Sandra Rey, celle qui fait jaillir la lumière des mers

27 sept. 2019

6min

Sandra Rey, celle qui fait jaillir la lumière des mers
auteur.e.s
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Nora Léon

Communications & content manager

Faire jaillir la lumière des mers, telle est la mission de Glowee, le projet de Sandra Rey. Imaginez une seconde qu’on remplace toute l’intensité lumineuse provenant de l’électricité par une ressource vivante, reproductible à l’infini et biodégradable. Folie ? Utopie ? Sandra et son équipe ne le croient pas. Ils ont développé une solution qui fabrique de la lumière à partir de micro-organismes marins. Leur ambition est d’imposer la bioluminescence comme source d’énergie commune dans les prochaines années. Coup de projecteurs sur la fondatrice de ce projet à la fois scientifique, innovant et durable.

Glowee est un projet un peu fou : comment l’idée t’est-elle venue ?

À vrai dire, c’est un heureux hasard. Glowee est mon premier projet, et mon premier job aussi ! Lorsque je faisais mes études de design au sein de l’école Strate, j’ai participé à un concours sur le thème de la biologie. Je me suis intéressée à la lumière et je suis tombée sur une vidéo sur les poissons bioluminescents qui vivent dans les abysses. C’est à ce moment-là que je me suis dit que si des poissons étaient capables de créer de la lumière dans le ventre des océans, nous pouvions peut-être reproduire leur mécanisme pour en fabriquer aussi.

Et puis… j’ai gagné le concours ! Une attachée de presse a relayé les projets des lauréats, et très vite, ça a eu un impact inattendu dans les médias. Nous avons été contactés par des entreprises qui voulaient savoir comment cela fonctionnait. Alors, je me suis dit qu’il y avait un marché et j’ai créé mon entreprise.

Tu n’étais pas formée à la technique ni même au business : comment as-tu fait pour mener ce projet ?

Effectivement, je faisais du design. J’étais loin de la technique R&D et je n’avais pas de bases commerciales pour vendre une solution ou monter une boîte. En même temps, je pense que j’avais déjà l’âme d’une entrepreneuse. Dès mes 16 ans, j’avais commencé à travailler pour devenir autonome, et j’étais aussi devenue freelance en design pendant ma deuxième année d’études.

Il me manquait une “brique” en gestion, et j’ai donc décidé de me former là-dessus. J’ai fait six mois de formation en entrepreneuriat social à l’ESCP, avant de me lancer dans l’aventure entrepreneuriale avec Glowee.

sandra rey

Justement, comment est-ce que vous fabriquez de la lumière ?

Beaucoup d’organismes ont la capacité de produire de la lumière. Sur Terre, il y a les vers luisants, les vers de terre, les lucioles, etc. 80% des animaux marins connus le font aussi. D’ailleurs, il existe vraisemblablement des millions d’espèces que nous ne connaissons pas encore dans les abysses et qui ont ce pouvoir. Ces organismes ont des gènes qui produisent des molécules très spécifiques qui réagissent ensemble pour produire des photons (les particules élémentaires de la lumière). Cette réaction qui crée de la lumière s’appelle la bioluminescence, du grec bios, la vie, et du latin lumen, la lumière, et est à la base de l’activité de Glowee.

La réaction qui crée de la lumière s’appelle la bioluminescence, du grec bios, la vie, et du latin lumen, la lumière. Elle est à la base de l’activité de Glowee.

Nous utilisons des micro-organismes marins qui portent ces gènes pour produire de la lumière. Notre métier est de créer les meilleurs conditions possibles pour que ces bactéries produisent la lumière la plus forte possible.

Comment peut-on “améliorer” des bactéries bioluminescentes ? Combien de temps dure ce processus R&D ?

L’idée est de se servir de l’évolution naturelle comme levier pour faire muter favorablement ces bactéries. On les place dans des conditions extrêmes, par exemple de pression ou de température, pour qu’elles deviennent des versions plus résistantes et productives. Nous déterminons aussi, en termes de nutriments et de croissance, le milieu dans lequel elles seront les plus performantes.

Quant au temps que ça prend, cela dépend. En recherche et développement, on peut avoir des résultats presque instantanés ou mettre des années à les obtenir. Nous avons d’ailleurs mis du temps à obtenir nos premiers résultats, et dans les douze derniers mois, nous avons multiplié l’intensité lumineuse obtenue par cinquante. Croisons-les doigts pour qu’on continue sur cette lancée.

Nous avons mis du temps à obtenir nos premiers résultats, et dans les douze derniers mois, nous avons multiplié l’intensité lumineuse obtenue par cinquante.

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Qu’est-ce que cela implique d’avoir du vivant pour “matière première” ?

Travailler avec des bactéries n’a pas d’implications éthiques particulières. Ce sont des micro-organismes avec lesquels on évolue déjà au quotidien, et qui n’ont pas de conscience.

