De la pause clope à la pose de congés : quatre plaisirs minuscules au travail

21 juil. 2022

7min

De la pause clope à la pose de congés : quatre plaisirs minuscules au travail
auteur.e.s
Gabrielle Predko

Journaliste - Welcome to the Jungle

Aurélie Cerffond

Journaliste @Welcome to the jungle

Manuel Avenel

Journaliste chez Welcome to the Jungle

Romane Ganneval

Journaliste - Welcome to the Jungle

Rayer un item de sa to-do list, poser des jours de congés, faire une pause cigarette avec ses collègues ou encore se délecter d’un thé chimique à la cafétéria, la rédaction de Welcome to the jungle s’est inspirée du recueil de Philippe Delerm La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules (1997, éd Gallimard) pour parler des petites réjouissances que l’on vit au bureau.

Le thé chimique de la cafétéria

Expresso, double, latte, filtre, noisette, macchiato… La palette de choix de café sur nos lieux d’exercice professionnel ne cesse de se développer. Il fait même partie des arguments des recruteurs pour charmer leurs futures recrues. Exit la machine qui fournit du jus de chaussette à 20 centimes les 20 cl. Aujourd’hui, pour qu’une entreprise soit bien considérée par ses salariés, le café doit y être gratuit, à volonté, respectueux du droit du travail des agriculteurs, écologiquement conçu et transporté de manière à réduire au maximum son impact carbone. Et c’est vrai que lorsqu’on se penche sur les dessous de l’industrie du café, ce sursaut éthique est salutaire. D’un autre côté, si l’on estime à 400 milliards le nombre de tasses de café dégustées chaque année, il ne faut pas oublier qu’il n’atteint que la troisième place des boissons les plus consommées dans le monde après l’eau et… le thé !

Une surprise pour nous, amateurs de Sencha, de Rooibos, d’Oolong…, puisqu’on sait mieux que quiconque que la révolution du bon thé au travail n’a pas encore eu lieu. Alors oui, cela peut d’abord sembler injuste quand on voit nos collègues se régaler de leurs délicates mixtures, mais ne devrait-on pas plutôt penser que cela fait partie du jeu du travail en entreprise ? Entre nous, qui n’a jamais ressenti un plaisir amusé à découvrir les nouveaux sachets de thé premier prix aux parfums ignobles de la cafétéria ? Ici, on parle des thés parfumés aux fruits rouges, exotiques, caramel, citron… Sans oublier les classiques breakfast et Earl Grey de mauvaises factures. De toute façon, que l’on opte pour l’une ou l’autre option, on sait déjà qu’il sera nécessaire de bien sucrer notre mélange d’eau et de poudre de thé à l’origine inconnue, pour que le tout amuse nos papilles ou au moins nous donne un coup de boost quand l’énergie vient à manquer.

Mais la différence entre amateurs de café et puristes du thé ne se joue pas uniquement dans les choix de la mixture, elle est encore plus importante dans le matériel à disposition des deux catégories de salariés. Contrairement aux machines sophistiquées qui broient les grains de café à la minute pour les consommateurs de café, celles et ceux qui préfèrent le thé doivent s’en remettre aux bonnes vieilles bouilloires jamais décrassées où de petites plaques de calcaire se détachent à l’intérieur. Dans une tasse à peine rincée du café précédent, on se retrouve alors à verser de l’eau tout juste bouillie pour ajouter le sachet de notre choix. Est-ce bon, ignoble ou un peu les deux à la fois ? Tout à la fois, à condition tout de même de ne pas laisser infuser trop longtemps. Le plaisir inégalable de la première gorgée brûlante risquerait d’être étouffée par le déli.. Euh pardon, l’arôme de synthèse.

