Pandémie, écologie et féminisme : pourquoi l’expatriation est devenue has been

22 juil. 2022

6min

Pandémie, écologie et féminisme : pourquoi l’expatriation est devenue has been
auteur.e
Anne-Laure Baratin

Rédactrice et podcasteuse - Spécialiste de l’empowerment au féminin

On a tous·tes grandis avec l’image fantasmée du cadre expat’ : des conditions de rêve où tout est pris en charge par l’entreprise, un poste fantastique avec le salaire qui va avec, le tout dans un pays évidemment ensoleillé et captivant. Arrêtez tout : non seulement ces expatriations dorées sont devenues rares, mais il semblerait que l’envie générale - et les faits - ne soient plus au grand départ comme nous le connaissions. Entre les craintes des pandémies et des conflits, un statut de moins en moins attractif et des considérations féministes et écologistes toujours plus fortes, l’expatriation a du plomb dans l ‘aile…

« Laissez tomber, je n’ai que des cas de personnes qui veulent rentrer ! » C’est ce que répond le responsable francophone d’un réseau mondial d’expatriés - qui a tenu à rester anonyme - quand on cherche à l’interroger sur l’envie (ou non) des Français·e·s à l’expatriation. Car oui, après quatre années consécutives de baisse depuis 2018, le nombre de personnes ayant quitté la France pour s’établir à l’étranger s’est encore effondré de 4,2% au 1er janvier 2022 comparé à 2021. En cause, des facteurs multiples, dont certains sont faciles à deviner et d’autres… beaucoup moins.

Bye-Bye le golden package

L’inscription au prestigieux lycée Français de New-York pris en charge, le penthouse sur Central Park et le salaire qui fait rêver : globalement, ça c’était avant. Si les entreprises se sont longtemps montrées très généreuses avec les candidats au départ à l’étranger, le « golden package » (salaires doublés, primes, prise en charge des frais de transport, de logement, de scolarisation des enfants dans le pays étranger, etc.) tend à disparaître. Il y a moins d’avantages à partir à l’étranger, car l’expatriation coûte cher aux entreprises. Et dans une logique générale de réduction des coûts, les sociétés ont aujourd’hui davantage recours aux contrats locaux, qui reposent sur le droit du travail dans le pays d’accueil. C’est d’ailleurs ce qu’ont vécu Berta et Paul-Adrien, un couple de trentenaires expatriés à Miami pendant sept ans, dans les fleurons du luxe français… mais en contrat local. Comme le raconte Berta, « les grandes entreprises françaises ont tellement de talents locaux que ça devient même rare de décrocher un contrat local après un VIE par exemple. Les boîtes ont coupé les contrats d’expat’ avantageux, le package d’aujourd’hui est beaucoup moins séduisant. Les packages de dingue, c’est dans les pays qui “craignent” (sous-entendu où la sécurité est problématique, ndlr). Ou pour des profils qui ont au moins dix ans d’expérience à des postes qu’on ne pourrait pas confier en mode contrat local. »

Des propos confirmés par Clémence (1), responsable RH d’un groupe international qui parle de “mondialisation des compétences”. « L’expatriation permettait d’envoyer des représentants français par manque de confiance, mais on trouve aujourd’hui des compétences au niveau local sans problème. Ça fait 15 ans que je travaille dans des groupes internationaux et j’ai finalement connu peu d’expatriations car on trouvait des gens en local. »

La fin du golden-package, c’est aussi désormais l’application du principe “No gain-No loss” comme l’explique la RH : « il n’y a plus d’attractivité financière à partir en expatriation. Avant le départ, nous faisons une analyse du coût de la vie actuelle et future et nous regardons pour que le coût de la vie soit exactement le même. Sauf évidemment si l’expatrié prend plus de responsabilités, et dans ce cas là il sera augmenté. »

Des conditions plus austères qu’on retrouve aussi dans la manière d’accompagner les salariés quand ils et elles veulent rentrer : « C’est vraiment “débrouille-toi”. Nous, on avait en tête l’image des anciens expat’ chouchoutés, et on était considérés comme des talents dans notre boîte. On a pourtant été déçu quand on a commencé à activer notre départ » regrette Berta. « Le timing de la mobilité n’est pas du tout adapté aux demandes personnelles. Tu crois comprendre : “Bien sûr on va t’aider”, et en fait pas du tout ! Quand tu as un contrat local, tu pars et tu te débrouilles. »

Covid et conséquences

Bien sûr, la pandémie débutée en 2020 a aussi considérablement diminué les déplacements, mettant à l’arrêt toutes velléités de départ ou repoussant à plus tard des projets d’expatriation. Dans une étude de l’Observatoire de l’expatriation datée de juin 2021, les trois quarts des expatriés consultés déclarent que la crise remet en cause les déplacements des personnes sur le long terme. Cette crise a ainsi fait émerger la peur d’être bloquée à l’étranger loin de sa famille et de ses proches et de ne plus pouvoir rentrer aussi facilement qu’avant. Selon une autre étude Indeed, 69% des actifs français n’envisagent pas d’expatriation pour des raisons sociales et familiales et 35% des actifs craignent de vivre éloignés de leurs proches.
Désormais, et dans ce même mouvement de quête de sens au travail - là aussi accentué par la pandémie qui nous a tous fait cogiter - on repriorise sur la cellule familiale. Partir loin pour un job n’a plus la même saveur qu’il y a quelques années. Et c’est même parfois les proches qui freinent les envies de départ : toujours selon Indeed, 25% des actifs auraient été dissuadés par leurs proches de partir !

