Perte du prestige : comment ils ont rebondi après une erreur fatale au travail

11 janv. 2023

5min

Perte du prestige : comment ils ont rebondi après une erreur fatale au travail
auteur.e
Frédérique Josse

Journaliste Freelance

Erreur, boulette, couac, bévue, faute, bourde, loupé, bêtise, impair, quiproquo… Appelez-la comme vous voulez, quand elle arrive au boulot, elle fait mal. Une fraction de seconde le palpitant s’affole, l’estomac se noue, les mains tremblent. C’est comme si une alarme interne vous hurlait d’évacuer votre propre corps. Et là, comme le traduit avec humour le dessin animé Vice-Versa, c’est l’ascenseur émotionnel version Formule 1. Peur, stress, affolement, perte de contrôle… quatre courageux racontent leur pire coup de tonnerre intérieur au travail. Et comment ils se sont remis en selle.

« Cette boulette est une erreur fatale et le poids est insupportable sur mes jeunes épaules », Olivia, analyste financière dans une multinationale

J’ai 44 ans, et pourtant, je m’en souviens comme si c’était hier. Dans mon premier job d’analyste financière dans une multinationale, au sein de la filiale française, j’ai quarante-huit heures pour boucler le budget de l’année suivante. J’ai été bien briefée et j’ai en tête le scénario particulier : un événement exceptionnel, qui a coûté dix millions d’euros, doit être extrait des calculs pour prévoir une croissance cohérente de la boîte. Sauf que… Je me trompe dans ma formule Excel. Et les 10 millions restent dans les chiffres que je valide et envoie au siège.

Quelques heures plus tard, une directrice commerciale m’appelle, furieuse : « Il est impossible d’envoyer ça, il y a forcément erreur. » On refait le match et c’est l’évidence. L’erreur est de dix millions ! Cette mauvaise formule Excel n’est pas une « petite » boulette. C’est toute la filiale française que je pénalise, en premier lieu les commerciaux. Comment vont-ils délivrer ces objectifs délirants ? Je m’effondre. Je me souviens m’être dit : « Tu n’es pas faite pour ce job si tu fais une connerie pareille ! »

Malheureusement, ma manager en rajoute une couche. Son « Oh la la » insistant et stérile me stresse encore plus. Heureusement, ma N+2 met fin au drama. Nous appelons le siège pour expliquer la situation. Ils sont très à l’écoute et nous trouvons vite un arrangement : nous conservons la moitié de la bourde (soit cinq millions) et ils répartissent les cinq autres sur d’autres pays.

J’ai mis plusieurs mois à m’en remettre, je dormais mal, ma confiance en moi a pris un sacré coup. Après… j’ai délivré mes objectifs, j’ai fait du bon boulot et petit à petit, j’ai relevé la tête. Ce que je retiens de ce cauchemar ? Il ne faut pas essayer de cacher le couac, mais en parler immédiatement, en impliquant son management et ses collègues pour résoudre ensemble le problème. Vous pouvez également développer le “growth mind set”, la culture de la croissance au plus au niveau de votre entreprise, pour arrêter de fouetter ceux qui se plantent. Il y aura toujours des erreurs, c’est humain. La question, c’est plutôt : comment apprendre à trouver des solutions ?

« J’avais le sentiment d’avoir perdu ma crédibilité de leader », Marc, fondateur et dirigeant d’une start-up dans l’informatique

J’étais en lice avec trois concurrents pour décrocher un contrat avec mon premier distributeur. Je ne pouvais pas perdre cette opportunité, puisque je venais de lancer ma start-up. Alors, j’ai joué. Mais je suis allé trop vite et j’ai cramé ma chance, car le produit n’était pas prêt, j’y suis allé sans le tester.

Le rendez-vous était dans une boucherie. Je faisais mes claquettes de commercial. J’appuyais sur un bouton, puis sur un autre. Le matériel ne réagissait pas. J’essayais de régler les bugs par texto avec mon équipe d’ingénieurs. Un échec, bien sûr. Je riais jaune. J’essayais de gagner du temps : « C’est une démo, hein ! » Au bout de la quatrième ou cinquième excuse, le client a décidé d’écourter la réunion.

C’était une catastrophe parce que j’étais pris à la gorge financièrement. Mais ce qui m’a le plus pesé, c’est le sentiment de perdre ma crédibilité de leader auprès d’une équipe de salariés talentueux et investis. J’ai fait mon mea culpa auprès d’eux : « Vous aviez raison, on est peut-être allés trop vite, il faut le prendre comme une bonne leçon. »

J’ai traîné cet échec pendant cinq, six mois. Je me prenais des remarques, je sentais que j’avais moins d’aplomb en réunion d’équipe. Mais je n’ai pas perdu la foi en notre projet et je vois aujourd’hui que je réagis mieux aux mésaventures du quotidien. Je voulais y arriver, coûte que coûte. Petit à petit, après plusieurs succès, on a remonté la pente. À cœur vaillant, rien d’impossible, non ?

