RH : pouvez-vous être potes avec vos collaborateurs ?

11 mars 2024

4min

RH : pouvez-vous être potes avec vos collaborateurs ?
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Laure Ott Libera

Rédactrice et créatrice du podcast « Dis, c’est quoi ton travail ? »

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Les injonctions vis-à-vis des RH ont rarement été aussi fortes et contradictoires. Entre exemplarité, devoirs, empathie et humanité, leur est-il possible de développer des relations de proximité au travail ? Quels sont les risques ? Comment les gérer ?

On ne se rend pas au travail pour se faire des amis. Pourtant se connecter aux autres est naturel. Pour 93 % des salariés français, se nouent dans l’entreprise des amitiés propices à plus d’engagement, de bien-être, de productivité. Côté RH, qu’en
est-il ? À mi-chemin entre autorité et défense des intérêts des salariés, exiger d’eux de rester à distance est complexe. Eux aussi sont humains. Une certitude : dans leur cas, la relation ami-ami est plus exigeante, moins anodine. Leur position est source de dilemmes avec des normes éthiques et professionnelles strictes de confidentialité, partialité, professionnalisme. Quels sujets génère le fait d’être pote avec les salariés ? Quels garde-fous instaurer pour trouver le juste équilibre ?

Pour le RH, qu’implique la relation ami-ami avec les collaborateurs ?

« Un débat passionnant qui traverse régulièrement l’esprit de tout RH », selon Florentin Seux, Senior Manager chez Greenworking.
« Dans l’univers start-up, la tendance va crescendo vers des relations de proximité au travail. Les collaborateurs attendent que le masque tombe. En témoigne l’évolution du métier de RH, de Ressources Humaines à Relations Humaines, puis à Richesses Humaines. Avec un brouillage de plus en plus fort entre le moi professionnel et personnel. » Tout dépend de la taille de l’entreprise : « Dans une petite structure avec 1 ou 2 RH, la problématique est encore plus complexe ».

Pour lui, il est possible mais délicat pour le RH d’être pote avec ses collaborateurs. « Forcément à un moment dans l’angulation, il va se heurter à une frontière plus ou moins poussée avec des risques multiples. Il doit faire preuve d’une double loyauté envers la Direction et les salariés. Son métier est “schizophrène” par essence. Ajouter un troisième niveau (la loyauté envers ses amis) est intenable. » Idem pour le collaborateur et l’entreprise : « Des biais cognitifs inconscients se rajoutent dans la relation ami-ami, tels que l’effet de halo. Le RH va par exemple être tenté de juger la performance du salarié en fonction de la relation d’amitié, de caractéristiques non liées à sa performance ». Sans compter les enjeux d’éthique, de confidentialité, d’équité, d’impartialité et de transparence imposés par la fonction RH (questions de sécurité, de protection des données, de décisions disciplinaires). Peuvent enfin s’ajouter des risques de conflits d’intérêts et de favoritisme, pour des détails (attribuer la bonne place au bureau) ou des choses plus significatives (affectation des tâches, augmentation, attribution de promotion). Le RH peut perdre sa crédibilité, et la cohésion se déliter (risque de frustrations, ressentiment, conflits).

5 bonnes pratiques pour trouver le juste équilibre et éviter les dérives

Avoir conscience des risques encourus et de leurs conséquences

Un bon premier pas. D’après Florentin Seux, « il faut être au clair dès le départ sur les difficultés de la proximité RH-collaborateurs, les limites pour tous, être capable de s’auto-évaluer et faire preuve d’auto-discipline pour tendre vers une relation saine ». « On exige beaucoup de la fonction RH », ajoute Mathilde Le Coz, DRH chez Mazars France : « Il faut être irréprochable, sans faille. C’est hyper dur. L’amitié ne se contrôle pas, les coups de foudre amicaux existent. On peut avoir des amis parmi les collaborateurs, impossible de rester isolé. C’est ce qui fait l’humanité, l’authenticité et la confiance. Ou alors on opte pour des “DRH-process”. Il faut juste avoir conscience des risques de perception, de faute, et mettre en place des garde-fous pour que les frontières ne soient pas floues, avoir le courage d’assumer que des potes au travail ne le soient peut-être plus un jour. Parfois on aura des choses à faire vis-à-vis de ses amis. Il faut l’accepter et faire preuve de déontologie ».