La pause cigarette

Il vaut mieux annoncer la couleur : ce message n’est pas validé par Santé Publique France, et clairement on a tous connaissance des effets dévastateurs de la cigarette sur nos organismes. Pourtant, qui dit « travailler au bureau », dit (pour les 15 millions de personnes dépendantes à la nicotine peuplant l’Hexagone) : « pauses clopes ». Oui, on parle bien de cette vilaine manie de fumer, conspuée par le mode de vie healthy, et pourtant aux nombreuses vertus fédératrices. Et c’est bien là que réside sa magie. Non on ne fume pas (que) pour s’encrasser les poumons. On fume pour retrouver ses comparses devant les portes de l’immeuble ou sur un balcon (un toit-terrasse pour les plus chanceux), été comme hiver, qu’il pleuve, qu’il vente ou que le thermomètre grimpe à 40°C. Un spot bien connu des aficionados, dans lequel il n’est pas rare d’entendre raisonner « t’as pas du feu ? » ou « je n’ai pas mon badge, tu peux m’ouvrir ? » voire pour les plus audacieux « je peux te taxer une garro ? ».

Oui, parce que partager une pause cigarette c’est avant-tout créer des liens avec ses collègues. C’est vivre un instant sublime de lâcher prise entre deux réunions. C’est l’occasion de souffler après une présentation qui s’est bien passée. Ou encore le meilleur moyen de célébrer le fait d’avoir rayé une tâche de sa to-do list. Un moment où l’on se confie sur ses problèmes de coeur, de travail… où l’on ose se plaindre ou rire aux éclats. Quelques minutes de convivialité informelle où l’on s’ouvre davantage aux autres, y compris à ceux qu’on ne connaît pas. De là, à affirmer que c’est plus efficace qu’un team building pour créer des connexions inter-services, il n’y a qu’une taffe. Un moment spécial qui n’existe pas en télétravail ! Du moins pas sous cette forme. Bien sûr, seul chez soi, on peut s’en griller une (ou dix, vingt…), assis à son bureau, en lisant ses mails même si ça nous chante. Une chose complètement prohibée au sein de l’open-space depuis 2006 (article L 3512-8 du Code de la santé publique).

Mais c’est un mal pour un bien, - même les fumeurs en conviendront -, car si cette interdiction a chassé le cendrier des bureaux, elle a fait naître en parallèle « la pause cigarette » telle qu’on la connaît ! Une pause cigarette qu’il a fallu inventer car absente des textes de lois si ce n’est la référence à l’article L3121-33 du Code du Travail qui indique qu’une pause de vingt minutes par jour est obligatoire au bout de six heures de travail consécutives. Un cadre flou, qui laisse les différentes parties prenantes des organisations libres sur la façon de gérer la question. Le deal le plus commun ? Tant que les projets sont produits en temps et en heure… Oui, car dans les faits, on ne va pas se mentir, on attend rarement six heures de travail pour envoyer un petit message d’invitation « RDV en bas dans cinq minutes ? » à nos complices de ces instants aussi doux que toxiques.

Poser des jours de congés

365 jours, un an, le temps pour la Terre de faire sa révolution autour du soleil. Sur ce temps de référence, nous travaillons environ 229 jours ouvrés (chiffres pour 2021) sous le ciel de France et avons droit à 30 jours de congés, pour nous aussi tourner en rond ou simplement nous rapprocher de l’astre solaire. Chacun apprécie les vacances à sa façon.

Évidemment, choisir ses dates de congés est rarement une simple affaire. Pour certains c’est même un moment ultra angoissant à vouloir tant optimiser et profiter au maximum de ce temps sacré mais unique dans l’année. Tout un tas d’éléments entrent en ligne de compte : la coordination avec ses proches, famille et amis ; la politique de l’entreprise en la matière ; le solde de congés restant ; la durée du break à définir (faut-il poser trois semaines d’un coup ou se garder en réserve quelques bulles d’oxygène pour des besoins ultérieurs ?) ; spotter les jours fériés qui peuvent prolonger les vacances…

Mais s’il est une période particulièrement douce à vivre au travail, c’est cet entre deux, cet intermédiaire qui suit la pose des congés et précède le début des vacances. Lorsque les jours sont enfin décidés et acceptés, il ne reste alors que quelques jours, semaines, ou mois si on est très prévoyant à tenir en place sur sa chaise de bureau. Débute alors, l’attente sereine d’une promesse tenue : la certitude qu’au bout, le long repos est assuré. Et soyons honnête, que l’on aime ou non son boulot, c’est un formidable boost de motivation en cette fin d’année qui pourrait être plus terne ou monotone autrement. Un cocktail aux agrumes avant l’heure.