Le plus drôle, c’est qu’aujourd’hui, cette anecdote est racontée à tous les petits nouveaux, comme un fait d’armes dont les équipes s’amusent : « Tu te souviens quand on était tarés à faire des choses impossibles ? » Je trouve ça beau, car au final, l’erreur est inévitable, en particulier en start-up où tu DOIS aller plus vite que la musique. C’est une composante de la victoire. Avec un peu de recul, je crois que cette bourde m’a rendu encore plus combatif.

« J’en parle sans regret. Inutile de s’en manger plein la face pour évoluer ! », Cyril, consultant en social média

Au début de ma carrière, un ami m’a aidé professionnellement en me confiant des missions de community manager sur les réseaux sociaux pour le compte de stars du football français.

On a fait une journée de shooting à Paris pour sa nouvelle marque. J’ai posté une photo du footballeur en question, en évoquant un « beau projet à venir ». Sur le coup, le footballeur n’a rien dit. Et puis en réunion, devant mon partenaire, il m’a défoncé. J’avais mis en difficulté son image. J’avais, d’après lui, totalement merdé.

Je n’ai pas du tout compris son animosité d’autant que je trouvais que ce n’était, au pire, qu’une maladresse. C’est vrai, je n’aurais pas dû être si à fond, content de partager mon enthousiasme. Mais ça ne méritait pas cette humiliation en public. Je me souviens que mon partenaire était plus choqué que moi de la manière dont le footballeur s’était adressé à moi. Je l’ai laissé mariner un peu et j’ai dit que je ne souhaitais plus être son interlocuteur.

Le plus dur pour moi, c’est que cette « faute » était, selon moi, une critique personnelle. J’ai une grande ganache, je dis ce que je pense. Je ne veux pas renier ce que je suis ni me dérober, alors j’ai préféré en rester là. Je n’ai aucun problème à me fermer des portes si c’est pour être plus en paix avec moi-même. Aujourd’hui, j’en parle sans regret. On n’est pas obligé de s’en manger pour évoluer ! Désormais, si je sens que je n’ai pas les mêmes valeurs qu’un client, je refuse le contrat. Je sélectionne les personnalités dont je gère la communication avec beaucoup de précautions et j’écarte systématiquement ceux qui ont un gros ego.

« En voulant conserver la paix du collectif, j’ai sacrifié un individu », Lucille, responsable d’une association

Je manageais une équipe de trois personnes lorsqu’un nouveau membre est arrivé. Les « anciens » l’ont pris en grippe, lui reprochant de mal faire son travail. Ce salarié, évidemment, m’a remonté les difficultés liées à son intégration et j’ai d’ailleurs moi-même constaté que tout le monde était très dur avec lui. J’étais une jeune manager et ça me semblait compliqué d’avoir un réel impact sur leur entente. Cela me paraissait être plutôt du ressort personnel que professionnel. Mais d’un autre côté, je m’entendais bien avec le noyau initial, que je ne me sentais pas capable de « saquer ».

Le problème, c’est que l’équipe a totalement dépassé les bornes avec le nouveau, à la limite du harcèlement moral : critiques, aucune aide, caricatures de lui sur un tableau, masque de monstre acheté pour se moquer de lui. Moi j’ai laissé faire, je ne l’ai pas protégé. Il a fini par changer d’équipe, mais le mal était fait. Il était devenu hyper méfiant et il n’avait plus du tout confiance en moi. J’ai été mauvaise en passant à côté du problème. Cet événement a eu lieu il y a trois ans et ce salarié n’a toujours pas confiance en moi.

En voulant conserver la paix du collectif, j’ai sacrifié un individu. Évidemment, je me suis sentie responsable, mais aussi coupable, car c’est mon rôle de traiter tout le monde équitablement.

Avec cette erreur, j’ai compris que j’allais devoir accepter de ne pas être appréciée. Je me suis remise en question en tant que manager d’un grand groupe de salariés dont les affinités naturelles et désaccords sont inévitables. J’ai décidé de faire un travail de mise à distance de mes propres affinités, pour ne pas me laisser aveugler par mes sentiments et mes émotions.

(1) : Les prénoms ont été modifiés

Article édité par Romane Ganneval ; Photographie de Thomas Decamps

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