Pour autant, travailler avec du vivant modifie quand même la manière de consommer de nos clients. Le produit ne passe pas réellement par les étapes classiques de production, d’installation, de gestion au quotidien, voire de désinstallation et de recyclage. La bioluminescence ne remplace pas une ampoule, c’est une alternative. Il faut donc mettre en place de nouveaux métiers pour s’en occuper, sur toute la chaîne de valeur. L’enjeu pour Glowee est de remettre en question la manière de travailler des acteurs canoniques de l’énergie pour créer de nouvelles pratiques et de nouveaux emplois.

Et alors, quelle est ta vision pour Glowee ?

Mon rêve, c’est de faire de la bioluminescence une évidence. Que demain, ce soit une source d’énergie complètement normale et répandue. Il y a tellement de potentiel dans cette solution que ça en donne le vertige ! Nous avons pour mission d’illuminer le paysage urbain de façon durable. C’est un enjeu titanesque et cela ne va pas se faire en un jour. Il faut être patient, surtout dans un secteur comme celui de l’énergie où les niches sont avalées au profit de solutions énormes. L’enjeu est d’imposer une nouvelle technologie comme la norme. Cela prend 5, 7, 10 ans, et il est donc crucial de viser des paliers intermédiaires pour ne pas se décourager.

Mon rêve, c’est que demain, la bioluminescence soit une source d’énergie complètement normale et répandue.

Aujourd’hui, Glowee commercialise deux produits. Nous vendons des solutions éphémères de bioluminescence pour l’événementiel et le premier système bioluminescent permanent pour des spas et des hôtels à des fins de relaxation. Cela a le mérite de contribuer à démocratiser cette source énergétique et de nous apporter des fonds pour continuer la R&D. Alors c’est sûr, ce sont de petits pas vers notre objectif : faire de la bioluminescence une source d’énergie plébiscitée et adoptée dans le paysage urbain. Certains entrepreneurs ont l’impression de se trahir en adoptant des solutions qui ne collent pas forcément tout de suite à leur ambition à long-terme. Pour moi, c’est une erreur de raisonner comme ça, qui peut même empêcher d’arriver à son but final. Car à partir du moment où on ne perd pas de vue la mission écologique à long-terme, les étapes intermédiaires sont le moyen de s’assurer de sa réussite.

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Et ta conception du travail ?

C’est une manière de m’accomplir. C’est assez classique chez les entrepreneurs, car monter une boîte est souvent une histoire de passion. Cela se ressent aussi chez les employés de Glowee, qui sont très engagés !

Pour moi, le travail est aussi intrinsèquement lié à l’impact qu’on veut avoir sur le monde. En ce qui me concerne, j’ai deux objectifs en termes d’impact. Le premier est de travailler pour une cause qui fasse évoluer la société dans le bon sens. Glowee a un impact potentiel sur la manière dont on pense l’énergie et peut amener une prise de conscience générale. Et le second, c’est créer de l’emploi, de la valeur scientifique, humaine et écologique, le tout en équipe.

Pour moi, le travail est intrinsèquement lié à l’impact qu’on veut avoir sur le monde.

Justement, parle-nous de ton équipe. Quelles sont ses qualités et celles recherchées chez les nouvelles recrues ?

Nous partageons une part d’audace et une certaine envie de prendre des risques. Nous sommes positionnés sur de l’innovation de rupture, qui demande du courage, du temps et de la patience. Et nous sommes tous habités par une sorte d’esprit rêveur, idéaliste. C’est important, car si on tombe dans le pragmatisme, on ne pourra pas affronter la prise de risques et les épreuves qui nous attendent avant que notre technologie ne devienne la norme.

Au-delà des personnes formidables qui font partie de Glowee, j’ai été très entourée pour monter ce projet. Par 50 Partners, un incubateur, des entrepreneurs et une foule de gens qui nous ont soutenus. Le conseil qu’on m’a donné et qui me fait tenir quand il y a eu des coups durs (et il y en a toujours dans l’entrepreneuriat) est le suivant :

« Glowee est comme le Pari de Pascal. On ne peut pas savoir si cela va fonctionner, mais l’enjeu est tellement colossal qu’il faut absolument tenter le coup »

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Glowee veut changer notre rapport à l’énergie. Quelle est ta vision du futur de l’énergie ?

Nous pensons que trois enjeux construiront le paysage énergétique de demain :

  1. Établir le bon mix énergétique sera salutaire
    L’Homme a tendance à vouloir chercher LA solution miracle pour être plus responsable. Par exemple, mettre des panneaux solaires partout. Mais ils ne sont efficaces qu’à certains endroits et ont un coût écologique. C’est donc important d’utiliser les solutions adaptées à un contexte.

  2. La nature est notre meilleure inspiration
    Glowee en est la preuve : nous sommes partis de ce qui se passe naturellement dans la mer pour développer une technologie novatrice que nous voulons commercialiser comme la norme à terme.

  3. Il faut repenser l’équation du coût écologique sur l’ensemble de la chaîne
    Il faut prendre en compte le coût écologique de la construction, la consommation et du recyclage. Chez Glowee, le matériau de base est vivant, reproductible à l’infini et biodégradable. C’est inédit et précieux.

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Photo d’illustration by WTTJ

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