« Coucou, c'est encore moi » : zoom sur les salariés boomerang

22 févr. 2022

7min

« Coucou, c'est encore moi » : zoom sur les salariés boomerang
auteur.e
Paulina Jonquères d'Oriola

Journalist & Content Manager

En amour, revenir avec ses anciens partenaires ne se solde pas toujours par une franche réussite. Mais qu’en est-il au travail ? Il semblerait que la comparaison s’arrête nette. Les salariés boomerang – celles et ceux qui quittent une entreprise avant de la retrouver – sont en réalité une source de talents précieuse. Dans un futur proche, le modèle pourrait même se déployer à plus grande échelle au sein de l’entreprise libérée.

Julie Recalde est une salariée boomerang. Comprenez : elle est revenue dans son entreprise plusieurs années après l’avoir quittée. Aujourd’hui Responsable efficience et innovation RH chez Mazars, elle a débuté au sein de ce grand cabinet d’audit et de conseil en 2010. « Le parcours classique de formation pour une jeune diplômée d’école de commerce », résume-t-elle. Julie poursuit son récit en se décrivant comme un pur “cliché” de sa génération. Après trois ans chez Mazars, la jeune femme décide de tout plaquer pour pivoter vers l’humanitaire en tant que Responsable d’un hôpital en Afrique pour Médecins sans frontières. Mais elle déchante rapidement. Sa vie d’expat à cheval entre deux continents ne lui convient pas à titre personnel.

De retour dans l’Hexagone, elle devient Responsable d’audit interne pour Action contre la faim. Là encore, c’est la désillusion. « Durant ces 3 années dans l’associatif, j’ai voulu donner du sens à mon travail à travers ces grandes causes qui me dépassaient. Cependant, la réalité terrain était totalement différente. J’avais finalement du mal à mesurer l’impact de notre action auprès de nos bénéficiaires. Je n’ai pas non plus apprécié le système de gouvernance des associations dans lesquelles chacun donnait son avis, y compris sur ma zone d’expertise. De plus, mon travail était assez répétitif. Enfin, j’ai trouvé que les gens qui évoluaient dans ces structures depuis de nombreuses années semblaient fatigués, et pour certains emprisonnés dans ce secteur sans plus pouvoir en sortir. En France, le marché de l’emploi n’est pas encore prêt à accepter les variétés de parcours », analyse notre interviewée.

« Je suis avant tout revenue pour les gens, l’ambiance et la diversité des missions »

Pour toutes ces raisons, Julie choisit finalement de revenir vers les cabinets d’audit, consciente que chaque organisation souffre de ses propres travers. À l’issue de différents entretiens, elle se voit proposer des postes d’audit dans le secteur humanitaire. En parallèle et de manière officieuse, elle contacte par Facebook une RH de Mazars qui était dans sa promo, lui demandant si des opportunités pouvaient se présenter. « Cette dernière en a parlé à l’un de mes anciens managers qui m’a ensuite écrit un mail plus officiel pour me proposer un poste d’audit dans le secteur immobilier. Poste que j’ai accepté », nous raconte-t-elle.

Les raisons de ce retour au bercail ? « Je suis avant tout revenue pour les gens, l’ambiance et l’incroyable diversité de mes missions. En bref, pour la culture d’entreprise, tout ce que l’on ne peut pas vraiment déceler grâce aux entretiens. Ce n’est pas la peur qui a guidé mon choix. J’ai pu tester plusieurs cultures d’entreprise et je me suis rendue compte que finalement, je me sentais bien chez Mazars. Partir dans une autre structure m’a permis de comprendre ce que je recherchais dans un job ».

« Qu’est-ce qui nous assure que tu ne vas pas à nouveau claquer la porte dans 6 mois ? »

Julie nous révèle ne pas être la seule salariée boomerang au sein de son entreprise. D’autres ont également fait leur come-back, portés par cette envie de renouer avec le challenge. Mais du côté des RH, comment leur choix a été accueilli ? Julie nous confie avoir bénéficié d’un processus de recrutement allégé, mais avoir tout de même dû passer deux entretiens avant de retrouver l’entreprise.

