Job étudiant : « Les soucis pro ont pris plus de place que ma vie étudiante »

24 mars 2022

7min

Job étudiant : « Les soucis pro ont pris plus de place que ma vie étudiante »
auteur.e
Manuel Avenel

Journaliste chez Welcome to the Jungle

Lorsque nous suivons un parcours d’études, il n’est pas rare de devoir prendre un petit job étudiant à côté des cours ou pendant la période estivale pour les financer. Ils seraient même près d’un étudiant sur deux à cumuler des activités sous le statut d’étudiant-salarié. Mais ces jobs d’appoint, qui permettent aux jeunes d’améliorer leur quotidien, sont-ils un frein important à leur réussite ou, au contraire, une opportunité professionnelle enrichissante qui s’ignore ?

Le job étudiant, une expérience professionnelle contrastée entre du positif et du négatif

Memet, actuellement en stage au cabinet de la préfecture de la région île-de-France et en master politique publique à Sciences Po, fait partie de ces étudiants qui travaillent pour financer leurs études. À 25 ans, le jeune homme bénéficie d’une bourse qui lui permet de subvenir à ses besoins et de vivre comme la plupart de ses camarades pendant l’année universitaire. Mais lors de la période estivale, il lui arrive de travailler plus d’un mois pour mettre un peu d’argent de côté pour l’année à venir. « Ça me permet d’avoir un matelas financier sur lequel me reposer et assurer ma rentrée sereinement », explique-t-il. Dernièrement, il a été animateur de centre de loisirs et a travaillé à la direction de la communication de l’Élysée. Des expériences plutôt positives : « Ça m’a aidé à savoir ce que je voulais faire et ne pas faire, mais aussi à acquérir le sens des responsabilités. Ça change ton rapport à la vie qu’il s’agisse de construction de soi ou de maturité. » S’il n’a pas besoin d’occuper un emploi le reste de l’année, ces coupures estivales jouent sur sa fatigue en plus de lui laisser moins de temps pour préparer sereinement la rentrée.

Une analyse que partage Etienne, étudiant de 25 ans en master d’études de genre à Paris. Alors qu’il entame son M1, il décide de prendre un mi-temps dans une épicerie bio, pour améliorer son niveau de vie, mais aussi soulager sa mère qui le soutient financièrement depuis le début de son parcours universitaire. Il signe pour un contrat de 13h par semaine réparties sur les week-ends pour ne pas empiéter sur ses cours. « Sur le papier, je devais être en caisse, ranger les produits dans le magasin et nettoyer », se souvient-il. Mais de fait, d’autres tâches lui sont rapidement assignées : « Officieusement, on faisait aussi le vigile. Une fois je me suis retrouvé à devoir raisonner un homme bourré dans le magasin, c’était très stressant. » Les conditions de travail laissent à désirer et Etienne ne supporte pas d’être en permanence fliqué par une supérieure qui l’observe via les caméras de l’enseigne pour lui reprocher par exemple de s’asseoir, alors même que le magasin est vide. On lui fait entendre qu’il risque de « faire couler la boutique. » Très vite, il se convainc que l’enseigne joue sur le manque de connaissances du droit du travail de ses salariés étudiants pour les exploiter. Et la vie du jeune homme se dégrade : « J’appréhendais le weekend, et je partais travailler la boule au ventre. J’y pensais toute la semaine. » Pouvoir gérer ce job, les cours et le mémoire de concert semblait faisable pour le jeune homme, « mais les problèmes au travail ont pris plus d’importance que ma vie étudiante. Et ça m’a littéralement bouffé. » Après 7 mois, il démissionne. Avec du recul, il estime aujourd’hui que cette expérience a négativement impacté sa scolarité. « Après ma démission, je me suis rendu compte qu’il y avait des choses que je n’arrivais plus à faire comme avant. Une psychologue m’a dit que je faisais un burnout. Je n’ai pas réussi à rendre mon mémoire et je suis passé en M2 en AJAC (ajourné autorisé à continuer, ndlr), c’est-à-dire que je terminais mon M1 sur mon année de M2. Je n’imaginais pas que vendre des graines de quinoa et du boulgour allait plomber à ce point ma première année de master. »

Lorsque les études et le travail se concurrencent

Dans la dernière enquête de l’OVE (Observatoire de la vie étudiante) d’avril 2021, 51% des étudiants déclaraient travailler par nécessité en parallèle de leurs études. Si le travail est indispensable pour assumer le coût de la vie, pour 65% des étudiants, travailler est un choix qui repose sur le désir d’indépendance vis-à-vis de leurs parents. Car la famille reste la principale source de revenus pour 42 % des étudiants, devant le job alimentaire (25%) et la bourse (23%), qui se situe autour de 334 euros par mois en moyenne. Cette volonté d’autonomie augmente avec l’âge et le recours à un job alimentaire a tendance à s’accroître au fil des années et/ou devient de plus en plus intense en termes d’heures, observe Julien Berthaud docteur en Sciences de l’Éducation et co-auteur de Salariat étudiant, parcours universitaires et conditions de vie (2019). « Le bénéfice immédiat de l’argent peut inciter certains à délaisser les études en faveur de l’emploi », observe-t-il. C’est d’autant plus vrai pour les étudiants « décohabitants », c’est-à-dire ceux qui quittent le domicile familial pour suivre leur cursus, soit environ deux tiers d’entre eux. Enfin, dans l’enquête de l’OVE, 73% des étudiants déclaraient travailler pour écrire des lignes sur leurs CV et acquérir de l’expérience professionnelle, même dans le cas de jobs éloignés du domaine d’étude initial.

