« Trois jours par mois, je suis très déprimée » : quand le SPM nous gâche la vie pro

06 avr. 2023

6min

« Trois jours par mois, je suis très déprimée » : quand le SPM nous gâche la vie pro
auteur.e
Aurélie Cerffond

Journaliste @Welcome to the jungle

contributeur.e

Anxiété, lassitude, irritabilité, douleurs physiques… la liste des symptômes du syndrôme prémenstruel (SPM), qui survient juste avant les règles, est aussi longue que variée. Un syndrôme peu connu qui n’est pourtant pas sans conséquences sur la vie professionnelle des femmes qui en souffrent. Elles racontent l’impact du SPM sur leur travail, mais aussi les stratégies d’adaptation qu’elles ont développées pour y faire face.

« Pendant quelques jours je suis particulièrement déprimée et à fleur de peau : je pleure pour un rien, je me déteste et j’ai envie d’étriper tout le monde », raconte Patricia, analyste dans le secteur bancaire. On pourrait penser que la trentenaire évoque les effets de ses menstruations sur son humeur, mais il n’en est rien. Patricia décrit son syndrôme prémenstruel (SPM), soit, comme le définit l’Inserm, « une série de symptômes physiques et psychiques qui démarrent entre quelques heures et plusieurs jours avant les règles, et qui disparaissent généralement peu après leur arrivée. » Un syndrôme qui selon l’institut de recherches, concernerait 20 à 40 % des femmes en âge de procréer, et perturberait la vie sociale, professionnelle et familiale d’un tiers d’entre elles, voire serait un réel handicap dans environ 5 % des cas (lorsqu’il est associé à des symptômes analogues à ceux de la dépression majeure, on parle alors de trouble dysphorique prémenstruel, ou TDPM). Bien qu’on ignore encore précisément ce qui cause le SPM chez ces femmes, on soupçonne fortement l’implication de facteurs hormonaux.

Un syndrôme qui s’exprime différemment chez chaque femme avec, au menu des réjouissances : irritabilité, anxiété, agitation, colère, insomnie, difficultés de concentration, léthargie, dépression, fatigue sévère mais aussi ballonnements, prise de poids, gonflement des seins, douleurs dans l’abdomen, céphalés… Une liste non exhaustive des symptômes possibles liés au SPM qui se reproduisent chaque mois chez les femmes qui y sont sujettes, grignotant leur énergie au travail, des salariées et des entrepreneuses, qui ont appris à composer avec cette contrainte pour préserver leur carrière.

« Une baisse de motivation qui met en incapacité d’achever les choses »

Architecte, Lucie a lancé son entreprise il y un an et demi et confesse avoir une lourde charge de travail, avec « des horaires costauds », ce qui ne dérange pas cette professionnelle passionnée. Ce qui l’incommode en revanche, c’est que plusieurs jours par mois, elle perd en productivité. « Les jours où je suis en syndrôme prémenstruel, j’ai une grande difficulté à achever ce que j’entreprends professionnellement, analyse Lucie. Il ne faut pas que j’ai un gros rendu à cette période. » Elle ne ressent pas de maux physiques ni même de sensation de fatigue, mais expérimente une grande lassitude, une perte de motivation et a l’impression que sa créativité est éteinte. Même son de cloche pour Anaïs, journaliste en freelance, tout aussi passionnée par son job, qui lutte avec une créativité en berne les jours de SPM : « Une semaine avant le début des mes règles je remets tout en question. Démotivée, je tourne à bas régime dans tous les sens du terme : physiquement mais aussi mentalement car je n’ai plus d’inspiration. » Un affaiblissement de ses capacités, difficile à combiner avec les exigences de leurs métiers respectifs, surtout que les symptômes reviennent à chaque cycle menstruel et « une semaine par mois c’est long ! », ponctue la journaliste. Dans ce contexte, et même en ayant une activité professionnelle à son compte, impossible d’arrêter de travailler tous les mois. Alors pour surmonter ces difficultés, les jeunes femmes ont développé des stratégies d’adaptation.

Par exemple, si l’architecte ne peut pas se permettre de décaler les dates de rendu de ses projets en fonction de son SPM, elle en tient compte dans son organisation de travail : « Maintenant que j’ai conscience des effets du SPM sur ma productivité, j’anticipe : je connais par avance les jours où je vais dépoter et les jours où je vais travailler à un rythme plus lent, et je planifie mes tâches en fonction. » Elle privilégie alors les sujets de fond, la veille, l’administratif… et s’autorise des journées de travail plus courtes. Surtout que tel un effet “kiss-cool”, une fois le SPM passé, Lucie et Anaïs peuvent compter sur un regain d’énergie, qui vient compenser leur baisse de productivité. « C’est assez fou, mais une fois que la vague dépressive de mon SPM est passée, je peux achever en une journée ce que j’aurais peut-être fait en deux jours normalement, et plein de nouvelles idées jailissent », exprime la pigiste. Une efficacité comme dédoublée dû aussi à une pression que se met la jeune femme pour ne pas laisser ses symptômes gâcher sa carrière. En effet, atteinte d’endométriose, Anaïs doit déjà composer avec des douleurs chroniques liées à sa maladie : « Mon endométriose m’handicape déjà certains jours dans mon travail, alors si j’ajoute les jours où je suis en SPM… Ma force c’est que le reste du temps je suis très efficace, peut être même plus que si je ne subissais pas ces phases de questionnement où je suis obligée de ralentir le rythme. »

Une organisation sur-mesure pour gérer sa charge de travail que ne peuvent pas s’accorder les salariées en entreprise, qui comme Patricia, n’ont d’autres choix que d’encaisser : « Mon poste en banque nécessite de parler tous les jours aux clients, y compris en plein SPM, où je suis particulièrement irritée et irritable. Je prends sur moi pour me contenir, quitte à aller me réfugier dans les toilettes pour pleurer. » Pour éviter ces situations difficiles, elle opte pour le télétravail quand c’est compatible avec son syndrôme prémenstruel et s’autorise à couper la caméra pendant les visios. Des solutions de « bricolage » pour celle qui envisage à long terme d’adopter elle aussi un statut d’indépendante, quitte à changer de métier, pour bénéficier d’une plus grande latitude dans sa façon de travailler.

