagiaire de 3eme », Ludovic B, le youtubeur aux 30 métiers

10 nov. 2023

8min

« Je suis un éternel stagiaire de 3eme », Ludovic B, le youtubeur aux 30 métiers
auteur.e
Manuel Avenel

Journaliste chez Welcome to the Jungle

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L'expression « comme un lundi » n’a pas de prise sur lui. Un jour au bloc opératoire avec un chirurgien, l’autre installé dans le cockpit d’un avion, Ludovic B a embrassé la vie d’« éternel stagiaire de 3eme ». Avec son format « une journée avec » sur Youtube, il observe et fait découvrir des métiers à ses 367K abonnés. Rencontre.

On te connaît sur Youtube, mais avant cela tu as un parcours de journaliste. Qu’est-ce qui a précipité ce recyclage professionnel ?

Dans mon métier, j’étais arrivé à un stade où je ne trouvais plus trop de sens : je faisais du journalisme desk (c’est-à-dire que j’avais une heure pour écrire sur un sujet que je ne maîtrisais pas), puis après un passage en radio à bosser pour Cyril Hanouna, j’étais plutôt dégoûté du journalisme. À l’époque, je suivais déjà Cyprien sur Youtube et le déclic a été quand la monétisation est arrivée. Ça signifiait qu’on pouvait gagner sa vie en faisant des vidéos. Ça a changé ma vision des choses. Comme j’étais encore jeune, je me suis dit que j’allais tenter le truc. Avec quatre potes journalistes, on a démissionné pour lancer Le Tatou. On avait l’avantage d’être des pros de la communication sur une plateforme qui rassemblait essentiellement des autodidactes. En huit mois, la chaîne a explosé et on a commencé à en vivre. Depuis fin 2014, je suis YouTuber à temps plein.

D’où te vient l’idée du format « Une journée avec » ?

C’est un concept qu’on a d’abord testé sur le Tatou. On s’était dit que ça serait très cool de tester des quotidiens différents. On a suivi un cascadeur, une aide-soignante dans la ménagerie du jardin des plantes, un biérologue… Le truc hyper intéressant avec les métiers, c’est que même quand on a l’impression de les connaître, il n’en est rien. Comme je suis tombé sur la seule année où il n’avait pas de stage en troisième, c’est peut-être une revanche sur la vie. Maintenant, je suis un éternel stagiaire.

Est-ce que tu fais ça aussi parce que tu as eu du mal à choisir ton orientation ?

Je me suis posé beaucoup de questions, c’est vrai. J’ai fait des études scientifiques avec un Bac STL (Sciences techniques de laboratoire). Après une licence biochimie et génie biologique, j’ai enchaîné les petits boulots de serveur, d’agent immobilier.

Comment peut-on demander sérieusement à un adolescent de quinze ans ce qu’il veut faire plus tard ? Si j’avais vu une vidéo sur la réalité du métier de laborantin à cet âge-là, ma vie aurait été différente et c’est d’ailleurs, ce qui m’a motivé dans ce projet. Malheureusement pour moi, j’ai découvert qu’à la fin de mes études que mes journées consisteraient essentiellement à analyser des excréments… Un peu trop tard.

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Donc, tu essaies de répondre à des attentes d’un public qui pourrait être toi plus jeune, et qui aurait envie de savoir à quoi ressemble un métier sans le fantasmer ?

J’ai envie que les gens aient une vision plutôt honnête des différents métiers à la fois pour les jeunes qui veulent s’orienter, mais aussi les moins jeunes qui veulent se réorienter, ou tout simplement pour les curieux. Plus on est à comprendre la vie des autres, mieux on vit ensemble.

« J’essaie de lutter contre cette idée reçue que « si tu ne travailles pas à l’école, tu finiras garagiste, maçon, plombier… »

Parmi les métiers que tu as déjà fait découvrir, il y en a certains qu’on a l’impression de connaître comme hôtesse de l’air, boucher ou médecin généraliste. Mais aussi d’autres plus insolites comme « étancheur ». Comment choisis-tu les métiers que tu explores ? Et surtout, qu’est-ce qu’un étancheur ?

