Taggle Patron : le jeu de société défouloir pour dire ses 4 vérités à son boss

26 sept. 2022

6min

Taggle Patron : le jeu de société défouloir pour dire ses 4 vérités à son boss
auteur.e
Manuel Avenel

Journaliste chez Welcome to the Jungle

Qui n’a jamais rêvé d'envoyer son/sa boss ou un·e manager sur les roses ? De tacler par une réplique bien sentie leurs remarques parfois agaçantes, déplacées ou à côté de la plaque ? C’est le souhait exaucé par Taggle Patron, un nouveau jeu d’ambiance inventé par Yves Hirschfeld et Fabien Bleuze. Un simple jeu sur le travail ? Non, plutôt “une satire du monde de l’entreprise nécessaire, ludique et d’utilité publique” d’après ses créateurs que nous avons rencontrés.

Dans le monde des jeux de société, vous êtes les célèbres créateurs de la série Taggle, et de ses variantes parmi lesquelles Taggle d’Amour, Ta Bouche et aujourd’hui Patron. Mais pour toutes les personnes qui ne connaissent pas ce milieu, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous ?

Fabien : Fabien Bleuze, né en 1969, propriétaire d’un chat…. (rires) Ah, vous voulez parler de ma vie professionnelle ? Après des études de publicité non concluantes, j’ai été chargé de communication, journaliste en presse écrite, télé et radio. J’ai baigné dans l’infotainment, c’est-à-dire des contenus sérieux dans lesquels j’avais toujours le rôle d’amener une petite connerie pour donner un coup de pep’s. C’est là que j’ai rencontré Yves avec qui j’étais auteur chez Canal+. Je me suis spécialisé dans la vidéo en tant que réalisateur, monteur… et plein de trucs en “eur”.

Ensuite, j’ai atterri dans des services de communication et même aux archives d’un célèbre institut de recherche scientifique dont je ne peux pas révéler le nom au risque de voir des mecs habillés en noir débarquer chez moi. Là-bas, on perdait beaucoup de temps à définir le thème de nos prochaines réunions et à utiliser tout un tas de termes imbitables de la novlangue managériale et scientifique. Voilà ce qui m’a inspiré pour le jeu.

Yves : C’est à moi ? Promis, je serai beaucoup plus bref que lui ! J’ai d’abord été comédien, metteur en scène, j’ai écrit des pièces de théâtre et des bouquins pour adultes et enfants. Puis, comme l’évoquait Fabien, j’ai été auteur pour la télé et parolier pour des groupes de rock que tu n’as pas dû connaître. Au bonheur des dames, ils ont chanté : « Oh les filles, oh les filles ! »

Fabien : « Elles me rendent marteau ! »

Yves : Après, j’ai toujours fait des jeux de société. J’aime inventer des nouveaux concepts et par chance, ça a fonctionné. J’en ai conçu près d’une trentaine et à deux, on doit en être à une dizaine.

Fabien : Mais arrête de te la péter !

Yves : Je ne me la pète pas c’est le talent qu’est-ce que tu veux… Pour en revenir à Taggle Patron, nous avons décidé de faire ce jeu parce qu’on a trouvé que le travail et plus particulièrement le milieu de l’entreprise était un bon sujet pour se défouler.

Nous avons toujours quelqu’un au-dessus de nous : un N+1, un big boss, un associé, un chef de service, un partenaire, un proche… qui nous fait comprendre « c’est moi qui gère, mais c’est toi qui bosses » et à qui nous rêvons de dire « Taggle Patron » ! Yves Hirschfeld et Fabien Bleuze

Taggle Patron : Un titre sans détour. C’était un message que vous vouliez adresser à vos boss ?

Fabien : À l’époque du Taggle, c’était le début des jeux d’animation ou jeux d’ambiance, qu’on appelle aussi jeux crétins, grâce à l’arrivée d’un super jeu qui s’appelle Jungle Speed. C’était une nouvelle porte d’entrée dans le monde ludique qui a renouvelé l’approche du jeu de société, restée au Monopoly, au Risk. Avec les jeux d’ambiance, on joue à peine une vingtaine de minutes et on passe à autre chose. Taggle, c’est aussi le contrepied du Scrabble, du Boggle… On s’est dit, pourquoi pas Taggle, histoire de se dire « allez, table rase, on part sur autre chose ».

Yves : Les jeux crétins sont des jeux dont la règle va prendre une minute à être expliquée, là où il faut généralement vingt minutes pour un jeu classique.

Justement, pouvez-vous m’expliquer les règles en une minute ?

Fabien : Le plus difficile en fait lorsqu’on conçoit un jeu, ce n’est pas de trouver une mécanique, c’est de concevoir les règles. Il faut un vrai talent d’écriture, puisque le moindre mot mal choisi peut tout faire foirer, s’il est sujet à interprétation. Taggle Patron, c’est très simple. On a toujours un supérieur, pas forcément le grand patron type Bernard Arnault mais un N+1, un big boss, un associé, un chef de service, un partenaire, un proche… qui nous fait comprendre « c’est moi qui gère, mais c’est toi qui bosses » et à qui nous rêvons de dire « Taggle Patron » ! En gros, le patron lance une réflexion et les employés lui envoient une réplique la plus drôle possible, sinon, il peuvent se faire virer. Il y a 160 000 dialogues possibles dans le mélange des cartes entre patrons et employés.

