Tracances : on fait le bilan avec ceux qui ont télétravaillé tout l’été

07 sept. 2022

5min

Tracances : on fait le bilan avec ceux qui ont télétravaillé tout l’été
auteur.e
Daphnée Breytenbach

Journaliste freelance

Le télétravail permet à certains salariés de poursuivre leur activité où bon leur semble le temps de quelques semaines en été : au bord de la mer, à la campagne, dans une maison louée avec des amis voire même sur les routes… C’est la tendance du « workation » - combinaison des mots anglais « work » (travail) et « vacation » (vacances) –, ou “tracances”, en français, qui favorise l’alliage loisirs et télétravail dans un même lieu et parfois une même journée. Qu’en est-il dans la réalité ? Les salariés qui ont voyagé pendant l’été, sans prendre de jours de congés, ont-ils réussi à être productifs ? Ont-ils pu déconnecter ? Nous avons demandé aux semi-vacanciers de tirer le bilan de cette expérience.

Le meilleur de deux mondes

Justine(1), responsable du service animation d’une marque de cosmétiques

Pendant l’année, je télétravaille deux journées par semaine depuis la crise sanitaire. C’est un rythme qui me convient bien. J’aime à la fois aller au bureau, interagir avec mes collègues et être maître de mon organisation depuis mon appartement. Cet été, plusieurs de mes copines partaient passer deux semaines sur une île grecque au mois de juillet. Ça tombait mal pour moi, car mon entreprise oblige ses salariés à poser leurs congés en août. Un peu au culot, j’ai donc négocié avec ma responsable qu’on m’autorise à me mettre en télétravail complet sur cette petite période.

Étant rigoureuse et perfectionniste, je savais que je n’allais pas négliger le côté professionnel. Mais c’était l’occasion de m’évader un peu et surtout de découvrir ce pays qui me faisait rêver. Nous étions cinq dans la maison, dont moi-même et une autre amie en télétravail. Nous nous sommes serré les coudes et avons organisé du mieux que possible notre planning. Le matin, on se levait plus tôt que les autres et on prenait notre petit déjeuner au calme, au bord de la piscine. Ensuite, on bossait pendant trois heures dans la salle à manger, avant de rejoindre les autres filles sur la plage en scooter.

L’après-midi, vers 16h, retour à la maison pour se remettre au travail, jusqu’à 20h30 environ. Résultat : on travaillait peut-être un peu moins qu’en temps normal, mais on arrivait quand même à être efficaces tout en profitant du cadre, de la beauté des lieux, de bains de mer tous les jours et des quelques fêtes le soir… Cette expérience me fait dire que si on est organisé et volontaire, télétravailler en voyageant est tout à fait faisable. Il faut simplement bien intégrer que ce ne sont pas de vraies vacances, mais plutôt l’occasion d’exercer son métier dans un cadre d’exception. Je suis rentrée reposée, bronzée et assez fière de moi !

L’illusion d’être en vacances

Marie (1), consultante senior pour une organisation promouvant l’agriculture durable

Cet été, pour la toute première fois, ma société a décidé de laisser à ses salariés la possibilité d’être en télétravail à temps plein. Après avoir été un peu réticente sur ce nouveau modèle pendant la crise sanitaire – avec pour résultat quelques démissions – les dirigeants ont fait le pari de changer radicalement de cap à ce sujet. Pour moi qui travaille en tant que consultante senior pour l’entreprise depuis trois ans sans jamais avoir eu l’occasion d’exercer mes missions à distance, j’ai décidé de sauter sur l’occasion !

Mes parents sont depuis longtemps propriétaires d’une maison en Italie, sur la côte amalfitaine. J’y retrouve tous les étés une bande de copains que je connais depuis l’enfance. On se donne rendez-vous à la plage, on fait la fête le soir… Cette fois-ci, je me suis dit qu’il faudrait faire quelques concessions bien sûr, parce que je ne prenais aucun jour de congés. Je préférais en effet les conserver pour un voyage en Amérique latine que je prévois cet hiver. Ce que j’imaginais, c’est qu’il suffirait d’être efficace la journée pour profiter librement de mes soirées… Et puis la mer et le soleil plutôt que notre open space parisien, c’était plutôt réconfortant
Dans les faits, ça ne s’est pas très bien passé. Je n’avais pas anticipé la pression d’être loin tout en devant faire preuve de la même productivité. Je ne maîtrisais pas totalement non plus les outils qu’on utilise pour travailler à distance, Slack notamment, que j’ai toujours trouvé obscur. Mais le vrai problème pour moi, ce fut surtout ce sentiment de n’être ni vraiment au travail, ni vraiment en vacances. La journée j’étais coincée derrière l’ordinateur tout en étant souvent déconcentrée par le cadre idyllique, les appels des copains et les notifications des groupes WhatsApp. Le soir, je sortais beaucoup pour décompresser et profiter de mes amis. Résultat : des gueules de bois au réveil et des journées plus difficiles encore. Je crois que cet entre-deux est trop anxiogène pour moi… Je ne le referai pas !