C’est toujours l’exemple que je cite ! Pour être honnête, au départ, je m’étais fait une liste avec 50 métiers que je voulais essayer. La chaîne a vachement bien marché, ce qui fait qu’il y a pas mal de fédérations, de syndicats de métiers qui sont venus me chercher en me demandant de faire découvrir leur profession. Aujourd’hui je ne cherche plus, j’ai trop de demandes de chambres de commerce ou d’abonnés. Un jour, la chambre syndicale des étancheurs de France m’a contacté pour me dire qu’elle voulait parler d’un métier qui embauche, qui permet d’avoir un bon salaire et dont le savoir-faire se perdait parce que personne ne connaît et que c’est difficile. Alors, qu’est-ce que c’est ? C’est quelqu’un qui fait des toits plats à base de revêtement goudronné de type supermarché ou bureau. C’est hyper important.

Merci, tu as satisfait ma curiosité. Entre tous ces métiers, est-ce que tu as trouvé des points communs et différences ?

La plupart des personnes que je rencontre sont passionnées par leur métier. Et même si elles ne le sont pas, ça leur tient à cœur. On ne peut pas dire n’importe quoi. Quand je fais une vidéo qui parle d’un métier, c’est marrant de voir que les premiers à regarder sont ceux qui font ce métier justement… Ils n’ont rien à découvrir, c’est leur vie ! Après, j’ai souvent des commentaires du genre : « hum, moi je n’utilise pas cette solution pour faire ça » ; « attends, il a utilisé le B40 ? Comment ça ! Il faut utiliser le X92 ». Certains sont juste contents qu’on parle enfin de leur vie.
Deuxième point commun, tous les métiers que je présente demandent des connaissances extrêmement poussées. J’essaie de lutter contre cette idée reçue que « si tu ne travailles pas à l’école, tu finiras garagiste, maçon, plombier… » Je trouve ça honteux de dénigrer des études et métiers manuels, alors qu’ils nécessitent des connaissances physiques, techniques et mentales très poussées. L’éducation nationale devrait arrêter de stigmatiser certaines voies d’études.

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D’autant plus qu’il est parfois extrêmement difficile de choisir dès le collège/lycée. Comment changer cela et améliorer l’orientation des jeunes ?

C’est tout le système qu’il faut revoir. Aujourd’hui, tu as deux solutions : le stage de troisième qu’on fait essentiellement chez ses parents, oncle, ou parents de potes, ou aller voir un conseiller d’orientation. Malheureusement, ces gens n’ont pas des connaissances pratiques sur tous les métiers. Il faut aussi s’adapter aux jeunes en utilisant leurs propres canaux de communication. C’est pour cela que j’ai choisi Youtube, et encore, c’est devenu trop vieux ! Je devrais être sur TikTok ou Instagram. Après, c’est toujours mieux que de lire des fiches qui résument un métier en quatre lignes.

On t’as vu tourner de l’œil au bloc opératoire… Parmi tes expériences, une t’as marqué plus que les autres ?

Le bloc déjà. Ce qui a été difficile, c’est que je suis phobique du sang… Je l’ai refait depuis, puisque j’ai suivi une infirmière avec qui j’ai passé une journée entière au bloc opératoire à observer une tumorectomie du foie. Ils ouvrent vraiment avec les écarteurs… Étrangement, ça ne m’a rien fait. C’est peut-être comme tout finalement, on finit par s’habituer. Si des personnes ont la phobie du sang et qu’ils se disent qu’ils ne peuvent pas travailler dans le médical, en fait c’est tout à fait possible.

Sur certains tournages, il arrive que je me demande ce que je fous là… Je me souviens aussi de cette journée passée un radioprotectionniste pour laquelle j’ai dû aller en zone nucléaire. C’était à la Hague dans le centre de traitement des déchets nucléaires. Ça m’a demandé plusieurs jours de préparation, ne serait-ce que pour obtenir l’autorisation d’entrer et de filmer dans des secteurs classés secret d’État. Et plusieurs jours de tests d’efforts physiques, médicaux, pour être sûr d’être en bonne santé. Car si on fait un malaise à l’intérieur, en fait, personne ne vient te chercher. Trop tard ! Les gros boutons et le béton partout, des combinaisons intégrales, des masques moulés qui te compressent, tout ça donne l’impression d’être au milieu de Tchernobyl ! Tu sais que lorsque tu entres, tu en as pour trois heures, tu ne peux pas juste faire un petit aller-retour.

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Après avoir découvert autant de métiers, tu n’as pas voulu poursuivre l’expérience avec certains et te réorienter ?