Pour Berta et Paul-Adrien, c’était déjà cette envie de se rapprocher de leurs familles qui a entraîné leur retour en France en 2019 : « On était deux Européens, on voulait se rapprocher de nos familles, de nos amis. On a commencé à se poser la question : “on rentre ou on reste ?” Trump élu président, on avait peu de chances d’obtenir la green card, on a donc commencé à réfléchir. Au bout de sept ans, soit tu “t’americanises”, soit tu deviens plus Européen que jamais… Nous sommes donc rentrés. »

Difficile aussi d’évoquer ce recul de l’expatriation sans parler des conséquences écologiques. Et de la prise de conscience collective du coût énorme de ces milliers de trajets en avion qu’elle peut potentiellement induire. Pour certains, plus question de voyager comme auparavant et de faire des sauts de puce en avion pour rejoindre ses proches, dès qu’on a un coup de mou, ou de prendre ses quatre vols par an pour fêter Noël en Famille et passer ses grandes vacances. A ce prix là, la question de partir ou non est un cas de conscience qui pourrait se propager rapidement. C’est le cas notamment pour Clarisse, trentenaire parisienne : « D’ici quelques mois, mon compagnon va sûrement se voir proposer un poste à l’étranger. Sur le papier je n’avais rien contre, au contraire, mais plus le temps passe, plus ça me tord le bide de m’imaginer devoir prendre plusieurs fois l’avion dans l’année… »

Des couples à double carrière

Au-delà de vivre loin ou non de ses proches, il y a aussi la gestion de la carrière de celui ou celle qui partage la vie de l’expatrié.e. De plus en plus de couples sont désormais “à double carrières : autant dire que le cliché de l’épouse, amenée à renoncer à ses propres ambitions au gré de la carrière de son mari a pris un sacré coup de vieux. Les femmes - puisque ce sont bien elles qui représentent encore 90% des “suiveurs” - ne sont plus aussi enclines à suivre sans broncher. Désormais, c’est rarement le bon timing pour que les deux partent au même endroit, et on peut alors considérer que c’est plus de sacrifices pour “l’accompagnant” qu’avant.

Anne-Cécile Sarfati, auteure du livre “Nous réussirons ensemble : couple à double carrière, les freins, les pièges, les clés” (éd. Albin Michel, oct 2021) consacre un chapitre entier à ce sujet : « j’ai interviewé de nombreux couples et j’ai constaté que les couples de serial expat - ces couples qui passent 20 ans de leur vie en expatriation de New-York à Tokyo en passant par Singapour - sont rares. Car il est rare que les deux retombent sur leurs pieds au niveau pro. Les serial expat’ hommes, il y en a pléthore. Mais pas des couples, car pour celle qui partage la vie du serial expat, c’est tout simplement compliqué de retrouver à chaque fois un job à hauteur de ce qu’elle quitte. »

Sauf qu’aujourd’hui les femmes sont de plus en plus conscientes des sacrifices qu’elles pourraient avoir à faire en s’expatriant en suivant leur conjoint : qui dit baisse de revenus dit baisse de retraite notamment. Et elles ne veulent plus de ça. « Pour celles qui acceptent de partir, il y a une vraie demande de symétrie. C’est désormais le choix de l’adaptabilité extrême : l’accompagnante accepte de faire un pas en arrière, tout en ne renonçant pas à rattraper ce retard plus tard. »

Et même si les entreprises proposent désormais souvent un accompagnement pour que le conjoint trouve du travail sur place, cet accompagnement est souvent limité. C’est ce qu’explique Clémence la Responsable RH : « Le conjoint en général met sa carrière en stand-by. J’ai l’exemple récent d’une Espagnole qui est venue s’installer en France en contrat local. Son mari l’a suivi mais lui ne parle pas Français. En tant qu’entreprise, on a proposé de lui payer les cours de Français, mais c’est tout. »

Des expats qui bougent moins facilement

Et même pour ceux qui ont sauté le pas récemment, il semblerait qu’il y ait moins de “mobilité”. 73,7% des Français inscrits sur le registre des Français vivant à l’étranger sont depuis plus de cinq ans dans la même circonscription consulaire et 5,9% … depuis moins d’un an. Une certaine stabilité dans l’instabilité, au-delà de la “peur du retour”, qui est aussi bien présente pour tous ceux qui ont passé du temps hors de leurs frontières. L’expatriation ayant un prix - écologique, social et familial -, autant limiter la casse en restant au même endroit ? « Aujourd’hui l’expatriation c’est du développement professionnel, ça permet quand même d’ouvrir le champ des possibles » nuance Clémence. Oui, mais à un prix que beaucoup ne sont plus prêts à payer…

(1) la professionnelle a tenu à rester anonyme

Article édité par Clémence Lesacq ; photos : Thomas Decamps pour WTTJ

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