Ils·elles ont partagé leur engagement en entretien, quitte à déstabiliser

07 avr. 2022

8min

Ils·elles ont partagé leur engagement en entretien, quitte à déstabiliser
auteur.e.s
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Anais Koopman

Journaliste indépendante

On nous conseille souvent de considérer l’entretien d’embauche comme un moment pour tester le recruteur et l’entreprise, pour voir si ces derniers correspondent à nos envies et à nos valeurs les plus profondes. Pourtant, rares sont les candidat·e·s qui profitent de cette occasion pour affirmer clairement leurs revendications. Il y a les engagé·e·s sur le papier… et les engagé·e·s sur le CV. Que ce soit au sujet de l’environnement, du genre, de la maladie ou encore du féminisme, quatre personnes ont accepté de nous raconter pourquoi et comment elles ont décidé de défendre leur engagement coûte que coûte lors d’entretiens d’embauche. De l’agréable surprise à la déstabilisation, s’affirmer avec aplomb en entretien n’est pas chose aisée, mais ces candidats n’y renonceraient pour rien au monde…

« Cet engagement fait tellement partie de moi que je ne me verrais pas ne pas le mentionner en entretien. »

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Prénom : Étienne
Âge : 25 ans
Profession : journaliste stagiaire
Engagement : le genre et l’inclusion

J’ai fait un master en études de genre. Alors, forcément, tout ce qui touche au sexisme ou encore à l’homophobie est central pour moi. Je continue d’ailleurs des recherches sur ces questions dans le cadre d’un autre master “médias, genre et cultural studies”. C’est dans le cadre de ces études que je fais actuellement un stage dans un média en tant que journaliste, dans une rubrique “société”. Avant de passer l’entretien, je me suis renseigné sur ce que proposait la ligne éditoriale dudit média, et j’avais vu qu’on parlait notamment de non-binarité, de féminisme, etc. Je me suis dit que l’entreprise semblait en phase avec mon engagement et que je pourrais peut-être apporter ma pierre à l’édifice.

Alors, pendant l’entretien, je n’ai pas eu de mal à aborder ces sujets pourtant tabous dans d’autres entreprises. Lorsque je candidatais pour des jobs étudiants, j’avais déjà mis ce thème sur le tapis face à un recruteur qui s’était montré rassurant en m’affirmant qu’il était sensible à ces sujets - et notamment à la transidentité. Par exemple, je pouvais arriver avec du vernis à ongles sans que ça ne le dérange… Face à son ouverture d’esprit, j’ai su que je pouvais accepter de travailler avec lui sans devoir cacher une partie de ma personnalité. De toute façon, s’il avait été récalcitrant, j’aurais fermé la porte de façon catégorique !

Si les candidat·e·s sont testé·e·s lors d’un entretien, c’est aussi une manière pour eux·elles de tester l’entreprise à laquelle ils·elles postulent, avec leurs propres outils. L’un des miens, c’est justement de parler des questions de genre. Si la réaction du recruteur est positive, tant mieux. Si je vois qu’on est sur un terrain glissant, je ne donne tout simplement pas suite. C’est aussi un bon moyen de vérifier que les valeurs publiquement défendues par certaines entreprises sont vraiment incarnées par ces dernières, ou si c’est juste un moyen pour elles de bien se faire voir… #washing. Cet engagement fait tellement partie de moi que je ne me verrais pas ne pas le mentionner en entretien. En tout cas, j’ai eu de la chance, car pour l’instant, mon engagement n’a pas posé problème. Et en même temps, j’ai aussi conscience que les entreprises ont une sorte d’épée de Damoclès au-dessus de la tête : elles ne voudraient pas être accusées de discrimination à l’embauche, ce qui ne les empêche pas toujours de mal réagir. Mais au-delà de ça, ce sont plutôt mes compétences et mon parcours qui importaient le plus pour le recruteur. Alors autant continuer à être le plus transparent possible, quitte à louper une opportunité, qui n’aurait dans tous les cas pas été la bonne pour moi.