Alors si, mais il y a aussi beaucoup de métiers où je me suis dit, celui-là ce n’est pas pour moi. Dernièrement, je suis allé tourner dans les alpages suisses, un truc à 2000 mètres d’altitude. Le gars est berger. Il ne parle à personne pendant six mois. Il n’a pas d’eau courante, ni d’électricité. Il monte des côtes à pic pendant vingt kilomètres chaque jour. Ça, c’est pas pour moi. D’un autre côté, j’ai suivi un réalisateur d’émission de radio, et forcément ça m’a donné envie. Je suis comme un gamin car c’est ma première passion. Si ça s’arrête un jour, je repartirai sans doute dans le journalisme.

Je sais que tu ne les portes pas dans ton cœur, mais nous aussi on fait des fiches métiers. Est-ce que tu arriverais à me dire ce qu’est un consultant SaaS ?

Si c’est très bien les fiches métier, mais peut-être pas pour les jeunes… Ça doit être un truc informatique, réseau ou communication. Ça pue le développement. Hacker un truc comme ça ?

« Je suis très curieux, je pose des questions que tout le monde pourrait se poser. »

C’est quelqu’un qui conseille et accompagne des clients dans le transfert de leurs données informatiques vers des serveurs externes à l’entreprise.

Je n’étais pas loin. Je n’ai jamais fait comme métier, mais c’est très pointu.

Un actuaire ?

Actuaire ? Attends, il y a un piège car ça n’a rien à voir avec l’actualité. Le « aire » me fait penser à portuaire, mais je ne suis pas sûr d’être sur la bonne piste. Je n’ai aucune idée de ce que c’est. Même en racine latine.

Apparemment, c’est quelqu’un chargé de concevoir et/ou de modifier les contrats d’assurance, ou de mesurer les risques encourus par sa société.

On appelle ça un actuaire ? Je ne savais pas ! Bientôt à découvrir sur ma chaîne.

Attention plus exotique : un conchyliculteur ?

C’est un éleveur, soit d’escargots ou de chenilles. Dans l’eau ? Des algues, des moules, des huîtres. Oui, le Conchyliculteur est un éleveur de concombres de mer !

Plus généralement, un éleveur de coquillages.

Je m’en suis pas mal sorti quand même. Mais il faut savoir que moi je ne connais pas bien les métiers et typiquement quand on me demande de tourner une vidéo avec un conchyliculteur par exemple, mon but ce n’est pas de me renseigner. J’aime le fait que justement, je ne sais pas. Et comme je suis très curieux, je pose des questions que tout le monde pourrait se poser.

Allez, un dernier, issu de l’univers des start-up : le CTO

Ah oui ! le CTO c’est pas « Content » je ne sais pas quoi ? Il y a les CTA, « call to action ». Chief ? Chief technicien officier. Le nom des boulots dans les startups, c’est quand même une folie à retenir.

« Si demain il y a une guerre, on sait qui perdra son job en premier entre un chirurgien et un happiness manager. »

C’est celui qui a la responsabilité des nouvelles technologies et innovation dans l’entreprise. C’est vrai que c’est un délire les noms de métiers en startup, tu as une explication ?

Bon nombre d’articles expliquent que plus de la moitié des métiers de 2050 n’existent pas encore. On l’a vu avec l’arrivée d’internet. Quand j’étais petit, je n’ai pas marqué sur ma fiche d’orientation que je voulais être YouTuber, puisque ça n’existait pas. Ces métiers neufs peuvent faire rire car ce sont des acronymes. Typiquement, un boucher dans la startup ça devient un “Manager Meat Customer”. C’est parce qu’ils sont nés aux États-Unis pour la plupart. En revanche, je pense que tous les métiers ont un intérêt. Certes, si demain il y a une guerre, on sait qui perdra son job en premier entre un chirurgien et un happiness manager. Pareil pour moi, le monde se portera très bien sans mon travail.

Apparemment, il y aurait environ 11 000 appellations de métiers en France. 85% des métiers de 2030 n’existent pas encore. Il te reste du taf, non ?

Est-ce que tu sais que 90% des gens qui utilisent des statistiques pour prouver leurs dires, n’ont aucune idée de ces statistiques ? Je vais peut-être aller jusqu’à la retraite avec cette histoire ! Parce qu’en fait des métiers, il s’en crée tous les jours. Il y a bien un moment où je deviendrai un vieux con, parce que je pense que c’est un passage obligé dans la vie. Mais, pour l’instant, j’essaie de garder ma curiosité intacte. Il me reste encore beaucoup de taf. Et dans quelques années, pourquoi ne pas bosser avec l’Éducation nationale sur des sujets d’orientation ?

Article édité par Romane Ganneval ; photo par Thomas Decamps.

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