S’imposer des rituels pour limiter les biais cognitifs

« En cas de décision concernant un collaborateur proche, le RH doit tenter d’objectiver, prendre des avis tiers, et factualiser au maximum. » Tout est question d’équilibre entre humain et professionnalisme. Pour Marjolaine Hamon, DRH adjointe chez OCTO Technology, il est important de « bien garder à l’esprit la distinction entre empathie et sympathie ». On peut faire preuve d’écoute, de soutien au travail, sans forcément basculer dans l’émotionnel : « Depuis plusieurs années, les salariés attendent parfois que l’entreprise prenne soin d’eux. Une forme de pression pour les RH. Attention de ne pas tomber dans une trop forte proximité. Le RH incarne aussi une forme de cadre utile dans une sphère professionnelle ».

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On vous en dit plus ?

Fixer une ligne de conduite et des limites claires pour tous

Être potes implique de se confier. Une situation qui peut vite s’avérer inconfortable pour le RH. D’où l’importance de se fixer des règles pour guider ses comportements, cloisonner, de les communiquer à ses collègues proches. Pour Marjolaine Hamon,
« il ne faut jamais perdre de vue sa casquette RH car tout peut basculer à un moment. Les frontières doivent être claires pour le bien-être de la relation, que la confiance subsiste quoi qu’il advienne entre l’individu et l’entreprise ». « Si j’ai des amis, j’attends qu’ils soient irréprochables et respectueux des valeurs de Mazars. Sinon impossible, car je vais peut-être être obligée un jour de m’opposer à eux au travail », complète Mathilde Le Coz. Assister aux événements conviviaux : oui, mais uniquement corporate (et attention à l’alcool !). Éviter les événements privés (mariages, anniversaires). « Même s’il est tentant pour le RH d’être apprécié, sa fonction lui impose une retenue et une juste distance. Il incarne malgré lui quelque chose qui le dépasse », souligne Marjolaine Hamon.

Ne tomber ni dans le « 100 % ragots », ni le « 100 % corpo »

Le RH a un pouvoir et des connaissances supplémentaires par rapport aux autres collaborateurs. Autre conseil pratique : en tant que boussole morale de la boîte, éviter les commérages et ne jamais dénigrer la Direction. Pour Mathilde Le Coz, « il faut viser l’exemplarité avant tout, sinon une part du RH est critiquable. Sans alignement avec les valeurs de l’entreprise, tu n’es pas crédible ». En même temps, un DRH qui serait toujours lisse et froid, dans la réserve, peut perturber. « Les salariés ont envie d’authenticité. En tant que DRH de Mazars, j’opte pour un discours de vérité. Le ou la DRH se doit d’être loyal(e) envers son organisation et sa Direction générale, mais pas pour autant de défendre l’organisation coûte que coûte. S’exprimer sans filtre et avec loyauté, c’est aussi reconnaître les imperfections de l’organisation et ses potentielles vulnérabilités. Ce parler vrai est un gage de confiance. »

Se reposer sur ses pairs, dans ou à l’extérieur de l’entreprise

Le rôle de RH… une vocation qui rime parfois avec solitude. Il y a certes l’équipe. D’après Florentin Seux, « le RH peut s’appuyer en interne sur ses collègues RH, le collectif managérial et la Direction ». Mais parallèlement, il doit porter les membres de son équipe. « Quand ça ne va pas, il ne peut pas tout étaler, il doit tenir. D’où l’importance des clubs de DRH, de la force du collectif, d’échanger avec des personnes externes (pairs, coachs) pour prendre du recul », ajoute Mathilde Le Coz. « On peut se permettre de nouer davantage de liens dans la sphère RH, car la confiance et la confidentialité du métier nous lient », conclut Marjolaine Hamon. Une piste à explorer sans modération.


Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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