« Le pire serait de me retrouver à travailler dans une entreprise avec laquelle j’ai des dissonances au niveau des valeurs, de l’engagement. »

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Prénom : Adeline
Âge : 34 ans
Profession : Consultante RSE
Engagement : l’environnement

Avant de travailler au service de la Responsabilité Sociétale des Entreprises, je faisais du marketing. Si j’ai décidé de changer de domaine et d’emploi, c’est parce que je ressentais un manque criant de sens, d’utilité dans la société. Pourtant, après ma reconversion professionnelle, j’ai réalisé qu’il y avait tout autant de bullshit dans ce domaine : beaucoup d’entreprises faisaient mine d’être sensibles aux questions de RSE, sans agir concrètement. Il était hors de question que je me remette dans ce genre de job ! Depuis que je suis devenue indépendante et que je peux choisir mes missions, je pose toujours des questions en entretien pour comprendre dans quelle mesure l’entreprise va vraiment mettre en place les choses que je lui conseille. J’évalue son envie de se responsabiliser et de mettre des choses en place pour limiter son impact sur le climat, la biodiversité, mais aussi pour soigner ses pratiques sociales.

Avant de questionner l’entreprise, je commence généralement par expliquer mon parcours et mon cheminement, pour parler très clairement de ce que j’attends de notre collaboration. Puis j’observe la réaction en face. Une fois, j’ai déroulé mon pitch avant même que mon prospect ne développe son besoin et il m’a immédiatement dit que ça n’allait pas le faire. Le business de sa boîte n’était clairement pas assez mûr pour faire concrètement bouger les choses… Ça ne veut pas dire que ça s’est mal passé, nous avons simplement été honnêtes l’un avec l’autre : ni lui, ni moi n’avions envie de faire un mauvais casting. Pour l’instant, je n’ai pas peur des réactions que je pourrais obtenir car je suis dans une vraie démarche de changement en tant que consultante, alors je me dis que les entreprises qui sont dans la même dynamique recherchent de toute façon des personnes sincèrement engagées. Mais j’ai aussi conscience que certaines boîtes pourraient se vexer et penser que je les prends de haut en refusant de travailler avec elles. Bon, après, si j’avais vraiment besoin d’argent, peut-être que je nuancerais aussi un peu mes propos… mais j’espère ne pas avoir à le faire, car j’aurais du mal à renier mes engagements. Le pire serait de me retrouver à travailler dans une entreprise avec laquelle j’ai des dissonances au niveau des valeurs, de l’engagement. Psychologiquement, je trouverais ça bien plus dur à gérer, plutôt que de faire le tri dès la phase d’entretien.

« Si je suis embauchée quelque part, c’est pour moi toute entière : je n’ai pas envie d’avoir à cacher une part de ma personnalité. »

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Prénom : Clémence
Âge : 22 ans
Profession : Journaliste
Engagement : le féminisme

Je trouve ça primordial, de parler de mon engagement, voire de mon militantisme, lors d’un entretien : je n’ai tout simplement pas envie de travailler avec un·e supérieur·e et une équipe qui n’auraient pas les mêmes valeurs que moi, au risque de devoir faire face à des remarques ou comportements sexistes. J’aurais trop de mal à garder ma langue dans ma poche, ce qui pourrait créer des tensions inutiles. Autant l’ouvrir tout de suite et éviter de donner de mon temps à des personnes qui ne partagent mes valeurs et mes envies d’évolution, et vice versa. J’ai exprimé mon engagement aussi bien pour des jobs étudiants que pour des emplois qui me tenaient vraiment à cœur.

Dans le premier cas, en tant qu’étudiante, peut-être que j’ai osé m’affirmer car je savais que ça n’impacterait pas le début de ma vie professionnelle, en tant que journaliste. Et puis, je savais que je postulais dans des milieux particulièrement exposés au sexisme, comme la restauration ou la grande distribution. La première fois que j’ai abordé le sujet avec l’un de mes employeurs, c’est venu très naturellement. En parcourant mon CV, le propriétaire du restaurant dans lequel je postulais en tant qu’hôtesse d’accueil a relevé mes nombreuses expériences en tant que bénévole, pour des associations féministes. Il m’a demandé si c’était important pour moi, je lui ai répondu que je voulais travailler avec des personnes qui partageaient mes valeurs. Il a un peu rigolé, sorti la fameuse phrase « Oh, tu sais, je ne suis pas féministe, mais je respecte quand même les femmes »… J’avoue que ça m’a d’abord fait l’effet d’une douche froide, mais après coup, on a pu en discuter et il m’a rassuré en me promettant de faire sortir tout client irrespectueux, comme il le ferait pour sa femme ou ses filles. Il a tenu parole : le jour où un client m’a fait une réflexion déplacée, le client n’a plus jamais remis les pieds au restaurant.