À intervalles réguliers, pour se remettre d’aplomb après une mauvaise journée ou relativiser, rien de mieux que de jeter un œil à son agenda, compter le nombre de jours qui nous sépare de ce départ. Ok le travail est toujours là, mais l’esprit lui, commence à se faire à l’idée qu’il va bel et bien se faire la malle. Déjà il vagabonde : document de passation : check ; billets de trains : check ; mail d’absence pour vos contacts : check ; tuba & crème solaire : check…
Et si compter les jours rappelle avec sinistre les marques de pointage d’un mur de solitude en prison, rassurez-vous, ce ne sont que quelques micro-doses d’évasion, une marge offerte à nos esprits surchargés qui ont besoin de prendre un peu d’altitude.

Rayer des tâches de sa to-do list

Qu’on la rédige sur un fichier d’ordinateur, sur un agenda choisi avec amour à la rentrée ou sur une feuille volante, la to-do list porte bien son nom, “tout doux”. Elle est magique, sans exagération à peine. D’ailleurs, entre nous, peu d’éléments la distingue d’une « pensine », ce récipient dans lequel les sorciers d’Harry Potter stockent les souvenirs qui leur sont chers pour s’y replonger lorsqu’ils en ressentent le besoin.

Ah ! Quel bonheur de pouvoir coucher sur papier toutes les tâches qui nous encombrent le cerveau, qui “popent” dans notre tête comme un sursaut alors qu’on s’endort, qu’on se promet de ne pas zapper, mais qu’on finit inlassablement par oublier, une à une. Mais le stress, lui, est résiduel. Il nous chatouille le ventre pour nous rappeler qu’on a encore quelque chose à faire… Une réunion importante à préparer ? Un mail d’un client qu’on a laissé en “vu” depuis trois semaines et qui nécessite une réponse dans les plus brefs délais ? Comme toujours, on s’en souvient lorsqu’il est trop tard.

C’est là qu’intervient la to-do list. Invention divine à notre rescousse. Oui oui, divine ! Après tout, c’est bel et bien Moïse qui a inauguré le concept en gravant les dix commandements soufflés par Dieu sur une pierre. Alors, on saura qui remercier la prochaine fois qu’on cochera, surlignera, barrera un devoir effectué à l’ordre du jour… Un geste anodin mais qui procure un bonheur comparable à celui d’obtenir un remboursement de la part des impôts (aussi rare que poétique). Plus on rature notre to-do, plus notre charge mentale s’allège. La liberté reprend ses droits. On a envie de la brandir devant les yeux de tous nos collègues voire de crier dans l’open Space : « Ah ! J’ai bien bossé aujourd’hui » (surtout quand le boss est dans les parages). Mais voilà, il reste toujours une tâche qui fait tâche. Celle qu’on n’a pas eu le temps de faire par excès d’optimisme quant à la gestion de notre charge de travail, ou celle qu’on procrastine depuis des mois. Toutes les autres ont beau être “check”, il suffit qu’une soit inachevée pour remettre en question toute notre productivité. Que faut-il faire ? La raturer quand même ? Mensonge. La décaler au lendemain voire au surlendemain ? Pour culpabiliser les jours suivants : non merci. Et si on se réjouissait simplement d’en avoir déjà fait assez ? Peut-être que c’est ça la vraie fonction de la to-do list : nous rappeler que nous sommes juste… humains.

Article édité par Romane Ganneval
Photo par Thomas Decamps