Test de la semaine de 4 jours au UK : 92% des entreprises veulent l’adopter

23 févr. 2023

8min

Test de la semaine de 4 jours au UK : 92% des entreprises veulent l’adopter
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91%. C’est le nombre d’entreprises “test” qui sont prêtes aujourd’hui à entériner la semaine de quatre jours en Grande-Bretagne. L’idée – portée et mise en oeuvre par 4 Day Week Global, association à but non lucratif, la UK’s 4 Day Week Campaign et le think-tank Autonomy – était d’accompagner, pendant six mois, plus de 60 entreprises sur un test à grande échelle de la semaine de 4 jours, sans perte de salaire pour les équipes. Un véritable plébiscite donc, mais qui ne doit pas cacher les possibles difficultés à la mise en œuvre d’un tel nouveau rythme. Rencontre avec les testeurs.

« C’est la nouvelle manière “normale” de travailler ! », assure Jade Pagnard au sujet de la semaine de 4 jours. Cosmétologue chez 5 Squirrels, un fabricant britannique de soins pour la peau, Jade fait partie des 2 900 salariés ayant participé à la grande phase expérimentale conduite au Royaume-Uni de juin 2022 à janvier 2023. Une période durant laquelle les entreprises concernées ont testé la semaine de 4 jours sans baisse de salaire pour les équipes et… sans baisse de productivité. Elles ont été accompagnées par les organisateurs·trices du projet 4 Day Week Global et UK’s 4 Day Week Campaign) et suivies par une équipe de recherche (le think-tank Autonomy), désireuse d’apporter des preuves supplémentaires sur l’intérêt d’un temps de travail réduit. Alors que le test vient de prendre fin, la direction de 5 Squirrels l’assure : elle s’engage, comme 91% des entreprises concernées, à conserver ce nouveau rythme de vie. Jade Pagnard et Gary Conroy, fondateur et directeur de l’entreprise, en parlent avec un sourire qui en dit long.

« C’est à la fois génial et déroutant, parce qu’on s’y fait vite, témoigne Gary. La semaine paraît longue, maintenant, et le week-end trop court », poursuit-il dans un éclat de rire.

Et passé l’effet de nouveauté ? Les avantages sont toujours là, affirme Gary. Il n’a plus la même vie depuis qu’il a introduit la semaine de 4 jours au sein de 5 Squirrels. « On se sent plus jeune, moins crevé. On s’organise mieux dans sa vie, on arrive à faire tout ce qu’on voulait faire jusque-là. Faire du tri chez soi, nettoyer les sols, tous ces trucs qu’on reportait à chaque fois au lendemain. À la clé, c’est davantage de temps pour soi, et ça devient vite une seconde nature. »

Jade, qui est française, acquiesce : « Ça fait une vraie coupure toutes les semaines. Tu peux faire beaucoup plus de choses dans ta vie perso. Et quand arrive le lundi, tu vas au taf avec le sourire et tu t’y mets à fond. »

« Ça booste clairement la motivation », ajoute Gary, qui explique qu’adopter ce nouveau rythme hebdomadaire sans voir baisser la productivité exige en revanche de regarder autrement la façon dont on travaille. « Avoir de longues plages pour se concentrer sur son taf, tailler dans le nombre et la durée des réunions, gagner en discipline, en réactivité, ne plus être sans cesse interrompu, bien gérer son temps et tout planifier nickel. Tout ça doit devenir une habitude. »

Si les avantages de la semaine de 4 jours dans la vie des salariés ne font aucun doute, cette nouvelle organisation pose de sérieux challenges côté paperasse et contrats, auxquels les entreprises qui décident d’instaurer ce nouveau rythme ne pourront pas échapper. « Les choses n’ont pas suivi du côté des administrations », déplore Gary. Pour contourner le problème, 5 Squirrels a maintenu ses contrats à 5 jours hebdomadaires. « Le vendredi est offert aux salariés, mais la boîte se réserve le droit de demander à un collaborateur ou une collaboratrice de venir travailler un vendredi, détaille Gary. Jusqu’ici, on n’a pas eu besoin de le faire, parce que même quand on a du retard sur un envoi en fabrication, même dans le pire des cas, c’est dingue mais les équipes arrivent à assurer et boucler le travail. »

Pour Jade, les choses semblent claires : « Je ne pourrais jamais faire machine arrière. » « Ce serait même inenvisageable, conclut Gary. Ce serait trop déprimant. »

« Six mois ne suffisent pas pour implémenter le nouveau rythme »