Côté répliques à jouer on a l’employé insurgé qui harangue ses collègues : « À bas la dictature ! » ; Le je-m’en-foutiste qui rétorque « Yep, tu m’envoies un mail, je te réponds par texto et on se skype… » ; Le lèche-cul et ses phrases de winner : « On va mouiller le maillot ». Il y a une vraie attention portée à la création d’une diversité de personnages et de situations.

Yves : Il faut imaginer que l’écriture de la série Taggle se rapproche un peu de la pièce de théâtre qui serait tronçonnée. Chaque phrase est dite à la fois avec un minimum de sens littéraire tout en restant dans le langage parlé, voire cru. Voilà pourquoi on a mis neuf mois à l’écrire.

« J’ai beaucoup appris de mes échecs » ; « Vous savez, personne n’est irremplaçable ici » ; « Allez on brainstorm, je veux que ça fuse dans tous les sens » ; « Le prochain qui met un smiley dans ses mails, je le bute ! » Les personnages de patron ne sont pas en reste non plus.

Fabien : Oui on a aussi le patron tyrannique, qui n’en a rien à foutre mais qui s’en prend souvent plein la gueule. L’idée, c’est qu’il nous fallait plusieurs personnages. Il y des patrons qui sont juste de la vieille école, d’autres qui ont été propulsés là par hasard, le carriériste qui occupera un nouveau poste deux semaines plus tard, celui ou celle qui ne sait pas prendre de décision et qui fait peser le poids de la responsabilité sur ses subordonnés.

Il fallait que les répliques puissent être prononcées par des personnes quel que soit leur genre. Enfin, pour que ça parle à tout le monde, on à voulu élargir les secteurs d’activité, et ça donne des personnages variés : de l’apprenti qui travaille dans une charcuterie à l’employé qui bosse en boutique. Un bon mélange pour que les gens puissent se retrouver dans une situation de boulot.

Vous avez déjà eu envie de dire Taggle à un patron ?

Fabien : Pour l’anecdote, je me suis fait virer à plusieurs reprises…

Yves : Parce que t’es mauvais !

Fabien : En presse, j’ai bossé pour un magazine qui marchait plutôt bien mais où le patron était un vrai con qui pressait le citron des collègues… Un matin au taf, on me demande d’aller voir le directeur financier. J’y vais, et dans la minute, je me fait virer. Je suis reparti avec mon carton. J’en rigole aujourd’hui, mais le mec c’était le patron tyrannique que l’on peut retrouver dans le jeu. Il y a du vécu, des choses qu’on a entendu comme la fameuse phrase : « Je vous rappelle que vous n’êtes pas irremplaçable. » Le jeu est une sorte de catharsis où on va pouvoir envoyer chier le supérieur en lui sortant des répliques corsées.

Est-ce que c’est aussi un jeu engagé, une satire du monde de l’entreprise ?

Yves : Ça reste un jeu simple, crétin, déconneur, tout ce qu’on veut, c’est fait pour. Mais derrière il y a quand même un vrai parti pris sur la vie de l’entreprise. C’est une petite critique sociale, pas très engageante.

Fabien : Ça peut aussi donner des façons de réagir et de réfléchir pour se dire, tiens c’est vrai que mon boulot c’est comme ça tout le temps, est-ce normal ? Le remettre en cause et pourquoi pas faire un…

Yves : Un chili con carne ?

Fabien : Un bilan de compétences ! Et changer de voie ou carrément d’activité. Garder les moutons, créer sa propre start-up, ou au contraire bosser moins de deux heures par jour et profiter de la vie autrement. Tu sais, c’est le Principe de Peter (aussi appelé syndrome de la promotion focus : dans une hiérarchie, tout employé a tendance à s’élever à son niveau d’incompétence et avec le temps, tout poste sera occupé par un employé incapable d’en assumer la responsabiltié, ndlr), qui explique qu’on est gouverné par des incompétents. Au boulot, quand on a toujours quelqu’un au-dessus de nous qui nous emmerde, c’est souvent pour des conneries.

Grande démission, quiet quitting. On a l’impression que tout le monde envoie valser le travail en ce moment. Ne pensez-vous pas que l’on dit déjà “Taggle” à notre travail aujourd’hui ?

Fabien : Il y a de plus en plus de burn-out depuis la pandémie. On arrive à un moment où les gens en ont vraiment ras-le-bol, parce que les entreprises ont beaucoup d’injonctions contradictoires. Beaucoup de salariés perdent pied, et je suis entouré de collègues qui sont en dépression, moi le premier.

La partie s’arrête lorsqu’un employé est viré parce qu’il a reçu trop de “Taggle”. Pour le coup ce n’est plus une caricature.

Fabien : Le dernier mot « t’es viré » dans Taggle Patron, c’est le petit fusible de fin de jeu. La maison d’édition s’appelle « Le droit de perdre », c’est très parlant pour le coup. Dans la majorité de nos jeux, il y a toujours un petit twist qui fait qu’à la fin, le mec qui gagne peut tout perdre d’un coup. C’est la vie, on perd, on gagne.

Yves : Oui, c’est secondaire, on ne fait pas des jeux pour gagner, ce n’est pas la compète, on fait des jeux pour se fendre la gueule.

Article édité par Romane Ganneval et Gabrielle Predko, photo Thomas Decamps pour WTTJ

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