Dans le deuxième cas, dès que j’ai passé un entretien pour entrer dans une rédaction, soit j’en ai parlé, et ça a été très bien reçu, notamment dans une équipe entièrement féminine, qui m’a carrément répondu : « C’est bien, il faut des féministes dans notre équipe ! », mais il y a même des fois où je n’ai pas eu à faire ce petit “test” tant l’entreprise incarnait des valeurs féministes ! Même si je communique très librement à propos de mon engagement, je crains toujours que ça passe mal. Dans le milieu du journalisme, notamment, où nous sommes censés être objectifs, j’ai parfois peur de me tirer une balle dans le pied. Et puis finalement, je me dis que si je suis embauchée quelque part, c’est pour moi toute entière : je n’ai pas envie d’avoir à cacher une part de ma personnalité. Donc même s’il m’arrive de craindre des conséquences négatives, je le fais quand même : mon engagement prévaut sur tout ce qui peut m’arriver dans la vie.

« Dès l’entretien, on peut décider de montrer notre force, notre courage et notre persévérance, mais aussi la part de nous qui peut paraître plus vulnérable… »

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Prénom : Louloua
Âge : 22 ans
Profession : styliste freelance, fondatrice de la marque Endy Resist et serveuse
Engagement : l’endométriose

Allons droit au but : j’ai une endométriose (une maladie gynécologique qui touche une femme sur deux en France, ndlr.). Mon engagement est donc à la fois professionnel - notamment en tant que styliste -, et personnel. J’en parle lors des entretiens, car je sais que si dans la société, beaucoup de femmes se sont faites - et se font encore -, toutes petites, même en cas de douleurs, on est aujourd’hui de plus en plus sensibilisées à cette pathologie. C’est important pour moi de montrer que je suis une grande bosseuse mais si j’ai besoin d’un moment de répit, je dois pouvoir le partager à mon employeur·e ou à mes collègues. Dès l’entretien, on peut décider de montrer notre force, notre courage et notre persévérance, mais aussi la part de nous qui peut paraître plus vulnérable… sans pour autant être réduites à notre maladie ! En parler me permet de voir si le recruteur est ainsi prêt à faire la part des choses.

Bon après, ce n’est pas parce que j’en parle que c’est toujours évident. Dans la restauration par exemple, ce milieu très masculin et très physique, ce n’est pas la première chose que je partage en entretien. D’abord parce que ça ne me définit pas en tant que personne, et aussi pour ne pas effrayer mon interlocuteur. Mais si on me demande quels sont mes engagements ou si ça peut m’arriver de devoir m’absenter, je suis tout de suite sincère. En fait, cette maladie, cet engagement, c’est un peu comme si j’avais des enfants (rires). D’ailleurs, une fois, un employeur m’a demandé d’un air un peu craintif si j’avais des enfants et pour le coup, je n’ai pas parlé de ma maladie : j’ai senti que dans un tel contexte je savais que j’allais être jugée.

Globalement, certains recruteurs sont plus conciliants que d’autres mais le vrai problème, c’est qu’entre les paroles rassurantes et les actes, il y a parfois un fossé qui se creuse. Quand j’ai parlé de ma maladie à un de mes managers en restauration en entretien, il a d’abord été plutôt accommodant, et m’a ménagée pendant un temps. Mais au bout d’un moment, il m’a reproché d’être tout le temps fatiguée… alors que je continuais à bosser. C’est pour ça qu’il m’arrive encore d’hésiter à parler de ce combat pro et perso, car je ne veux pas que ce soit pris pour une faiblesse, ou pire, de la fainéantise, alors qu’aujourd’hui, je le considère plutôt comme une force, puisque ce handicap ne m’empêche pas d’en faire autant, voire plus que d’autres personnes qui ne sont pas malades. La preuve, je reste ferme sur mon engagement, même une fois dans l’entreprise : une fois, dans une poste de styliste, j’ai montré le book de ma marque Endy Resist - des vêtements destinés aux femmes qui ont une endométriose -, à un partenaire de travail qui a lancé « Ah oui, l’endométriose, c’est la maladie à la mode, toutes les filles font comme si elles en avaient une ». Autant vous dire que notre collaboration a été freinée…

Article édité par Gabrielle Predko
Photo de Thomas Decamps

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