Et son choix de partir puis revenir a évidemment été challengé. « Ils m’ont dit : “Tu es partie pour donner du sens à ton travail et parce que tu en avais assez du rythme de travail effréné. Qu’est-ce qui nous assure que tu ne vas pas à nouveau claquer la porte dans 6 mois” ? Ce à quoi je leur ai répondu que j’avais vécu l’expérience que je voulais vivre. Et que par la suite, je m’étais rendue compte que je l’avais idéalisée et qu’en réalité, j’aimais mon métier », rapporte-t-elle. Pari réussi pour son employeur puisque 8 ans après, Julie est toujours aussi épanouie chez Mazars après avoir opéré à différents postes. « On pourrait me croire instable, mais c’est tout l’inverse. Je suis très heureuse dans cette entreprise qui m’offre la flexibilité nécessaire pour m’épanouir », analyse-t-elle.

Le boom des salarié.e.s boomerang aux Etats-Unis et en France

Le cas de Julie est-il un épiphénomène dans le monde des RH ? Aux Etats-Unis, la chose est en train de s’accélérer sous l’effet de la grande vague de démission que traverse actuellement le pays, et qui engendre une pénurie de talents dans certains secteurs comme la restauration ou le retail. Pour pallier au manque d’effectifs, les entreprises n’hésitent pas à piocher parmi leurs ex-recrues quand celles-ci sont parties en bons termes et ont quitté l’entreprise il y a suffisamment longtemps pour avoir acquis de nouvelles compétences. Le plus souvent, ces salarié.e.s boomerang ont démissionné car ils ont dû déménager, ont fondé une famille ou encore n’ont pas pu refuser une offre d’emploi surprise leur permettant de se développer professionnellement. Et puis, en dehors de ce contexte particulier, les réseaux sociaux ont aussi contribué à densifier le phénomène en offrant la possibilité aux entreprises de rester en contact avec leurs anciens salarié.e.s (et vice versa), quand autrefois il fallait communiquer… par voie postale !

En France, le phénomène des salarié.e.s boomerang est un peu moins connu, mais n’en demeure pas moins une réalité. « 15 % de nos 1 500 entreprises clientes avaient réembauché des salariés en 2019, sur les neuf premiers mois de l’année 2020, on est déjà à 22 % », assure Oualid Hathroubi, le directeur de Hays Paris, dans les colonnes du Monde. Pour Agnès Duroni, CEO d’Adevea et spécialiste en stratégie de marque employeur, « cela a toujours existé au sein des grands groupes comme des PME/ ETI. ». Elle ajoute toutefois, sans vouloir les citer, que certaines grandes entreprises françaises sont réticentes à faire revenir d’anciens collaborateurs. « Parfois , c’est la règle édictée par l’entreprise : si quelqu’un est parti, il ne peut en aucun cas revenir. Je pense que dans le futur ces modèles risquent d’évoluer, il y aura de plus en plus de tolérance et d’ouverture face aux départs», analyse-t-elle.

Quel impact sur la culture d’entreprise ?

D’après Agnès Duroni, les salarié.e.s boomerang ne doivent pas être perçu·es comme une menace pour l’entreprise. Ces allers-retours, selon elle, ne sont pas forcément des signaux négatifs pour les collaborateurs restés en place. Au contraire, ils peuvent être synonymes d’engagement et de rétention pour les employé.e.s. « Leur présence envoie un signal positif en termes de marque employeur car cela montre les atouts différenciants de l’entreprise. Si les salarié.e.s reviennent, c’est que leur expérience première était plus positive qu’ils ne le pensaient ! Ce n’est pas un aveu d’échec, et cela peut encourager les collaborateurs à rester fidèles. Je l’ai vu chez Capgemini : certains collaborateurs revenaient plus expérimentés et très motivés plusieurs années après leur départ. Parfois, les salarié.e.s boomerang en ont profité pour se former, ce qui leur permet de prendre des postes avec plus de responsabilités. Ce qui est aussi bénéfique pour l’entreprise » affirme-t-elle.

