Nouveau projet professionnel : et si on se lançait sans filet de sécurité ?

30 juin 2022

6min

Nouveau projet professionnel : et si on se lançait sans filet de sécurité ?
auteur.e
Cécile Pichon

Psychologue du travail, coach et consultante RH

« Et si je lâchais tout pour lancer mon entreprise ? » , « Tant pis si je n’ai pas encore trouvé de boulot, demain, je démissionne ». Faut-il attendre d’avoir un CDI ou bien d’obtenir une rupture conventionnelle pour oser entamer une transition professionnelle ? Cette question, les personnes que j’accompagne dans leurs changements de carrière se la posent presque toutes. Nous sommes nombreux à avoir peur de quitter la sécurité de l’emploi pour quelque chose de plus incertain… Et pourtant, j’observe parfois, que ce saut dans le vide peut être le déclenchement d’une réelle avancée dans un cheminement qui piétine. Se mettre en danger devient alors un moyen de se contraindre à avancer. Entre impulsion un peu inconsciente et sursaut stimulant, il est important de faire la part des choses….

Toute transition professionnelle comporte sa part de risque

On a l’impression que certaines décisions sont plus folles que d’autres. Quitter un emploi sans promesse d’embauche ni droit au chômage paraît parfois plus inconscient que d’échanger un CDI contre un autre. Mais, selon moi, les deux situations comportent une part d’incertitude. Même quand on assure nos arrières, qui nous dit qu’on passera la période d’essai ? Et si ce nouveau CDI ne nous plaisait… pas ? C’est toujours une éventualité.

Toutefois, cette part d’inconnu a souvent tendance à nous freiner. On a besoin de réfléchir, de peser les options, de “prendre son temps” (parfois trop ?) avant de décider, sans pour autant maîtriser tous les paramètres. Et s’il n’est pas toujours facile de trancher à l’aveuglette, en tant que coach, je constate que ceux qui osent tout lâcher sont aussi ceux qui acceptent le mieux qu’il est impossible de tout contrôler, ni tout prévoir !

En réalité, je suis convaincue qu’une décision professionnelle est toujours une mise en danger, que l’on y aille avec précaution, ou sans filet de sécurité. Et face au danger, le premier pas est souvent le plus difficile. Comme lorsque qu’on saute en parachute, le plus effrayant est de s’extraire hors de l’avion ; après, il n’y a plus qu’à profiter de la descente. Ceux qui entament une transition professionnelle sans tout sécuriser ont peut-être compris que c’est le premier élan qui est le plus difficile et c’est sans doute pour cela qu’ils se lancent d’un coup. Le pari peut être intéressant : la première peur dépassée, le reste sera plus facile…

Ce que la mise en danger permet : action contre idéalisation

Se jeter à l’eau sans savoir nager est une méthode un peu radicale, il est vrai. Cependant, une fois que l’on est confronté à la difficulté, il n’est plus possible de procrastiner ou de faire marche arrière !

L’avantage de lâcher son emploi avant d’avoir planifié la suite, c’est que l’on peut se dédier à 100% à son nouveau projet professionnel, quel qu’il soit. Libérés de nos obligations auprès de notre ancien employeur, on a du temps : plus besoin de rogner sur ses pauses-déjeuner, ses soirées, sur ses week-ends pour faire des recherches. En d’autres termes : on n’a plus d’excuses… La stratégie peut être payante ! Toucher le chômage serait plus rassurant, bien sûr, mais parfois, quelques mois d’économies peuvent suffire à préparer un projet entrepreneurial ou une reconversion, si on supporte l’incertitude qu’une telle situation génère. Mais attention, à l’extrême, cela pourrait aussi nous pousser à nous précipiter sur le premier poste venu. Il ne faudrait pas confondre élan et précipitation.

En réalité, se jeter à l’eau nous permet de sortir de l’idéalisation de notre future transition. Il n’est pas toujours possible de monter une entreprise et d’attendre qu’elle soit rentable pour lâcher un CDI : cela voudrait dire mener deux jobs de front. La prise de risque peut être une parade intéressante contre deux tendances qui nous empêchent de nous mettre en mouvement :

  • Notre tendance à attendre la situation idéale (qui n’existe pas) pour bouger : des droits au chômage pendant deux ans + une prime de départ + un CDI dans la boîte de vos rêves-qui-coche-toute-les-cases + un logement de fonction et une garde pour la petite, n’est-ce pas un peu la liste au Père Noël là ?

  • Notre tendance (un peu pessimiste) à avoir l’impression qu’il n’y a pas de solution, que ce serait pire ailleurs, que l’on va de toute façon être déçu… Alors, pourquoi prendre le risque de bouger ?

Un peu caricatural, certes, mais ces croyances sont de véritables freins au changement, que j’observe tous les jours dans ma pratique de coach. On aspire parfois un peu inconsciemment à une transition facile qui nous amènerait à un bonheur quasi total, sans compromis, comme si cela existait sur cette planète… Ce qui nous empêche au final d’œuvrer pour un mieux-être, en s’essayant au changement, aussi risqué soit-il.

Le saut dans le vide ou l’Eurêka : le moment déclic

« Wahou, il a eu le courage d’annoncer sa démission ! » On a tendance à ne remarquer que les décisions spectaculaires, mais tous nos actes sont faits d’étapes ; le choix final n’est que la résultante de longues semaines ou de longs mois de maturation. La coach québécoise Sylvie Labelle décrit trois phases dans la prise de décision :

  • L’exploration : on prend le temps d’analyser les éléments en jeu, de récolter un maximum d’informations pour avancer dans notre cheminement.

