Sur TikTok, @Laulevy « dit les termes » sur les entreprises toxiques

08 déc. 2023

7min

Sur TikTok, @Laulevy « dit les termes » sur les entreprises toxiques
auteur.e
Anais Koopman

Journaliste indépendante

contributeur.e

Laurène Lévy, @laulevy sur les réseaux sociaux, a 27 ans et un franc parler qui fait du bien. Porte-parole de la Génération Z (population née après 1995, ndlr.), cette pro de l’influence et des contenus dénonce les mauvaises pratiques des entreprises "toxiques" à travers des vidéos humoristiques et engagées. Elle s'adresse particulièrement aux jeunes, qu'elle conseille sur leurs droits au travail. Laurène nous raconte le pourquoi du comment.

Dans ta bio TikTok - qui comptabilise plus de 197 000 abonné·e·s -, tu décris ton compte comme un « Toxic jobs hate account », qu’on traduirait en « Compte contre les jobs toxiques ». Qu’est-ce que tu as voulu dire ?

Sur les réseaux sociaux, il y a les “comptes fan”, comme un “Britney Spears fan account” et moi c’est l’inverse : c’est un “compte hate”, le compte qui déteste les jobs et entreprises toxiques.

Tu écris aussi : « Je dis les termes » (s’exprimer avec honnêteté sur une situation, ndlr)… D’où te vient cette franchise et cette combativité ?

J’ai grandi dans un environnement globalement très engagé. Mon père est délégué du personnel depuis 25 ans et il y a beaucoup de psychologues dans la famille. C’est peut-être pour ça que je ne suis pas du genre à temporiser. Je n’essaye pas de plaire à tout le monde, j’exprime mon opinion sans me brider. À force de recevoir de nombreux messages du type : « Tu as dit les termes ! », j’ai réalisé que c’est ce qui représente le mieux le ton que j’emploie alors j’en ai fait ma marque de fabrique.

Y a-t-il eu un événement particulier qui t’a poussée à t’engager davantage contre les pratiques toxiques du travail ?

J’ai eu une très mauvaise expérience dans une agence à la sortie de mon master en 2021. On m’a hurlé dessus en plein open space, je me suis réfugiée dans les toilettes pour pleurer, on m’a suivie… Ça aurait pu aller jusqu’aux Prudhommes ! C’était mon premier CDI et j’ai démissionné au bout d’un mois… Je dirais que c’est cette expérience qui a “allumé la flamme”.

Ton compte TikTok existe depuis 2021 et comptabilise déjà entre 8 et 10 millions de vues par mois. Comment en es-tu arrivée là ?

À la base, j’ai juste réagi à une vidéo dans laquelle des étudiants dénonçaient les fausses promesses des grandes écoles en termes de salaires post-diplômes. J’ai été surprise de la naïveté et de la désinformation de ces étudiants qui croient ces promesses. J’ai donc diffusé une vidéo à mon tour sur TikTok, conseillant aux (futur·e·s) jeunes diplomé·e·s de se renseigner sur la réalité du marché du travail, au lieu de croire les écoles les yeux fermés. Ça a vite fait le buzz, fait réagir plusieurs internautes et j’ai reçu de nombreuses questions et demandes de conseils. C’est là que j’ai compris qu’il y avait une vraie désinformation chez les jeunes concernant les salaires. En creusant, j’ai aussi réalisé qu’ils étaient nombreux à ne pas avoir connaissance de leurs droits. J’ai donc commencé à créer du contenu principalement destiné à la Gen Z sur le marché du travail. Ma visibilité a vite pris de plus en plus d’ampleur, signe qu’il y a un vrai besoin de conseils de leur part.

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« Ce n’est pas parce qu’on est nombreux·ses à prioriser notre bien-être à notre carrière que nous sommes des faibles ! » - @laulevy, influenceuse.