Pour Mark Haslam, qui dirige Loudmouth, agence spécialisée dans les médias digitaux, même si l’essai s’est avéré « très concluant » en termes de « fidélisation des équipes, de recrutements, et de chiffre d’affaires », les choses auraient pu tout de même mieux se passer. « Ça a été dur ! » confie-t-il. Chez Loudmouth, la direction a donc décidé de prolonger la phase expérimentale jusqu’en juin 2023. De quoi laisser un an à l’entreprise pour opérer le « virage culturel » nécessaire à l’adaptation des process et pratiques au sein de la boîte. « Nous avons parcouru 60 % du chemin, et nous allons continuer. »

La phase expérimentale officielle ayant touché à sa fin au Royaume-Uni, Loudmouth a décidé de continuer en mode “test” de son côté. Ce que cela va changer ? Pas grand chose, estime Mark. « En ce qui nous concerne, l’aide des mentors a été assez limitée. Comme ça n’a jamais été fait avant, il n’y avait pas de ressources auxquelles se référer selon les problématiques. Quand on les contactait, ils nous disaient ne pas avoir encore rencontré le problème. Donc finalement, c’était à nous de trouver et décider comment régler les choses. »

Les erreurs faites pendant la phase de test ont conduit à Loudmouth à instaurer quelques changements au sein de l’agence. « Nous n’avions, par exemple, pas touché aux congés payés des équipes. C’était une très mauvaise idée, parce que tout le monde s’est retrouvé avec trois mois de vacances par an, même en travaillant 4 jours par semaine. C’était infaisable », confie Mark.

Autre complexité : mettre tout le monde au diapason. « Pour être honnête, je préférerais que mon équipe soit plus souvent présente au bureau, admet Mark. Il faut faire des points réguliers sur nos nouvelles pratiques liées à la semaine de quatre jours, afin de ne prendre du temps que pour ce qui est vraiment utile. Appeler au lieu d’écrire un e-mail, ou l’inverse, caler les agendas, fixer les priorités, annuler les réunions qui ne sont pas nécessaires. »

Côté recrutement, il y a eu aussi des fails, avoue le dirigeant : « Nous avons embauché des gens qui clairement n’étaient venus que pour la semaine de quatre jours, avant de réaliser qu’ils n’étaient peut-être pas faits pour le poste. »

Mark estime malgré tout que la phase expérimentale d’ampleur, organisée par 4 Day Week Global, était une bonne idée. Elle a en effet permis de créer un réseau d’entreprises confrontées aux mêmes bouleversements, au même moment. « On a moins peur dans ces cas-là, admet Mark. Si on a besoin de soutien, on a des personnes avec qui discuter. Le fait que nous ayons été nombreux crée un filet de sécurité. » La semaine de 4 jours est la bonne solution pour son entreprise, cela ne fait aucun doute pour lui. Mark se dit d’ailleurs prêt à partager son expérience afin que d’autres évitent de faire les mêmes erreurs que lui. « Nous nous sommes lancés là-dedans à l’aveugle. Changer notre manière de travailler, revoir notre culture d’entreprise, tout reprendre de zéro en fait. Cette fois-ci, les choses sont posées. Nous ne repartons pas pour un nouveau changement, mais avec l’idée de regarder ce qui a été fait durant la première phase et d’améliorer tout ce qui peut l’être. Nous allons ajuster tout ça. »

Mark, qui prêche en faveur de la semaine de 4 jours, répond volontiers à ceux et celles qui se tournent vers lui. Parce qu’au bout du compte « c’est l’aspect humain qui donne toute sa valeur au projet. Travailler devrait être une manière de faciliter notre vie, devrait avant tout nous permettre de faire des choses que nous ne pourrions pas faire sinon. Je ne passe plus à côté de mes enfants, je peux profiter d’eux. Et j’estime que ça devrait être accessible à tout le monde. Tout le reste est finalement secondaire. »

« Bonne nouvelle pour l’avenir du travail »

Les données et conclusions de l’étude approfondie conduite durant la phase expérimentale au Royaume-Uni ont été publiées le 21 février par 4-Day Week Global. Ils confirment « les bénéfices d’un temps de travail réduit, où la priorité est donnée à la productivité et aux résultats. » Comme 5 Squirrels et Loudmouth, 91 % des entreprises ayant pris part à la phase expérimentale envisagent ou ont décidé d’entériner la semaine de 4 jours. Et elles sont 4 % supplémentaires à y penser sérieusement. Seules 4 % ne prévoient pas d’aller plus loin.

