Ras le feedback : quand trop de retours (même constructifs) nous démoralisent

23 févr. 2023

6min

Ras le feedback : quand trop de retours (même constructifs) nous démoralisent

Huit heures, entrée dans l’open-space : « Oh là, ça va ? T’as l’air crevé ! » Dix heures, sortie de réunion : « Top, mais la prochaine fois : tu peux être plus bref. » Midi, déjeuner d’équipe : « Au fait, super ton dossier, tu verras j’ai juste fait 2-3 modifs ». Dix-huit heures : « Tu n’oublies pas de répondre à untel ? »

Depuis que l’on préconise le feedback, on nous le sert à toutes les sauces. Points hebdos, “one-to-one”, entretiens trimestriels, bilan annuel, brainstorming d’équipe, les retours se multiplient et c’est une bonne chose. Mais à force d’en avaler, ne finit-on pas par en être écœuré ? Parfois infantilisant, quelque fois décourageant, pour certains c’est l’indigestion, le rejet. Ras le feedback ! Mais peut-on dire stop et poser ses limites ? Et quand est-ce que trop de retours c’est vraiment trop ?

« On est passé en quelque sorte d’une culture ‘’zéro feedback’’, à une culture ‘’full feedback’’ », analyse Cécile Pichon, psychologue et coach. Si le feedback trouve son étymologie dans le verbe ‘’to feed’’ qui signifie ‘’se nourrir’’, et ‘’back’’ qui veut dire ‘’en retour’’, ce n’est pas anodin. En matière de management, comme en nutrition, « il suffit que l’on fasse une découverte scientifique, pour qu’elle soit reprise à outrance », constate l’experte. Tout le monde se met à suivre le même régime. Pourtant, « les envies et les besoins, c’est à dire la quantité et la qualité du feedback que l’on souhaite recevoir, dépendent de chacun », explique-t-elle. À chacun donc, de déterminer le régime qui lui convient.

Feedbacks : sommes-nous tombés dans l’excès ?

Pas question de bannir le feedback de notre quotidien. Cécile Pichon ne préconise ni le jeûne, ni la diète. « Le feedback est nécessaire, même s’il est source d’inconfort, observe-t-elle. Il repose sur un instinct de survie de l’espèce humaine : le besoin primaire d’intégration. En effet, le cerveau passe son temps à essayer de lire l’approbation de l’autre dans ses moindres faits et gestes. » Recevoir des feedbacks est donc un besoin vital et il nous aura fallu du temps pour nous en apercevoir. « Sans feedback, remarque la psychologue, nous sommes plongés dans l’incertitude, voire le danger. L’absence totale de feedbacks est aussi une source de stress et nous empêche de nous situer. »

La question n’est donc pas tant : est-ce que nos managers en ont abusé ? Mais plutôt : est-ce que qu’ils s’y prennent bien ? Pour l’illustrer, Cécile Pichon emploie la métaphore de l’enfant à table : « Si on lui dit en permanence : tiens-toi droit, ferme la bouche quand tu mâches, essuies-toi la bouche, ne pousse pas avec ton couteau… L’enfant est noyé sous les consignes et ne retient pas l’essentiel, à savoir : mange ton assiette. » Votre manager doit évidemment se soucier de la bonne quantité de feedbacks, mais également de sa qualité et de l’intention qui le provoque. « Parfois, l’excès de feedbacks entraine une réelle perte d’impact, constate la psychologue. Pour que le message passe bien, encore faut-il que la personne soit disposée à le recevoir et en ait envie. Ensuite, il faut que le feedback soit nourrissant. C’est à dire qu’il doit être sélectif (précis, détaillé), constructif et tourné vers la tâche accomplie et non contre la personne qui le reçoit. » La simple vue d’une assiette qui déborde d’un repas gras, composé d’ingrédients bas de gamme, ne suffit-elle pas à vous couper l’appétit ? Avec le feedback c’est pareil.

Fatigue feedback : les signes annonciateurs…

Vous êtes arrivé à saturation. Trop c’est trop, la seule perspective d’un feedback vous file la nausée. « Lorsqu’on reçoit des feedbacks en permanence, cela nous place dans un état d’hypervigilance, nous sommes sur le qui-vive, explique Cécile Pichon. Cela se traduit par des signes manifestes tels que le stress, l’anxiété et l’anticipation. Le besoin de s’améliorer se transforme alors en une pression de performance anxiogène. »

Une autre conséquence de ce phénomène de gavage, est cette désagréable impression de ne plus être capable de différencier les ingrédients. On ne prend plus goût au feedback. Sucré, salé, tous semblent avoir la même saveur amère. « Le trop plein d’informations, en plus d’avoir tendance à blaser celui qui le reçoit, l’empêche de distinguer ce qui est important de ce qui ne l’est pas, affirme la psychologue. La personne ne sait alors plus comment prioriser et où placer son attention. Cela conduit inévitablement à une perte d’énergie. »

Trop plein de feedbacks : comment faire le tri ?

Dans ce flux de feedbacks, comment différencier le bon du mauvais ? Quelle est la recette d’un feedback qui nourrit et porte du fruit ? Et comment gérer la succession de feedbacks quand l’appétit vient à manquer ?

