Recrutement : 5 bonnes raisons d'en finir avec la recherche du candidat idéal

15 mai 2023

5min

Recrutement : 5 bonnes raisons d'en finir avec la recherche du candidat idéal
auteur.e
Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

contributeur.e.s

Se lancer dans un nouveau recrutement, c'est (souvent) se mettre en quête de la perle rare. Un candidat doté de mille et une compétences qui collerait à 120 % avec la fiche de poste. Mais existe-t-il vraiment ? Avez-vous encore intérêt à maintenir un niveau d’exigence trop élevé dans l'espoir de trouver ce mouton à 5 pattes ?

Un recrutement n’est jamais anodin pour une entreprise : pour dégoter le/la candidat·e idéal·e (et se rassurer), les recruteurs, conjointement avec les managers, établissent généralement une litanie de critères relatifs aux compétences techniques, à l’expérience, aux diplômes ou encore aux soft skills. Ce réflexe est tout à fait normal au regard des conséquences financières que peut générer un recrutement « loupé » : selon ManPower, HR Voice et Opensourcing, cela oscille entre 30 000€ et 150 000€. Néanmoins, à l’heure où le marché de l’emploi se tend - 58 % des recrutements sont jugés difficiles actuellement -, la pression des entreprises sur les candidat·es semble contre-productive :

  • 86 % des recruteurs se heurtent à des difficultés pour trouver des profils correspondant précisément aux critères envisagés pour le poste, selon la dernière enquête Indeed en partenariat avec Opinion Way,
  • 74 % des candidat·es reconnaissent ne pas oser postuler aux offres d’emploi quand ils/elles n’ont pas toutes les compétences demandées.

Le mythe du candidat idéal est encore bien ancré

Recruteurs et chercheurs d’emploi sont d’accord sur un point : en France, la culture du « profil idéal » se maintient (respectivement 83 % et 90 % selon l’enquête Indeed). DRH de profession, Céline Méchain confirme : « Même si l’on observe une évolution des offres d’emploi, dans la forme notamment, les compétences exigées ressemblent encore beaucoup à des listes à la Prévert, ce qui décourage les candidat·es ». En effet, sur 10 candidat·e·s, 9 se sont déjà senti·es intimidé·es par les compétences exigées dans une offre d’emploi au point de ne pas postuler.

Alors, pourquoi rester cantonné à cette idéalisation du candidat, une stratégie visiblement inefficace et dissuasive ? « Les managers ont, comme nous tous, des biais : ils/elles se tournent naturellement vers les meilleures écoles ou universités, idéalisent des candidats qui leur ressemblent. Or, la détermination du profil doit être pensée de manière relative, et non absolue : quelle est la meilleure personne pour l’équipe, mais aussi pour l’entreprise dans le contexte actuel et les années à venir ? », explique Léo Bernard, formateur sur le recrutement.

En filigrane, derrière le/la candidate idéale, la question de la diversité se pose également : 89 % des chercheurs d’emplois trouvent que les profils atypiques sont trop systématiquement mis de côté ! Et 82 % des recruteurs abondent dans ce sens. « À l’heure où la diversité et l’inclusion deviennent des enjeux phares, il faut prendre du recul quant aux compétences requises, souvent trop fastidieuses. Le domaine de la tech en est un bon exemple : pour favoriser les recrutements féminins, les offres sont délibérément allégées car on sait que les candidates ont tendance à s’auto-censurer si elles ne cochent pas toutes les cases », souligne Céline Méchain.

5 étapes pour s’extraire de la légende du « candidat parfait »

1. Jauger la « maturité » de son interlocuteur en termes de recrutement

« Chaque recrutement pour une petite structure a toujours beaucoup d’impact et se fait de manière ponctuelle, à la différence des grands groupes qui recrutent souvent continuellement et maîtrisent mieux les évolutions du marché », explique Coelio Doray, fondateur et associé du cabinet de recrutement Maïki. C’est pourquoi, il faut faire preuve de pédagogie envers les managers ou l’entreprise qui souhaitent recruter : « Il est important de comprendre l’historique de leurs recrutements, leurs craintes et objectifs pour, ensuite, leur expliquer la réalité du marché de l’emploi qui amène à adapter éventuellement certains critères, en fonction du profil recherché. »