La sociologue Vanessa Pinto, autrice de la thèse L’emploi étudiants. Apprentissages du salariat (2009) classe ces emplois en trois grandes catégories. D’abord, le « job provisoire », généralement éloigné du champ d’études qui reste occasionnel pour les étudiants et concerne surtout les jobs d’été ou les missions ponctuelles. Vient ensuite le « job d’anticipation » qui prépare à l’entrée sur le marché du travail et qui est généralement lié au cursus : un futur professeur prendra par exemple un job en tant que surveillant. Enfin, la sociologue parle d’une troisième catégorie qui s’apparente à un phénomène d’« éternisation » dans l’emploi, lorsque les étudiants s’enlisent dans un job provisoire.

Les avantages et les inconvénients d’un job étudiant

L’impact négatif des petits boulots sur les études et la suite des parcours professionnels est une réalité, même si tous les étudiants ne sont pas égaux face à celui-ci. Dans l’enquête de l’OVE, 92% des étudiants qui occupent un job en parallèle de leurs études disent que cela n’a aucune conséquence sur leurs études, contrairement à 8% des étudiants qui disent avoir beaucoup de difficultés à tout gérer de front. « On a observé qu’il y avait un effet neutre de l’emploi lorsqu’il était inférieur à 8h par semaine, avec des emplois beaucoup moins réguliers comme du baby-sitting ou des cours particuliers », explique Julien Berthaud. D’après ses observations, le spécialiste estime qu’un emploi étudiant a impact négatif lorsqu’il s’étend au minimum sur six mois de l’année, avec une durée supérieure à un mi-temps. Au-delà de 18h par semaine, les notes et résultats d’admission peuvent être moins bons et le risque d’abandon augmente, d’autant plus si la prise d’un job intervient dès la première année d’études.

Autre facteur aggravant : le fait d’avoir un emploi qui n’est pas lié au domaine d’études, ce qui est notamment le cas des étudiants en sciences humaines ou en lettres, issus de classes moyennes ou populaires. À l’inverse, dans les filières qui ont des critères de réussite plus fiables comme les grandes écoles, ou la médecine, il y assez peu de travail salarié en parallèle des études et lorsqu’il y en a, il est davantage lié au projet professionnel.

Enfin, les jobs étudiants peuvent également entraîner un allongement de la durée des études. « Certains étudiants en difficulté face à leur double activité vont persévérer. Ils obtiendront leur diplôme, mais en prenant plus de temps que les autres. Une licence s’effectura en cinq ans plutôt qu’en trois ans par exemple », observe Julien Berthaud. Cette inégalité pèse notamment lors de la sélection en master, entre des étudiants plus aisés qui ont su profiter d’expériences valorisées dans leur scolarité, comme l’engagement associatif. « Travailler dans un fast-food, ce n’est pas quelque chose que l’on peut mettre en avant pour postuler dans un master ou une formation ultra sélective », témoigne Memet.

Mais tout n’est pas à jeter dans le bilan du travail étudiant. « On a aussi rencontré des étudiants qui étaient motivés par leur job », poursuit Julien Berthaud. L’expérience professionnelle permet une prise de conscience de la réalité de certains emplois. « Ils nous disent “je me rends compte de ce que c’est que de bosser dans un fast-food, et je n’ai pas envie de faire ça toute ma vie” et ça leur permet de rester investi dans les études », développe-t-il.

De même, certains étudiants trouvent un intérêt à développer leurs connaissances dans le milieu professionnel ou dans des compétences d’organisation pour ajouter ces nouvelles compétences à leur CV. « Cela leur permet d’ajuster leur projet dans des filières assez peu professionnalisantes », explique le spécialiste. Enfin, lorsque le job étudiant est corrélé à l’obtention d’un diplôme, « ces expériences restent généralement des signaux positifs envoyés aux recruteurs ».

Des solutions publiques ?

« Dans un monde idéal, il faudrait dire aux étudiants de faire attention à ne pas accepter plus qu’un mi-temps en lien avec leurs études et éloigné de la période d’examens », songe Julien Berthaud. Mais si les étudiants ne sont pas toujours informés sur les difficultés qu’un job étudiant peut engendrer, c’est avant tout une problématique sociale pour l’universitaire. « Les vraies solutions seraient à chercher dans les politiques pour aider les étudiants, l’attribution des bourses, le montant voire un revenu. »

Un salaire étudiant ? Un prêt à taux très bas ? Une somme versée à tous les jeunes de plus de 18 ans ? Les candidats à la présidentielle proposent un panel très large de propositions pour faciliter l’accès aux études pour tous. Mesures ô combien attendues après la crise sanitaire qui a révélé la misère estudiantine avec des images de cohortes de jeunes patientant devant les banques alimentaires.

La question du revenu est donc centrale tant du point de vue de la subsistance que de la scolarité et de la réussite future des étudiants. Le budget moyen d’un étudiant en France est de 635 euros d’après l’étude de l’OVE, soit en dessous du seuil de pauvreté (entre 918 et 1102 euros mensuels). Memet attend, lui aussi, la mise en place de plans concrets pour les jeunes en études : « À un âge où l’on est amené à quitter son cocon familial, à découvrir la vie solo, dans ce temps de construction personnelle, on ne devrait pas subir une pression financière qui empêche d’apprécier pleinement sa scolarité et d’aborder sereinement son insertion dans le monde du travail. Étudier devrait être un droit pour tous et non un privilège réservé à certains. »

Édité par Romane Ganneval
Photographie par Thomas Decamps

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