Un cadre plus serein

Hélène Joubert, Directrice Europe d’une agence de relations publiques

Pendant l’été, j’ai télétravaillé une dizaine de jours en Sologne, chez une amie qui tient des chambres d’hôtes. La journée était découpée en deux : de 6h à 9h je l’aidais à servir les petits-déjeuners des hôtes, puis je commençais ma journée de télétravail. C’était intense, mais j’étais dans une belle demeure, au bord d’une rivière… Et surtout avec une amie très occupée ! Habituellement, nous avons des difficultés à nous voir, étant très prises par nos jobs respectifs. Or là, j’ai pu partager de bons moments avec elle. C’était l’occasion de consolider notre amitié dans ce lieu de vie et de travail insolite. J’ai ensuite télétravaillé depuis la maison de mes parents pendant une semaine, dans le Poitou.

Je trouve que ce format permet de passer outre les limites spatio-temporelles et d’entretenir des relations « hors professionnelles », des relations de cœur importantes pour l’équilibre personnel. L’agence pour laquelle je travaille existe depuis plus de vingt ans et sa culture d’entreprise a toujours valorisé le bien-être des employés. C’est encore plus vrai depuis le Covid : pour fidéliser les salariés, je crois qu’il faut leur accorder la possibilité de s’organiser de la manière qui fonctionne le mieux pour eux… Plusieurs consultants de l’agence ont passé quelques jours ou quelques semaines pendant l’été dans leur région d’attache. Selon moi, cela n’a rien changé à notre travail quotidien, ni à notre productivité.

Petits arrangements avec le droit du travail

Julien(1), community manager pour un groupe de restaurants

Depuis quelques mois, j’ai décroché un poste de community manager pour un groupe de restaurants français plutôt branchés. L’avantage de ce métier, c’est qu’il est tout sauf routinier : certains jours je dois être sur le terrain, notamment pour encadrer les séances photo qui permettent de me constituer ma base de données. Le reste du temps, je peux rester chez moi et travailler à mon rythme. Mes objectifs dépendent des établissements mais globalement, j’ai un nombre de posts et de stories à publier chaque semaine sur les différents réseaux. Je peux donc planifier les choses et faire en sorte de rassembler pas mal de contenus à l’avance, pour voir venir !

Cet été, j’ai donc décidé de me mettre en télétravail complet pendant trois semaines et de partir dans le sud de la France avec ma fiancée. Pour être tout à fait honnête, en prenant cette décision, je savais pertinemment que je travaillerais moins que si j’étais resté dans la capitale… J’avais bien anticipé ce déplacement et pris beaucoup d’avance sur la planification des publications pendant le mois d’août. Résultat, sur place, je me consacrais principalement au suivi et au montage de quelques stories ou de petites vidéos très courtes. Ça me prenait peut-être deux heures par jour, tout au plus.

Le reste du temps, je pouvais profiter de la région avec mon amoureuse, qui avait pris de vraies vacances. J’avais l’esprit plutôt libre et l’impression de me reposer et de déconnecter. Pour être tout à fait honnête, c’était un calcul. N’étant en poste que depuis l’hiver dernier, je n’avais pas encore accumulé suffisamment de congés pour partir et je savais que je ne tiendrais pas le coup sans quitter Paris de tout l’été… Maintenant, j’estime avoir rempli mes missions. Je n’ai pas négligé les différents comptes dont je m’occupe, je suis resté concentré. Alors même si ce n’est peut-être pas la démarche la plus honnête qui soit, l’essentiel, c’est de rester productif et d’atteindre ses objectifs, n’est-ce pas ?

(1) Les prénoms ont été modifiés

Article édité par Gabrielle Predko, photo Thomas Decamps pour WTTJ

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