Le feedback spam : trier le bon du mauvais

« La répétition incessante d’un même feedback négatif est destructrice, assure Cécile Pichon. Pour être digeste, le feedback doit impérativement être précis, sélectif, constructif et orienté vers la tâche accomplie. » Ainsi, le manager qui déclare que vous avez fait du « mauvais travail » sur tel dossier ou, pire, que « vous êtes nul », ne vous permet pas de progresser. Il faudrait plutôt indiquer par exemple : « Sur la forme, le dossier est bien, mais le fond mériterait d’être plus fourni. J’ai besoin que tu retravailles la structure qui manque de cohérence et que tu étoffes le contenu : exemples concrets, arguments de vente, chiffres issus d’études…etc. » Pour vous aider à reconnaître le bon grain de l’ivraie, la psychologue préconise de s’interroger : « Ai-je l’impression qu’on veut m’aider à progresser ? Ce feedback peut-il m’être utile et me servir ? » Autrement, le feedback risque non seulement de vous laisser sur votre faim, mais surtout de filer droit à la poubelle.

Face au feedback : se rappeler du positif !

« Ensuite, poursuit la psychologue, chacun a sa façon de recevoir les feedbacks, en fonction de notre personnalité et la perception que l’on a de soi. Nous avons tous nos schémas cognitifs. » Pour certains, le feedback négatif est décourageant, voire paralysant. D’autres en ont besoin en quantité et en demandent encore. Il y en a qui ne sont pas réceptifs aux retours positifs et le vivent comme une flatterie inutile. les autres ne retiennent que les feedbacks négatifs et n’impriment pas tous ces compliments que leur expriment leur manager ou leurs collègues. « C’est à chacun de faire le point sur soi et de s’interroger sur son rapport au feedback, préconise Cécile Pichon. Nos sensibilités propres font qu’un feedback pourra nous faire avancer ou au contraire nous décourager. » Vous vous sentez déstabilisé? Gardez en tête que le feedback, quand il est bien fait, ne poursuit qu’un seul objectif : vous faire progresser. Efforcez-vous de retenir les feedbacks positifs et de rechercher le positif dans ces retours que vous vivez comme négatifs.

Demander à son manager de réserver un moment dédié aux feedbacks…

Au-delà de la bonne dose de feedbacks et de la formule qui convient à chacun, Cécile Pichon recommande de s’interroger sur le timing. De la même manière qu’il n’est pas recommandé de grignoter tout au long de la journée, les circonstances, le moment et les conditions du feedback ont leur importance. « Lorsqu’on reçoit un feedback, il est essentiel de se demander si c’est le bon moment, suggère l’experte. Demandez-vous si vous êtes disponible pour le recevoir ou non. » Plutôt que de l’absorber tout au long de la journée, vous pouvez proposer à votre manager de réserver ses feedbacks pour un moment spécifique : le one-to-one par exemple. Un repas pris assis et dégusté calmement est généralement mieux assimilé qu’un snack avalé entre deux rendez-vous.

… Et de revoir ses priorités si nécessaire

« Le one-to-one est aussi l’occasion d’exprimer à son manager ses besoins, insiste la psychologue. Vous pouvez lui partager votre rapport au feedback et l’effet qu’il vous fait. » N’hésitez pas à demander à votre manager de revoir les priorités. Montrez-lui que vous êtes investi, que vous appréciez les défis, mais que vous avez aussi besoin de structure et d’un plan d’actions pour vous améliorer.

Auto-feedback : se montrer proactif

« Les meilleurs feedbacks, assure Cécile Pichon, sont ceux que l’on se fait à nous-même, ce sont les plus constructifs. » Ainsi, bien souvent, nous avons déjà une opinion préformée de notre travail. Nous savons si nous sommes ou non satisfait de ce que nous avons fait sur tel dossier, si nous avons manqué de temps, si nous aurions pu aller plus en profondeur. « Il faut non seulement cultiver cette capacité d’auto-feedback, suggère-t-elle, mais aussi aller au-devant du feedback, car c’est le meilleur moyen de bien le recevoir. » Vous pouvez par exemple en rendant votre travail à votre N+1, répondre naturellement à la question : « que penses-tu de ton travail ? » et également préciser de quoi vous auriez eu besoin pour mieux faire. « N’hésitez pas à solliciter une action de votre manager pour mettre en application le feedback, ajoute l’experte. Plus vous serez proactif, plus vous devancerez ses feedbacks, plus vous gagnerez en confiance et en autonomie. »

Lundi des feedbacks, mardi des feedbacks, mercredi des feedbacks et vendredi des feedbacks aussi… À force, c’est sûr vous risquez de perdre l’appétit. Pas besoin d’être diététicien pour comprendre qu’un changement de régime s’impose. Pour autant, ce n’est pas seulement l’aliment qui pose problème, mais peut-être également notre rapport à la nourriture. « Si tous les feedbacks nous heurtent, conclut la psychologue, c’est sans doute que nous avons un travail à faire sur nous-même. Car la fonction première du feedback, quand il est bien fait, est de nous nourrir et nous faire progresser. »

Photographie par Thomas Decamps, article édité par Gabrielle Tremblay

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