Parmi tous les combats que tu mènes sur ton compte (pour le télétravail et l’égalité hommes/femmes, contre la discrimination à l’embauche…), lequel serait le principal pour toi ?

C’est le refus d’accepter des conditions de travail jugées toxiques. Le strict minimum, c’est de faire respecter les droits des salarié·e·s, puis d’améliorer les conditions de travail, en s’axant davantage sur le bien-être au travail, au lieu de ne se concentrer que sur la performance. Au-delà de faire connaître leurs droits aux actif·ve·s, j’ai envie de contribuer à ouvrir les yeux des entreprises sur le lien de cause à effet entre le bien-être et la performance, et l’intérêt pour tout le monde de prendre des initiatives en ce sens.

Par quoi commencer pour améliorer les conditions de travail ?

Il faudrait avant tout proposer des formations automatiques en management, au lieu de nommer manager une personne “juste” pour son ancienneté ou pour justifier une augmentation. Gérer des équipes est un métier en soi ! Surtout lorsque pour 69% des salariés, leur manager influence leur état psychologique tout autant que leur conjoint d’après une enquête menée par Walr. On devrait aussi mettre plus d’humain dans l’entreprise, ce qui passe notamment par une hiérarchie horizontale, davantage d’échanges, quel que soit le niveau d’expérience ou de salaire : toute parole a une valeur !

Tu t’adresses à la Génération Z. Pourquoi cette cible en particulier ?

On accable énormément la Gen Z parce qu’on a beaucoup de revendications. Moi, je pense que ce gap entre les générations a toujours existé : on a toujours dit « Les jeunes d’aujourd’hui… » c’est comme si c’était un cercle qui se répétait à l’infini. Peut-être qu’on a l’impression d’avoir plus de choses à dire tout simplement parce qu’on a un outil que les générations précédentes n’avaient pas et qui nous permet de nous faire entendre : les réseaux sociaux.

Qu’est-ce qui est le plus souvent reproché à la Génération Z ?

On nous reproche régulièrement d’être des flemmards, de ne pas avoir d’ambition, de vouloir tout tout de suite, de s’arrêter au moindre rhume (les trois jours de carence, ça vous parle ? On n’a pas tous les moyens de s’arrêter !), etc. Et pourtant, ce n’est pas parce qu’on est nombreux·ses à prioriser notre bien-être à notre carrière que nous sommes des faibles ! Au contraire, c’est courageux de privilégier sa santé à une belle carrière dans une entreprise du CAC 40.

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« Contrairement aux générations précédentes, nous sommes nombreux·ses à être d’accord avec l’idée de gagner moins d’argent en faveur de meilleures conditions de travail. » - @laulevy, influenceuse.

A ton avis, pourquoi tant d’hostilité envers la Gen Z de la part des entreprises et des générations précédentes ?

J’ai l’impression qu’il y a une grande frustration de la part de nos aînés. Peut-être qu’ils ont eu une sorte d’électrochoc à mesure que nous les plus jeunes avons changé nos priorités et revendications. Ils ont dû réaliser que oui, c’était possible de ne pas tout accepter juste pour un (bon) salaire, qu’on pouvait prioriser son bien-être et sa santé ! Il y a peut-être aussi une forme de culpabilité de n’avoir rien fait pour améliorer les choses. Après tout, si les générations précédentes avaient davantage œuvré pour de meilleures conditions de travail, peut-être que la Gen Z n’aurait pas à être si revendicatrice…

Quelle va être la conséquence de ce choc des générations ?

Il va y avoir un rapport de force à un moment : soit les jeunes vont se désolidariser de l’entreprise - au profit du freelancing par exemple - soit les entreprises devront s’adapter face à la crise du recrutement. Alors, qui va être confronté aux plus grands challenges ? La Gen Z ou les entreprises ? Si vous n’arrivez pas à recruter, c’est peut-être aussi que le problème vient de vous !

Cette génération a-t-elle des attentes communes ?

