Arrogants, volatiles… comment déjouer les stéréotypes au recrutement des jeunes ?

17 oct. 2022

6min

Arrogants, volatiles… comment déjouer les stéréotypes au recrutement des jeunes ?
auteur.e
Elise Assibat

Journaliste - Welcome to the Jungle

contributeur.e

Pas assez ambitieux, trop arrogants, fainéants, volatiles… Nombreux sont les stéréotypes à graviter autour des jeunes dans le monde du travail. Mais d'où proviennent ces idées reçues et quel est leur impact sur le recrutement des nouvelles générations ? Surtout, comment y mettre un terme ? Notre experte Amélie Favre Guittet nous répond.

Nul n’ignore que les stéréotypes envahissent le monde du travail de la même manière qu’ils évoluent plus largement dans les sillons de la société. Ils touchent les femmes, les seniors, les personnes de certaines origines ethniques ou celles en situation de handicap, et dans tous les cas, un imaginaire propre à chacun nourrit des fantasmes infondés. « Rappelons qu’une discrimination repose sur un biais de perception, énonce Amélie Favre Guittet, lui-même fondé sur des croyances, des idées reçues, des clichés qui n’ont pas lieu d’être dans la quasi totalité des cas. » En ce qui concerne les jeunes, lorsqu’il s’agit d’emploi, les stéréotypes ont la vie dure. Il leur est reproché des comportements trop éloignés des codes du monde du travail, ou encore une incapacité à s’intégrer et à faire du bon boulot. De fait, c’est pendant l’entretien d’embauche que ces préjugés sont principalement mis sur la table. 54 % des jeunes disent en avoir fait l’expérience, essuyant remarques ou propos désobligeants au cours de cet exercice.

Au travail, les jeunes (diplômés) ont mauvaise presse

Notons aussi qu’il existe des discriminations entre les juniors ayant déjà eu une expérience en entreprise et les jeunes diplômés sortis d’écoles : les entreprises vont privilégier le premier profil au détriment du deuxième. La raison ? « Quelqu’un d’expérimenté peut rassurer sur le fait qu’il s’acclimate plus facilement à une entreprise et qu’il soit plus rapidement opérationnel qu’un jeune diplômé, moins expérimenté », observe Amélie Favre Guittet. Car les entreprises sont encore trop nombreuses à sous-estimer la valeur des stages et de l’alternance réalisés au cours des études. « Des stéréotypes circulent sur les “stages photocopies” et donnent une mauvaise image de ces jeunes qui démarrent dans le monde du travail, déplore notre experte. De même qu’on s’imagine qu’un jeune diplômé n’ayant pas fait de stage ne dispose pas des “codes” ». Bref, c’est la prime à l’opérationnalité… Dès lors qu’on considère le nombre d’années d’expérience comme le garant du niveau de professionnalisme.

« Le marché du travail est principalement composé de cadres plus âgés qui ne comprennent pas le langage des jeunes et encore moins leurs besoins. »

Pourtant, il semble évident que tous les jeunes ne correspondent pas à l’idée générale que l’on se fait d’eux. Et malgré des différences d’approche du monde professionnel entre générations, cela ne retire rien au désir d’apprendre des compétences solides chez les jeunes. « Le marché du travail est principalement composé de cadres plus âgés qui ne comprennent pas le langage des jeunes et encore moins leurs besoins, différents des leurs, explique la spécialiste. La méfiance va donc être la première réaction face à cette génération avec laquelle ils appréhendent de travailler. » Or, cette appréhension empêche toute réflexion objective, d’autant plus quand on sait à quel point il est difficile pour notre cerveau de remettre en question des certitudes. Tout ce qui peut lui faciliter la vie et lui faire baisser sa consommation d’énergie lui convient parfaitement. « Par conséquent, RH et managers dressent le profil-type d’un mouton à cinq pattes qui n’existe pas, en se cachant derrière des excuses infondées pour ne pas recruter des jeunes diplômés et leur préférer des candidats plus expérimentés », conclut Amélie Favre Guittet. Mais alors, comment faire en sorte que les jeunes générations ne soient plus mises de côté ?

Recrutement : 8 stéréotypes sur les jeunes à déconstruire au plus vite

Face aux clichés qui ont la vie dure, une seule solution : la déconstruction. « Dans la mesure où une embauche se fait à 70 % sur des critères “affectifs”, c’est-à-dire humains, la priorité va être de modifier la perception de chacun pour faire évoluer les prises de décision », affirme Amélie Favre Guittet. Et rien de tel que la sensibilisation pour contrer 8 stéréotypes aux côtés de la spécialiste.

1. Ils seraient moins respectueux de la hiérarchie

Les jeunes sont souvent perçus comme arrogants, ne prêtant pas attention à l’ordre établi en entreprise. En réalité, ce n’est pas qu’ils respectent moins la hiérarchie, c’est plutôt qu’ils attendent autre chose de sa part. « Les nouvelles générations ont vu leurs parents se faire malmener au travail et ne veulent pas vivre la même chose, analyse Amélie Favre Guittet. Elles ne veulent plus d’un “chef”, mais d’un vrai manager, à la limite du coach, qui les fera progresser. » Il ne s’agit donc pas d’un simple rejet de l’autorité puisque ces jeunes souhaitent s’engager dans des tâches qui ont du sens à leurs yeux. « En bref, ils sont d’accord pour exécuter les ordres, mais pas totalement à l’aveugle… »