2. Oser challenger les demandes inadéquates

« C’est le rôle du/de la recruteur·euse de challenger les demandes et démontrer qu’elles sont parfois trop ambitieuses ou mal priorisées », affirme Céline Méchain. « Ce n’est pas un exercice facile car il/elle ne connaît pas forcément le métier. En revanche, il/elle peut alerter sur des critères incohérents liés au marché : un salaire trop bas pour un certain niveau d’expertise, un nombre d’années d’expérience trop important pour un profil junior, etc. » Plutôt qu’un argumentaire discursif, Léo Bernard propose une expérience : « Quand une offre d’emploi me paraît démesurée, je demande au/à la manager s’il/elle se serait positionné·e avec son CV actuel ? Spontanément, la réponse est oui. Mais lorsque l’on décortique critère par critère, il/elle prend conscience des incohérences et du paradoxe : eux/elles-mêmes ne rentrent pas dans les cases. »

3. Prioriser les demandes grâce à l’art du questionnement

Pour éviter l’effet « liste de course », il faut prioriser les compétences essentielles et trier celles qui sont non essentielles. En amont de cet exercice, Coelio Doray rappelle un point important : « Il est primordial d’expliquer les règles du jeu : le recrutement suit une logique d’entonnoir, plus on ajoute de critères, plus on restreint le vivier de candidats disponibles ». Une fois le cadre posé, Léo Bernard préconise l’organisation d’un kick-off avec toutes les parties prenantes (sourceurs, recruteurs, managers et même collaborateurs, en fonction du processus) : « Durant ce cadrage, le recruteur pose des questions très spécifiques pour comprendre le besoin et définir les critères essentiels. On part d’une vision macro où l’on va déterminer quels types de candidats il est possible d’attirer au regard de l’offre RH de l’entreprise. Puis, on va s’intéresser au job en lui-même : pourquoi ce poste est-il intéressant chez vous plutôt que chez un concurrent ? C’est ainsi que l’on définit collectivement les compétences essentielles qui permettent de qualifier un·e candidat·e ». L’objectif est aussi de traduire très précisément les compétences recherchées : « On ne va pas écrire “5 ans d’expérience sur un outil ou à tel poste”, ce qui ne veut rien dire aujourd’hui mais, “Vous maîtrisez tels modules du CRM” ».

4. Baliser son processus de recrutement de A à Z

« Si une fois sélectionné·e, lors des entretiens, le/la candidat·e ressent trop de pression pour coller exactement à la fiche de poste, ça risque de le/la décourager. Les candidat·es, aujourd’hui, sont en position de force, ils/elles privilégient un environnement où ils/elles se sentent en confiance et peuvent se projeter », insiste Coelio Doray. Pour éviter l’effet déceptif entre l’offre d’emploi et l’expérience vécue en entretien, l’utilisation d’une scorecard fait office de garde-fou : « Cet outil assure de mener des entretiens structurés et fiables, en phase avec la performance future et juste pour les candidat·es », explique Léo Bernard. Comment construire sa scorecard ? Pour chaque comportement et compétence absolument requise, une série de questions est rédigée avec une évaluation de ce qu’est une bonne, une moyenne et une mauvaise réponse. « Cette méthode est l’antidote contre le mouton à 5 pattes : tout est structuré en amont, les attentes sont claires, il n’y a aucune zone de flou. »

5. Miser sur le potentiel et non (uniquement) la performance

68 % des chercheurs d’emploi ayant postulé à une offre ne correspondant pas tout à fait à leur profil ont obtenu un entretien d’embauche. 55 % d’entre eux ont même eu une proposition d’embauche ! Cette approche du « culture add » versus « culture fit » est très intéressante à explorer selon Céline Méchain : « Le/la recruteur·euse va davantage s’intéresser à ce que la personne pourrait apporter en plus et de différent à l’équipe, à l’entreprise ». De manière plus globale, les bénéfices RH sont multiples :

  • Sur la marque employeur : toujours d’après l’enquête Indeed, 60 % des recruteurs pensent qu’avoir fait des concessions sur les profils a apporté un nouveau regard sur l’entreprise.
  • Sur la rétention des talents : « En recrutant des personnes qui couvrent 60 % ou 70 % des compétences requises, l’entreprise démontre sa confiance en leur capacité à évoluer et à apprendre. À moyen terme, c’est un excellent levier d’engagement », ajoute Léo Bernard.

Mais dans les faits, « miser sur le potentiel n’est pas si simple », alerte Coelio Doray. « Il faut être capable d’assumer le fait que le/la candidat·e ne coche pas toutes les cases : c’est donc prendre un risque et cela implique un plus grand investissement managérial au démarrage. »

Par peur ou par mimétisme, le mythe de l’oiseau rare semble encore tenace, même si 85 % des recruteurs pensent que l’on devrait faire preuve de plus d’ouverture d’esprit. Le changement n’est donc pas pour maintenant, mais le/la recruteur·euse joue certainement un rôle pivot pour faire bouger les logiques de recrutement vers un monde plus inclusif.


Article édité par Mélissa Darré, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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