Avant, on voulait juste réussir sa vie avec le bon taf, avec le bon salaire pour avoir la belle maison, la belle famille… Aujourd’hui, on ne considère plus le travail comme le seul vecteur d’épanouissement. On ne veut plus être maltraité·e·s au travail : 31% des jeunes attendent de leur responsable qu’il crée un environnement de travail épanouissant d’après le baromètre 2022 “‘les jeunes et l’entreprise” par la Fondation Jean Jaurès. Aussi, on est nombreux·ses à chercher un emploi qui ait un impact positif sur la société. On se pose davantage de questions : « Est-ce que cette entreprise est éthique, responsable, alignée à mes valeurs ? Y a-t-il de la parité à tous les échelons, est-ce que l’entreprise défend certaines causes, y a-t-il une transparence sur les salaires ?… »

Ok, mais le salaire, alors ? Dans ce même baromètre que tu cites, 43% des 18-24 ans attendent avant tout de leur choix d’emploi une bonne rémunération…

Tu as raison, le salaire reste le critère numéro 1 et pas toujours par choix. Avec l’inflation, un avenir de plus en plus incertain, les jeunes sont bien obligés d’espérer un salaire qui suive au moins l’augmentation du niveau de vie. D’autres jeunes, même privilégiés, choisissent encore des jobs leur permettant un bon confort de vie avant tout : selon un baromètre d’AssessFirst, 41% des moins de 25 ans perçoivent le travail uniquement comme un moyen de gagner confortablement sa vie. Pour autant, contrairement aux générations précédentes, nous sommes nombreux·ses à être d’accord avec l’idée de gagner moins d’argent en faveur de meilleures conditions de travail : 69% des jeunes préfèrent rester dans une entreprise où ils se sentent bien plutôt que de partir ailleurs pour gagner plus, d’après le même baromètre.

D’accord, mais tout le monde ne peut pas se permettre de se poser ces questions, encore moins de revendiquer tout ça, si ?

Complètement, d’où l’importance de prendre la parole sur ces sujets quand on le peut. Certain·e·s ne peuvent pas le faire, car leur réalité est déjà trop compliquée. C’est le cas des personnes qui travaillent dans un secteur qui ne recrute pas et qui acceptent le premier emploi qui se présente à eux sans rechigner, peu importe les conditions de travail. J’ai souvent des followers qui m’écrivent qu’ils sont d’accord avec moi, mais qu’ils ne peuvent pas se permettre de réclamer quoi que ce soit, car ça pourrait mettre leur emploi en péril.

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« Maintenant, on peut infiltrer n’importe quelle entreprise via TikTok ! » - @laulevy, influenceuse.

Un conseil pour se préserver des jobs et conditions de travail toxiques ?

Si tu ne sens pas le truc, en général, ton instinct dit vrai. Il faut aussi écouter son corps : si tu as des migraines pendant 6 mois, que tu perds l’appétit, le sommeil, c’est un signe que ça ne va pas et que ça peut être lié à ton quotidien professionnel. Autre conseil, qui ne tente rien n’a rien ! Même s’il faut accepter qu’on ne peut pas toujours avoir gain de cause. Il faut avoir un minimum de culot en entreprise si on ne veut pas se faire marcher dessus.

Finalement, est-ce que tu dirais que la Gen Z bouscule vraiment les codes du travail ?

Les jeunes ont toujours bousculé les codes, mais chaque génération avait ses combats. Il y a eu la révolution sexuelle, l’avortement, les 35 heures et aujourd’hui, le bien-être en entreprise. Et ce n’est que le début. Les gens se filment de plus en plus au taf. Maintenant, on peut infiltrer n’importe quelle entreprise via TikTok ! Plus le choix : les entreprises vont être obligées de changer les choses pour soigner leur image de marque à l’extérieur comme à l’intérieur.


Article édité par Kévin Corbel et Clémence Lesacq - Photo Thomas Decamps pour WTTJ