2. Ils auraient des exigences (trop) portées sur l’ambiance de travail

Oui, les jeunes sont en quête de bien-être et se montrent exigeants vis-à-vis de leur environnement. Ils décloisonnent les sphères composant leur quotidien : ils veulent se sentir bien au bureau, en entretenant de bonnes relations avec leur collègues, tout autant que dans leur vie personnelle. « Pour eux, tous ces mondes ne font qu’un », constate Amélie Favre Guittet. Et ce n’est pas une mauvaise chose car chacun devrait se poser la question de l’ambiance et de la culture d’entreprise avant d’intégrer une boîte. Il s’agit même d’un enjeu crucial pour la QVT ! « D’autant plus que si les jeunes ne s’épanouissent pas, ils auront moins d’états d’âme que leurs aînés à partir voir si l’herbe n’est pas plus verte ailleurs, poursuit l’experte. Alors pour les retenir, il va falloir un peu plus que des menaces et davantage de bonnes ondes ! »

3. Ils seraient plus individualistes que leurs aînés

Rester toute une vie au sein de la même entreprise ne parle plus aux jeunes d’aujourd’hui. « Pourtant, ils ne sont pas plus sauvages et asociaux que les générations précédentes, affirme Amélie Favre Guittet. Simplement, ils acceptent moins de choses que leurs parents. » Ils ont à cœur de se sentir stimulés par leur activité, de progresser plus rapidement… « Et si vouloir grandir professionnellement est une ambition targuée d’individualisme, alors oui, ils le sont, s’amuse-t-elle. Mais ne le sommes-nous pas tous plus ou moins ? »

4. Ils ne seraient plus ambitieux comme avant

On reproche aux nouvelles générations de manquer d’ambition, comme s’il n’existait qu’un seul et unique modèle de réussite professionnelle. « Mais ils ne sont pas moins ou plus ambitieux que leurs prédécesseurs, ils le sont juste autrement », affirme Amélie Favre Guittet. Ce n’est pas tant le salaire ou les titres qui les intéressent, mais plutôt l’évolution par l’apprentissage et le challenge, doublé d’un contact plus humain. « N’oublions pas tout de même qu’il peut y avoir de grandes disparités entre les jeunes, qui ne sont pas tous pareil, rappelle la spécialiste. Les envies peuvent différer, même au sein d’une même classe d’âge ! »

5. Ils seraient tire-au-flanc

Il n’est pas rare d’entendre les anciennes générations se plaindre de la fainéantise des jeunes d’aujourd’hui. Comme si le fait de ne pas être encore considéré comme un adulte à proprement parler renvoyait à la paresse. Pourtant les jeunes sont loin d’être tire-au-flanc, au contraire. Non seulement ils sont volontaires, mais en plus, ils aiment travailler. « J’interviens très souvent en école de commerce, et quand je vois le parcours des étudiants à 17, 18, 19 ans, je suis toujours très impressionnée, car à leur âge, je n’en faisais pas autant, ajoute Amélie Favre Guittet. Ils sont même bien plus matures, à âge équivalent, que les générations précédentes. »

6. Ils seraient plus difficiles à fidéliser

L’un des principaux stéréotypes lié à la jeunesse est leur « mobilité excessive ». Si considérer qu’ils ne resteront pas dix ans dans la même entreprise ou la même équipe, c’est affirmer qu’ils sont difficiles à intégrer, alors oui, c’est vrai. « Plus sérieusement, ils sont plus difficiles à fidéliser, mais avec les arguments du temps d’avant, confirme Amélie Favre Guittet. Car encore une fois, leurs attentes sont différentes vis-à-vis de leur manager et de leurs collègues. » Si les jeunes sont stimulés avec des outils qui ne leur correspondent pas, l’effet sera forcément moindre. « Pour les garder, l’entreprise doit leur présenter un projet dans lequel ils peuvent s’épanouir et grandir, recommande l’experte. Si ce n’est pas le cas, ils chercheront leur bonheur ailleurs ! » Et comment le leur reprocher ?

7. Ils seraient multitâches

Les plus jeunes seraient plus à même de jongler entre les activités. Mais quand est-il vraiment ? « Je parlerais plutôt de curiosité, d’envie de toucher à tout, rectifie Amélie Favre Guittet. Mais qui peut blâmer cette génération qui veut découvrir le monde pour mieux se découvrir aussi ? » Sans parler pour autant de « profil multitâche », ils ont en effet cette tendance à cumuler plus facilement plusieurs fonctions, mais pas forcément en même temps. Il suffit de voir le nombre croissant de slasheurs chez les jeunes. « Néanmoins, ce phénomène touche également les autres tranches d’âge, poursuit-elle, car les nouvelles technologies permettent de faire facilement plusieurs choses à la fois. » Dans le cadre de l’entreprise, les jeunes générations savent très bien quelles sont leurs missions, sans se disperser, et au besoin, peuvent se référer à leur fiche de poste ou être encadrées par leur manager. « Et je ne suis pas persuadée qu’ils acceptent facilement de faire des tâches supplémentaires différentes des leurs… »

8. Ils seraient plus créatifs

Les jeunes ont souvent cette image de grands créatifs, comme si au fond ils étaient tous des artistes. « Je ne dirais pas qu’ils sont plus créatifs que les générations précédentes, mais ils ont à leur disposition des outils de création puissants, accessibles et faciles d’usage, nuance Amélie Favre Guittet à propos des digital natives. Selon moi, cette génération n’a pas plus d’idées que les générations précédentes, mais plus de possibilités de les exprimer. »

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Article édité par Manuel Avenel, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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