Fragmenter sa journée, la recette de l'épanouissement au travail ?

02 mai 2023

4min

Fragmenter sa journée, la recette de l'épanouissement au travail ?
auteur.e
Pauline Allione

Journaliste independante.

contributeur.e

Popularisée par une professeure de psychologie comportementale, la fragmentation, aussi appelée segmentation, veut organiser nos journées selon le plaisir que l’on prend à réaliser des tâches. Sur le papier, la technique est simple : il suffit de donner plus d’importance aux missions que l’on réalise volontiers pour contrebalancer avec les tâches que nous n’aimons pas faire.

Pour livrer cet article, j’ai réalisé un certain nombre de tâches : chercher des informations, contacter et interviewer des experts, retranscrire les entretiens, et enfin écrire. De toutes ces missions, c’est clairement la retranscription, dit le « dérushage » qui m’horripile ou du moins, que je fais machinalement. Selon Cassie Holmes, autrice de l’ouvrage Happier Hour, mon bonheur au travail tiendrait donc à délimiter et consacrer un moment pour chacune des tâches que je ne prends pas de plaisir à exécuter… dans l’idée de préserver les choses que j’aime faire.

Cloisonner le barbant pour protéger l’agréable

La professeure de marketing et de psychologie comportementale est à l’origine de la technique de la fragmentation, qui consiste à segmenter ses journées à travers le prisme de la satisfaction. Puisque nous ne pouvons pas réaliser uniquement des tâches qui nous comblent de bonheur et qu’après tout nos cerveaux ont parfois besoin de passer en pilote automatique, autant allouer au travail désagréable et au travail heureux leurs propres créneaux. Nous pourrions ainsi pleinement nous épanouir dans les missions créatives, satisfaisantes et sensées, sans être parasités par les missions barbantes. Être « en mesure de faire le tri et de prioriser sans se sentir noyé par les tâches que l’on déteste ne profite pas seulement à notre bonheur, mais également à notre productivité », détaille Cassie Holmes dans le magazine anglo-saxon Stylist.

La technique de la fragmentation nécessite dans un premier temps de savoir quelles missions contribuent à notre épanouissement. Pour cela, la professeure conseille de questionner ses habitudes de travail : pourquoi faut-il réaliser ce travail ? Pourquoi est-ce important ? Pourquoi est-ce que cela m’importe personnellement ? Nous pourrions ainsi repérer les tâches qui sont alignées à nos objectifs avant d’établir un planning qui cloisonne chaque activité - agréable ou non - et trouver du plaisir dans chacune d’elles, dont la satisfaction d’avoir coché une case de sa to-do list.

Où est la satisfaction au travail ?

Samuel Durand, conférencier sur le futur du travail et auteur de la série de documentaires Work in Progress, a mesuré son temps de travail à l’aune de plusieurs définitions : le temps d’activité, le travail rémunéré, le travail vécu comme un effort, le travail de production et le temps d’écran. « Ce qui m’a donné le plus de satisfaction est le travail de production parce qu’il y a un sentiment d’utilité immédiat. Mais finalement, sur mes 6h30 de travail par jour, en moyenne, seulement 45 minutes étaient considérées comme désagréables », explique-t-il. Toutefois, faire le distinguo entre le travail satisfaisant et le travail « labeur » n’est pas si simple. Moi qui n’aime pas le dérushage, j’attaque parfois cette tâche avec plaisir lorsque je veux faire quelque chose de machinal qui ne nécessite pas de réflexion. « L’agréable est un ressenti à un instant T, ce n’est pas quelque chose de figé. Personnellement, je sais que l’un de mes moteurs est la notion d’apprentissage. La première fois que j’ai découvert les logiciels de montage, c’était galère mais j’ai trouvé ça fascinant. Maintenant que je maîtrise le truc, je ne prends plus de plaisir à le faire* », analyse Samuel.

Le caractère de chacun, l’état d’esprit du jour, le contexte ou même la météo peuvent impacter le sentiment ressenti. Une tâche peut d’ailleurs être réalisée avec plaisir même si elle n’en procure pas : un aide-soignant ne trouve peut-être pas agréable de faire des toilettes, mais peut trouver dans cette tâche un sentiment d’utilité. « Il s’agit de l’erreur de la cause unique, de croire que quelque chose d’aussi complexe que le bonheur au travail dépend d’un seul facteur. Si vous réalisez des tâches plaisantes mais que vos collègues ne sont pas sympathiques, vous n’allez pas passer un bon moment », résume Albert Moukheiber, docteur en neurosciences et psychologue clinicien.

Diviser pour mieux régner

Si la fragmentation de Cassie Holmes peut sembler trop binaire, elle s’apparente à une technique pré-existante appelée « chunking » (comprenez « tronçonnage » en français). « Il est prouvé que la segmentation des tâches est préférable, pas seulement pour la satisfaction au travail mais aussi pour le sentiment de contrôle qu’elle procure. Le contrôle est corrélé à une meilleure qualité de vie, parce que l’on est moins en train de subir que de choisir », détaille Albert Moukheiber. Une autre technique peut aider à rendre les tâches désagréables plus digestes : le « pomodoro », à l’image du minuteur en forme de tomate destiné aux pâtes. « Comme le “chunking”, le “pomodoro” offre un contrôle temporel puisqu’il consiste à dédier des blocs de temps pour les tâches barbantes ou répétitives. On peut par exemple dédier 18 minutes à trier ses mails, puis 7 minutes à scroller son fil Instagram parce que cela nous détend », poursuit-il. De cette façon, la tâche n’est plus contrôlée par sa nature, mais par le temps qu’on décide de lui accorder.

Là encore, chacun n’a pas les pleins pouvoirs sur son emploi du temps. Coach de vie et thérapeute, Michel a beau vibrer de tout son cœur pour son métier, lorsqu’il s’agit de faire son autopromo sur les réseaux, il y va à reculons. « J’essaie d’équilibrer mes journées autant que possible, mais certaines matinées sont inexorablement dédiées à des tâches désagréables. Lorsque je n’ai pas de client sur une journée, je fais de l’administratif, je prépare des vidéos… J’essaie de condenser, mais trouver un équilibre entre les tâches agréables et celles qui le sont moins n’est pas simple », admet-il.

Faire la balance entre travail « heureux » et travail utilitaire ne suffit sans doute pas à s’épanouir au travail, mais la fragmentation puise ses sources dans des techniques qui ont fait leurs preuves. Diviser les tâches par blocs temporels apporte effectivement une satisfaction grâce à la prise de contrôle. Aussi, la méthode de Cassie Holmes pousse à s’interroger sur sa relation au travail et sur les sentiments procurés par chaque tâche. Une fois ces informations en main, à chacun de voir s’il souhaite et s’il est en mesure d’agir sur son emploi du temps pour préserver, voire privilégier, certaines activités plus satisfaisantes.

Article édité par Mélissa Darré, photo Thomas Decamps pour WTTJ

Les thématiques abordées