Insomnie et travail : guide de survie pour assurer malgré la fatigue

27 juin 2022

6min

Insomnie et travail : guide de survie pour assurer malgré la fatigue
auteur.e
Marlène Moreira

Journaliste indépendante.

Vous avez boutonné lundi avec mardi, mis du sel dans votre café et manqué votre arrêt de bus ? Pas de doute, vous avez fait une insomnie. Et vous savez déjà que cette journée va être longue. Très longue. Mais comment gérer au travail quand on a plus les yeux en face des trous ? Témoignages de nos lecteurs, et conseils de Sylvie Royant-Parola, Présidente du réseau Morphée, et médecin psychiatre spécialiste du sommeil.

Un mouton, deux moutons, trois moutons…

En 2020, près de 70 % des Français déclaraient souffrir de troubles du sommeil. La fatigue qui en découle se situe au troisième rang des problèmes de santé les plus rapportés en Europe. Aux États-Unis, par exemple, le montant des pertes en productivité et des coûts en soins de santé liés à la fatigue au travail est estimé à 136,4 milliards de dollars chaque année.

Ce n’est une surprise pour personne, le sommeil est essentiel au bon fonctionnement de l’esprit et du corps. En manquer, c’est se confronter à un bouquet de symptômes plus ou moins fleuris qui affectent notre journée. Parmi les principaux effets d’une fatigue aiguë au travail, on retrouve :

  • La perturbation de l’humeur et de la gestion des émotions. Ayons une pensée émue pour votre collègue Thomas qui a fondu en larmes quand la touillette de son café est restée bloquée dans la machine.
  • Le développement de maladies. Le manque de sommeil affecte le système immunitaire. De là à attraper la variole du singe après votre prochaine insomnie, il n’y a qu’un pas.
  • L’augmentation des erreurs humaines et des blessures. Un coup à envoyer la mauvaise pièce-jointe. Ou opérer le mauvais genou. Oui, en matière d’erreurs, il y a deux poids deux mesures.
  • La dégradation des fonctions cognitives et physiques. Notamment la capacité de concentration, d’attention, de perception des risques, la force musculaire… En journée post-insomnie, comptez les trombones, c’est plus sûr.

Mais que cachent ces chiffres et ces conséquences inquiétantes ? Avoir du mal à trouver le sommeil à cause d’une série Netflix fait-il nécessairement de nous une victime de Morphée ? Pour la spécialiste Sylvie Royant-Parola, il ne faut pas confondre « être insomniaque » - avec des troubles du sommeil prolongés et répétés - et « faire une insomnie ». En effet, « passer une mauvaise nuit de temps en temps, c’est une réponse normale du corps quand on a des problèmes à gérer ou que l’on est préoccupé. En d’autres termes, ça arrive à tout le monde. » Alors pas de panique, vous pouvez fermer Doctissimo (qui vous diagnostique probablement un mal incurable) et suivre les bons conseils de nos lecteurs et de notre spécialiste.

Faire une sieste à la pause déjeuner : vrai conseil ou fausse bonne idée ?

La réponse : vrai conseil !

Florent est le cofondateur d’une jeune entreprise dans le secteur de la formation. Après l’arrivée de son premier enfant, et comme de nombreux parents, il alterne entre biberons et insomnies. « Mon associée et mon équipe ont été très bienveillantes avec moi. J’ai même appris (longtemps après) que je radotais beaucoup à cette période, et qu’ils faisaient comme si de rien n’était », explique-t-il le sourire aux lèvres. Heureusement, la sieste était déjà une pratique bien ancrée - et même, encouragée - dans son entreprise. « J’en ai très largement profité à cette période. C’est sans doute ce qui m’a aidé à tenir », ajoute-t-il.

Que vous ayez la chance d’avoir une salle dédiée à la sieste, ou que vous soyez obligé(e) de vous allonger entre un bureau et une imprimante, une sieste de 15 minutes est effectivement le meilleur moyen de vous remettre en forme pour l’après-midi. Mais tout le monde n’est pas capable de s’endormir en un clin d’œil… « Les insomniaques chroniques en sont généralement incapables, par exemple, indique la Présidente du réseau Morphée. En revanche, pour une personne qui a réellement passé une mauvaise nuit, la pression de sommeil est généralement suffisante pour s’endormir rapidement. Sinon, se reposer ou méditer est une très bonne alternative, qui permet aussi de récupérer. » Alors, qu’attendez-vous ? Partez à la recherche du petit bambou au fond de vous.

Avaler des litres de café : vrai conseil ou fausse bonne idée ?

La réponse : fausse bonne idée !

Pendant plusieurs mois, Anyssa a jonglé entre études, job de serveuse et vie étudiante agitée. « J’avais un rythme de vie et des horaires assez décalés… et les insomnies se sont installées. Le pire, c’était le service du soir après les cours. Quand j’étais vraiment trop HS, je faisais quelque chose de très peu recommandé mais qui m’aidait sur le moment : à chaque début de service, je buvais un shot d’expresso puis un de Red Bull. » Un coup de boost immédiat, dont elle payait les conséquences quelques heures plus tard. « C’était un vrai cercle vicieux car les effets duraient bien au-delà d’un service et m’empêchaient de dormir… mais j’ai tenu comme ça pendant un an », se souvient-elle.