  • L’incubation : on évalue les options. C’est l’étape de l’ambivalence : on remarque les risques qu’implique un choix, on peut avoir l’impression qu’on ne va pas s’en sortir. C’est souvent dans cette phase de malaise que je reçois les gens que je coach. À nos besoins de changement s’opposent nos peurs : peur de l’inconnu, peur de se tromper, peur de l’échec. On se sent bloqué et on souhaite un regard extérieur et un accompagnement pour regagner confiance.

  • L’Eurêka : cette dernière phase survient souvent de manière imprévisible au terme d’une période d’incubation plus ou moins longue ! On se lève le matin et on se dit : « Allez, je démissionne », ou bien, « c’est parti, je monte ma boîte ». On ne sait pas pourquoi, mais « on le sent ». L’incubation est finie, et dans notre tête, ça a tranché. Il y a comme un élan naturel qui nous vient de l’intérieur.

On attend tous un peu notre moment “Eurêka”… En tant que coach, je suis souvent moi-même assez surprise quand il survient. Des personnes que j’accompagne parfois depuis plusieurs mois débarquent un jour, le sourire aux lèvres : « Je ne vous l’ai pas dit ? J’ai parlé à mon manager, j’ai démissionné. » L’attente peut être plus ou moins longue : certains auront besoin d’avoir une piste sérieuse, d’une offre, d’un backup, quand d’autres décident de se lancer sans filet de sécurité.

Faire des petits pas pour faciliter l’exploration et faire avancer l’incubation reste le meilleur moyen d’avancer… jusqu’à la décision finale ! Quand le déclic survient rapidement, cela peut être la marque d’une confiance en soi plutôt bonne, le signe d’une personnalité un peu plus impulsive, mais aussi l’indication d’une certaine tolérance au risque et à l’échec.

Impulsion salvatrice ou folie, faire la part des choses

Audace ou témérité ? Prudence ou frilosité ? Nous ne sommes pas tous égaux face à la prise de risque. Certains ont l’habitude de se jeter tête baissée dans les nouveaux projets sous les yeux paniqués de leur entourage. D’autres au contraire ont le risque en aversion. Et vous, comment vous situez-vous dans tout cela ? Bien se connaître est important si l’on hésite à se jeter à l’eau.

Si vous faites partie des plus hardis, vous avez peut-être besoin de garde-fou. Quelles pourraient être les mauvaises raisons de vous lancer ? Quid des conséquences négatives ? Qui dans votre entourage pourrait être touché si vous vous mettez en danger ? Pensez à rester à l’écoute de ce que vous disent vos proches pour ne pas vous lancer tout seul dans une aventure un peu trop folle. Que pourriez-vous faire dès à présent pour assurer vos arrières ?

Vous êtes plutôt du côté des prudents qui n’osent pas se lancer ? Il est toujours intéressant de s’inviter à visualiser le pire scénario possible… Car il n’est pas toujours si terrible ! Que pourrait-il se passer ? Généralement, vous trouverez plein de « mais » à la mise en action. Vous pouvez par exemple lister toutes vos objections, puis vous entraîner à les réfuter une à une. « Mais si je n’arrive pas à trouver de travail au bout de trois mois ? Je peux toujours reprendre un petit boulot alimentaire. » De quoi faire le tri entre bonnes et moins bonnes excuses. La décision finale sera, quoi qu’il en soit, un compromis !

Se familiariser avec l’échec, le secret de ceux qui se lancent ?

Notre façon d’envisager le risque dit beaucoup de choses sur notre façon de voir la vie. Parfois, on aimerait vivre dans une bulle protectrice, mais serions-nous plus heureux ainsi ? Tout dépend de ce qu’on en attend. Il y a parfois autant de risques à ne rien faire que de se lancer. Ne pas bouger quand une situation ne nous convient plus reste un acte fort, une décision de ne pas agir, qui peut avoir aussi ses conséquences.

On a parfois l’impression qu’on ne pourrait pas survivre à un échec. Je le vois dans mes accompagnements, on fantasme parfois une dégringolade sociale (le fameux « je vais finir isolé ou à la rue »), alors que le risque pris est rarement vital. Analyser nos peurs et ce qui s’y cache est intéressant. Il est fréquent de craindre d’avoir à affronter le regard des autres, de se demander si on saura rebondir, d’avoir peur de devoir accepter un job qui ne nous plaise pas à cause des contraintes financières.

Mais alors, comment faire si l’on est tétanisé ? La clé pourrait bien résider dans le droit qu’on se donne à faire des erreurs. « On se lance d’autant plus facilement qu’on est vaccinés contre l’échec », constate le psychiatre et psychothérapeute Frédéric Fanget, dans son livre Oser, thérapie de la confiance en soi (Éd Odile Jacob, 2003). Ceux qui se sont déjà plantés et ont rebondi le savent, c’est pourquoi ils ont parfois moins peur de se lancer. Pour se prémunir contre la peur de l’échec, il faut pouvoir s’y exposer. À chacun d’oser et de faire preuve de courage, à son échelle, selon la limite de ce qui lui paraît raisonnable alors. Se lancer malgré l’incertitude, c’est accepter de reprendre le contrôle de sa vie, accepter de vivre pleinement, ce qui peut nous donner des ailes !

Article édité par Gabrielle Predko et Romane Ganneval
Photo par Thomas Decamps

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