Même son de cloche du côté de Cyril de Sousa Cardoso, spécialiste de l’innovation managériale, qui estime que les salarié.e.s boomerang font effectivement preuve d’un attachement très profond à leur entreprise. Il ajoute que ces derniers peuvent insuffler une nouvelle dynamique dans les équipes en adoptant un regard nouveau sur l’organisation. Julie Recalde en témoigne : « Je suis revenue avec beaucoup plus de recul sur les contraintes du métier. J’ai aussi tenté d’apporter de nouvelles choses. Par exemple, j’avais été “choquée” que le siège de mon association ferme à 20H, moi qui avais l’habitude de travailler tard au bureau. Finalement, je m’y suis très bien accoutumée et j’ai tenté d’instaurer un droit à la déconnexion une fois revenue dans mon entreprise. Je n’ai pas réussi pour l’instant à instaurer cette règle, mais je ne désespère pas », illustre-t-elle.

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Plus performant.e.s, les salarié.e.s boomerang ?

Seul petit bémol à ce joli tableau ? Ne pas croire que le/la salarié.e boomerang n’aura pas besoin d’onboarding. « Les anciens sont au fait de la culture d’entreprise mais pendant leur absence, les choses ont évolué, comme les outils utilisés par exemple. Quand je suis partie de Mazars, nous travaillions encore avec des classeurs papier. Quand je suis revenue, tout était dématérialisé », illustre Julie.

De plus, une étude menée aux Etats-Unis semble également nuancer la croyance selon laquelle les salarié.e.s boomerang surperformeraient par rapport aux recrues internes ou externes. Il ressort que leur comportement serait finalement assez similaire d’une première expérience à l’autre, avec un risque accru qu’ils quittent à nouveau l’entreprise. Toutefois, le marché du travail américain est par essence beaucoup plus mouvant que le marché français. Aussi ne peut-on pas forcément transposer ces conclusions à l’hexagone de manière littérale. En tout cas, l’exemple de Julie démontre que son retour a été durable et profitable à son entreprise. Soulignons aussi que les salarié.e.s n’ont pas vocation à être lié·es éternellement à une société et que la pratique va plutôt dans le sens de l’histoire.

Demain, serons-nous tous des salarié.e.s boomerang ?

Pour Cyril de Sousa Cardoso, les salarié.s boomerang sont non seulement désirables, mais ils représenteraient même le futur du travail : «j’’imagine un nouveau modèle de gestion des talents à l’échelle d’un bassin d’emploi dans lequel les salarié.e.s seraient libres de partir et revenir, naviguant d’une structure à l’autre. Je compare cela aux Légos : plus il y a de briques différentes dans l’organisation, plus celle-ci est créative ».

À l’heure actuelle, nous ne sommes finalement pas si loin de ce mode de fonctionnement avec des entreprises qui se passent les unes les autres des CV de profils pénuriques. Une nouvelle manière d’envisager les ressources humaines qui conviendrait parfaitement aux polyamoureux du boulot et slasheurs en tous genres. « Les carrières ne sont plus linéaires, les modes de travail évoluent : le nombre d’années passées dans une entreprise n’est pas synonyme d’engagement et de motivation. Je trouve qu’il est plus admirable de quitter une entreprise et d’y revenir en étant loyal que de rester dans la même société pour de mauvaises raisons. Il faut également accepter et respecter les départs des collaborateurs, chacun peut avoir de nouveaux projets ou envie d’expérimentation. Quitter une entreprise n’est pas la trahir ! » cite Agnès Duroni. Un point de vue confirmé par Julie Recalde : «Je crois que je ne serais pas aussi motivée dans mon boulot si je n’avais pas quitté une première fois mon entreprise. Le fait d’avoir opéré tous ces choix en conscience me donne un vrai sentiment de liberté et de légèreté. »

Photo par Thomas Decamps
Texte édité par Héloïse De Montety

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