À son cabinet, le docteur Royant-Parola reçoit des patients qui, comme Anyssa, se trouvent contraints de contrôler leur éveil et leur sommeil avec des produits d’appoint : somnifères, énergisants, café… « L’inadéquation entre le rythme de sommeil et les obligations professionnelles est parfois difficile à gérer », constate-t-elle. La solution ? Se faire accompagner pour sortir du cercle vicieux décrit par Anyssa. « On évalue les contraintes du système dans lequel se trouve le patient, qui peuvent être plus ou moins fortes, et on l’aide à prendre de meilleures habitudes dans la durée. »

Faire un footing : vrai conseil ou fausse bonne idée ?

La réponse : vrai conseil !

« Rien ne vaut une séance à la salle de sport ! », lance Léo avec entrain. Consultant en marketing et boxeur amateur, l’activité physique est sa botte secrète pour lutter contre les nuits blanches et les insomnies. « Je suis quelqu’un d’assez stressé, j’ai longtemps eu beaucoup de mal à dormir quand j’avais des périodes de rush au bureau. », confie-t-il. Mais, depuis plusieurs mois, il s’abstient à une activité physique régulière. « Je vois très nettement la différence. Même avant des rendus importants, le sport me rince et il est rare que je mette plus de quelques minutes à m’endormir après un cours d’une heure, à tout donner », constate-t-il.

L’équilibre entre le corps et l’esprit, cela vous dit quelque chose ? « L’insomnie engendre une vraie fatigue mentale, observe Sylvie Royant-Parola. Pratiquer une activité physique aura un rôle énergisant et aidera à rétablir une forme d’équilibre entre la fatigue physique et la fatigue psychique. » Pour notre spécialiste du sommeil, la fatigue physique va également limiter la négativité des affects et la crainte que l’insomnie se reproduise à nouveau. Mais rassurez-vous, personne ne vous demande de courir un marathon entre deux réunions. « S’aérer et faire une marche rapide sur la pause-déjeuner est souvent suffisant ! », ajoute-t-elle.

Prendre une journée OFF ou se coucher tôt : vrai conseil ou fausse bonne idée ?

La réponse : fausse bonne idée !

Pour Christophe, prendre un jour de dernière minute est une solution de dernier recours. « Cela m’est arrivé plusieurs fois dans ma carrière, quand j’avais vraiment une dette de sommeil trop importante. Mais cela reste très frustrant de piocher dans son “temps de vacances” pour dormir. Le pire ? Ne pas arriver à se reposer même dans ce contexte. » De son côté, Marianne, freelance, travaille parfois la nuit pour dormir la journée. « J’ai la chance de pouvoir gérer mes horaires. Alors, je me suis fixé une règle : si je me réveille et que je tourne dans mon lit pendant plus de 45 minutes, je me lève et je travaille. Et pour chaque heure travaillée la nuit, je me couche une heure plus tôt le soir. Ça marche… parfois ! Mais je n’ai pas trouvé mieux », admet-elle.

Le docteur Royant-Parola n’est pas surprise de l’efficacité modérée de ces méthodes. « Ce n’est pas parce qu’on a mal dormi que l’on doit aller se coucher plus tôt ! Il faut impérativement attendre de ressentir de la fatigue avant d’essayer de dormir. Bien souvent, il vaut mieux attendre son heure habituelle et ne pas chercher à se coucher plus tôt », conseille-t-elle. Alors, vous pensiez vraiment pouvoir tromper votre horloge biologique comme ça ? Amateurs…

Réorganiser sa journée pour compenser les coups de barre : vrai conseil ou fausse bonne idée ?

La réponse : vrai conseil !

Agathe et Vincent ont chacun leur technique pour ne pas piquer du nez. Vincent, contrôleur interne, privilégie les temps de concentration le matin, et enchaîne les réunions l’après-midi. « J’ai toujours plus de facilité à être productif le matin, en revanche j’ai besoin d’interaction l’après-midi, sinon je ne tiens pas. » Pour Agathe, infirmière, l’erreur n’est pas permise. Avec les années, elle a appris à prioriser les tâches qui lui permettent d’oublier la fatigue : « Mon mot d’ordre : ne jamais s’arrêter. Ces jours-là, je fuis les formations et autres pauses-café qui se transforment en pseudo-réunion de service et je privilégie toutes les tâches qui me demandent d’être active physiquement. »

« Plus on doit donner de soi-même, mieux la journée se passe, constate la spécialiste. Les métiers dits “intellectuels”, qui supposent de s’asseoir derrière un bureau pour réfléchir, seront plus difficiles à gérer que les métiers qui comportent une part de geste, une activité physique. » Malgré tout, il ne faut pas oublier que le poids des erreurs dans des métiers de santé, par exemple, peut être important. Si vous pardonnerez facilement à un consultant en digital d’avoir envoyé une slide bariolée de fautes d’orthographe ou à votre boulanger de mal vous rendre la monnaie, vous serez sans doute moins tolérant(e) avec le chirurgien qui vous opère le mauvais genou (oops) ou le chauffeur de bus manque un virage et rentre dans la vitrine dudit boulanger.

Réorganiser sa journée, combiner une sieste à un peu d’activité physique, bien manger et s’hydrater… la recette miracle pour survivre à une journée post-insomnie n’est finalement pas si compliquée. Et il ne faut pas oublier qu’un trouble du sommeil ne se règle pas la nuit, mais la journée : « Souvent, les gens ignorent que l’insomnie n’est pas tant un problème de gestion du sommeil… mais plutôt une mauvaise régulation de l’éveil. Eh oui, c’est dans la journée que se construit l’insomnie à venir ! », conclut Sylvie Royant-Parola. Alors, prêt, feu, DORMEZ !

Article édité par Romane Ganneval
Photo par Thomas Decamps

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