« J’ai toujours du mal à accepter que je vais le vivre tous les mois »

Si nos témoins ont désormais apprivoisé leurs symptômes pour les concilier avec leur vie professionnelle, il n’en a pas toujours été ainsi. En tout premier lieu, il y a la prise de conscience qu’on est sujet au SPM, ce qui ne coule pas de sources, d’une part parce qu’on parle encore peu de ce sujet dans la société, et d’autre part car les symptômes ressentis sont davantage psychologiques que physiques. Et que, comme l’analyse Patricia, « on n’a pas le réflexe de consulter un médecin juste parce qu’on se sent triste ou à fleur de peau. »

Lucie, elle, avait commencé à noter dans son agenda les dates de ses règles quand elle a un jour entendu parler de SPM sur Instagram. C’est à ce moment-là qu’elle a fait le rapprochement avec ses symptômes systémiques. « En ressortant mon agenda, je me suis rendu compte que les dates correspondaient à des moments où j’avais plus galéré au boulot. En comprendre la cause a été un soulagement », explique l’architecte, qui, très exigeante avec elle-même, avait jusqu’alors du mal à accepter ces moments de déclin de productivité. « Maintenant que je le sais, j’ai fait la paix avec moi-même. Je suis plus indulgente à mon égard », confie-t-elle, au point de s’amuser à cadrer son calendrier professionnel avec ses états d’âme fluctuants.

Une clémence qu’Anaïs a encore du mal à s’auto-accorder selon les jours. Elle décrit un chemin d’acceptation long et sinueux, qui se déroule en trois étapes : « Comprendre la raison de ses symptômes psychologiques est un premier palier qui soulage, ensuite tu t’adaptes en intégrant cette contrainte à ta façon de bosser, enfin la troisième étape c’est de l’avoir totalement accepté, au point de ne plus culpabiliser d’être au ralenti, et ça je n’y suis pas encore arrivée…» En effet, la parisienne qui se qualifie d’hyperactive et dont le métier la fait vibrer, admet parfois céder au déni en essayant tant bien que mal, de lutter contre ses baisses de régime prémenstruels. Une attitude contre-productive selon elle : « L’énergie que je dépense en voulant rejeter la situation m’épuise alors je devrais l’économiser. Parfois faut juste s’autoriser à fermer son ordi pour aller se balader ou se reposer, pour aller mieux le lendemain. Un acte plus facile à dire qu’à faire quand on est une grosse bosseuse. » Enfin, elle combat les injonctions au positivisme qui imposent d’accepter sereinement tout ce qui nous arrive : « Parfois je me sens mal, je suis en colère, et j’ai pas envie de me mettre en plus la pression sur le fait d’être “zen et de le vivre bien”. Parfois, ça fait mal, c’est dur, point. »

Patricia quant à elle, peine à franchir la première étape : « Je me fais encore régulièrement surprendre. Je passe des journées entières à me déprécier et à maudire tous ceux qui m’entourent, remettant toute ma vie pro et perso en question, puis je me calme en découvrant les premières tâches de sang dans ma culotte. Je souffle en me disant “tout va bien c’était juste mon SPM”. »

« Le monde du travail n’est pas prêt »

Face à un syndrôme répandu, qui impacte concrètement les femmes dans leur travail, peut-on espérer que le SPM soit considéré dans le monde du travail ? Même si des progrès sont en marche avec les premières initiatives en faveur du congé menstruel, à l’instar de la mairie de Saint Ouen, qui le met en place pour la première fois en France à compter du 27 mars 2023, le sujet du SPM reste peu connu et difficile à aborder dans la sphère professionnelle. Nos témoins ne s’imaginent pas par exemple l’évoquer pour le moment : « J’ai une partenaire pro, une femme, à qui j’en ai déjà parlé et qui d’ailleurs se réjouit quand on doit rendre un projet commun et que la deadline ne tombe pas dans ma période de SPM, précise l’architecte. Mais jamais, je n’évoquerai le sujet avec mes clients ou des prestataites de sexe masculin. » D’autant que dans un monde du travail encore inégalitaire au détriment des femmes, la question de la légitimité perdure selon Anaïs : « En tant que freelance, je ne veux pas qu’on doute de ma fiabilité. Je n’ai pas envie de m’en plaindre, même si je trouve ça injuste que les hommes n’aient pas à composer avec ça. » La journaliste reste cependant indulgente envers ceux qui ne comprennent pas ce qu’elle traverse, tant elle sait que c’est difficile pour la gente masculine de se projeter au sujet de ces souffrances inconnues. Alors en attendant une prise de conscience sociétale sur cette question, les trois jeunes femmes sont philosophes : « quand le SPM est là, il faut apprendre à travailler avec ses effets pour avancer. »

Article édité par Gabrielle Predko ; Photo de Thomas Decamps

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