L’équipe de recherche du Boston College, menée par Juliet Schorr, a suivi les salariés avant, pendant, et à l’issue de la phase expérimentale. Elle a ainsi mesuré les évolutions en termes de « satisfaction professionnelles, équilibre vie pro-vie perso, productivité individuelle et d’entreprise, et d’autres critères », explique Alex Soojung-Kim Pang, auteur de Et si on se reposait (2019)Work Less, Do More et directeur du programme chez 4-Day Week Global. « C’est bien de pouvoir observer à plus grande échelle, et de façon plus objective, cette transition et ses impacts. »

L’équipe de recherche a constaté du mieux en termes de chiffre d’affaires, de recrutement et de fidélisation des équipes, mais aussi en matière de santé et de bien-être. Avec « une nette progression observée du côté de la santé mentale et physique, du temps consacré aux activités physiques, une plus grande satisfaction professionnelle et dans la vie en général. Le niveau de fatigue, de stress et les cas de burnout ont aussi chuté, tout comme les problèmes de sommeil. » En réduisant les trajets domicile-travail ce nouveau rythme hebdomadaire a également un impact environnemental plus positif. Autrement dit, les résultats de cette phase expérimentale confirment largement les projections qui avaient été faites.

Mais quid des entreprises qui ne comptent pas poursuivre l’aventure ? Nous avons posé la question à Hazel Gavigan, chez 4-Day Week Global : « Après ce test à grande échelle au Royaume-Uni, trois entreprises ont indiqué qu’elles mettaient le projet en suspens pour le moment. Notre équipe travaille actuellement avec elles pour que nous puissions mieux comprendre les problématiques qu’elles ont rencontrées et les aider à identifier de possibles solutions. » Nos demandes de précisions ou des coordonnées de ces entreprises sont restées sans réponse.

« Pas la panacée »

Si elle se réjouit de ces issues positives, Madgalena Soffia, chercheuse au sein de l’Institute for the Future of Work, à Londres, invite à la prudence.

Cette phase expérimentale autour du rythme de travail hebdomadaire tombe plutôt bien dans un contexte de difficulté à recruter et de problèmes inquiétants autour de la santé mentale des salariés après la crise du Covid-19, mais elle « n’est en rien une panacée, adaptée à toutes les entreprises et tous les travailleurs. Nous devons notamment veiller à ce que ce ne devienne pas une nouvelle politique réservée aux emplois qualifiés et bien payés, parce que ce serait augmenter la polarisation et les inégalités. »

Les entreprises ayant participé à la phase expérimentale étaient volontaires. Un indicateur à garder en tête car, aussi précieuses que soient les observations faites sur le terrain, elles n’ont pas une valeur universelle. Par ailleurs, les entreprises ayant participé au projet sont majoritairement de petite taille (66 % ont 25 salariés ou moins). « Nous devons interpréter avec prudence les résultats et ce qu’ils sous-entendent de ce que serait un “bon travail”, selon tel ou tel profil socio-sociodémographique », explique Magdalena Soffia.

Pour la chercheuse, il faut par exemple évoquer le cas des personnes qui travaillent « à la tâche » (gig workers, comme les travailleurs des plateformes numériques par exemple) ou ont un travail manuel, pour qui d’autres facteurs entrent en jeux : le soutien des collègues, celui des managers, un environnement de travail protecteur… Ici, ces différents critères sont davantage le terreau d’un « bon travail » qu’une simple réduction du rythme hebdomadaire. « Il faut aussi faire attention que cela ne mène pas à une intensification du travail, ce qui ne ferait que soumettre à une pression supplémentaire les salariés qui n’ont pas vraiment leur mot à dire sur leurs horaires et ne disposent pas d’autonomie professionnelle », ajoute Magdalena Soffia.

Dans la charte de l’Institute for the Future of Work, on peut lire qu’un « bon travail promeut la dignité, l’autonomie et l’égalité, offre de bonnes conditions pour l’exercer et un salaire juste, où les personnes reçoivent le soutien dont elles ont besoin pour développer leurs compétences et aient un sentiment de vivre ensemble. » Une politique telle que la semaine de 4 jours, qui, mise en place dans les bonnes conditions, a prouvé son impact positif sur les vies professionnelles et personnelles des salariés, est déterminante. Mais elle demeure, comme le souligne Madgalena Soffia, « un aspect seulement d’un paysage bien plus complexe. »

Article traduit par Sophie Lecoq et édité par Clémence Lesacq - Photo Thomas Decamps pour WTTJ

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