Exercer son droit de grève quand on travaille dans le privé : c’est possible !

26 janv. 2023

4min

Exercer son droit de grève quand on travaille dans le privé : c’est possible !
auteur.e
Romane Ganneval

Journaliste - Welcome to the Jungle

contributeur.e

Après une première journée de mobilisation le 19 janvier qui a réuni 1,12 million de manifestants partout en France, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, une nouvelle journée d’action contre la réforme des retraites est prévue ce mardi 31 janvier. Si le rapport de force est lancé entre les syndicats et le gouvernement, de nombreux salariés du privé ignorent encore les dispositions légales concernant leur droit de grève. Procédures, conséquences, exceptions, rémunérations, voici tout ce qu’il faut savoir avant d’exercer son droit grève dans son entreprise.

Qui a le droit de faire grève en France ?

Depuis le 27 octobre 1946, le droit de grève est reconnu par la Constitution française. Selon le texte, tous les salariés du privé et du public peuvent faire usage de ce droit, sans forcément être membre d’un syndicat. Cependant, ce droit doit reposer sur une volonté collective des salariés : il faut qu’il y ait au moins deux personnes grévistes pour que le droit de grève soit reconnu (sauf si vous êtes le seul salarié de votre entreprise, Ndlr). Vous voulez participer à la mobilisation contre la réforme des retraites, mais vous êtes la seule personne de votre entreprise à souhaiter exercer votre droit de grève ? « Pas de panique, un salarié peut se mobiliser seul s’il répond à un appel à la grève lancé à un niveau national », détaille Élise Fabing, avocate spécialiste en droit du travail.

Les agents de la fonction publique peuvent également participer à un mouvement social, mais tous n’ont pas ce droit comme les agents de la police, les gardiens de prison, les magistrats, les personnels des transmissions du ministère de l’Intérieur.

Petite anecdote : en Europe, la France est la championne en la matière, avec près de 114 jours de grève par an pour 1 000 salariés contre 18 en Allemagne et un seul en Suisse, selon les chiffres de la fondation Hans Böckler.

Doit-on prévenir son employeur ?

Dans le privé, le salarié qui souhaite faire grève n’est pas tenu d’en informer sa hiérarchie et peut en théorie faire grève à tout moment. Pour la bonne organisation de l’entreprise, et surtout si le droit de grève ne concerne pas les pratiques internes, vous avez tout de même intérêt à prévenir par mail votre direction et/ou votre manager la veille ou le matin de l’exercice de votre droit de grève, avant votre prise de fonctions.

La seule obligation légale est que l’employeur soit informé des revendications qui motivent votre arrêt de travail. Dans le cas de la mobilisation sur la réforme des retraites : étant donné qu’il s’agit d’une grève générale et nationale, il n’y a pas nécessité de lui envoyer personnellement vos revendications.

Comme toujours, il y a tout de même quelques exceptions à cela : certains secteurs d’activité ont un droit de grève encadré, comme les personnels du transport aérien qui, depuis une loi de 2012, doivent informer au plus tard 48 heures à l’avance la direction de l’entreprise de leur participation à une grève. Dans les entreprises de droit privé chargées de la gestion d’un service public (ramassage des ordures, du transport ambulatoire, régie des eaux ou enseignement privé sous contrat), les salariés sont tenus d’émettre un préavis de grève, adressé à leur direction, au moins cinq jours avant le début du mouvement social.

Combien de temps peut-on faire grève ?

« Il n’existe aucune durée légale minimale ou maximale. La grève peut être de courte durée (une heure ou même moins) ou bien se poursuivre pendant une longue période (plusieurs jours ou semaines) », indique le site du ministère de l’Intérieur.

Attention toutefois, si vous faites grève pour soutenir un mouvement social national et que celui-ci n’est pas reconduit, sachez qu’un salarié qui continue de faire grève (vendredi après une mobilisation du jeudi par exemple) sans présenter de nouvelles revendications professionnelles à son employeur, sera considéré comme en irrégularité.

Quelles sont les conséquences de l’exercice de son droit de grève ?

Sanctions

Vous ne pouvez pas être sanctionné, faire l’objet d’une discrimination (refus d’augmentation de salaire ou de promotion, par exemple) ou être licencié pour avoir fait grève. Pourtant, lorsqu’il s’agit de dénoncer des conditions de travail ou de mauvais agissements au sein de l’entreprise, Élise Fabing reconnaît que « l’employeur utilise généralement des moyens détournés pour faire pression sur les salariés grévistes ».

Exceptions : Il y a tout de même des règles à respecter lorsqu’on fait grève. Comme participer à un mouvement social suppose une cessation totale du travail, certains agissements sont illicites et peuvent conduire à des sanctions disciplinaires et/ou un licenciement ;

La grève du zèle : moyen de pression qu’exerce un groupe de salariés sur son employeur et qui consiste à appliquer les normes de travail établies par l’entreprise d’une façon tellement stricte qu’elle entraîne une certaine désorganisation du travail ;

La grève perlée : presque semblable à la grève du zèle, la grève perlée consiste à effectuer le travail au ralenti, avec un rendement très bas ou dans des conditions volontairement dégradées, ou à le suspendre de manière sporadique et répétée ;

La grève limitée à une obligation particulière du contrat de travail (par exemple, le non-respect d’une obligation astreinte…) ;

Le blocage de l’accès à un site ou bien l’occupation des locaux dans l’intention d’empêcher le travail des non-grévistes est illicite (il en va de même pour la dégradation des locaux et du matériel professionnel). Dans ce cas-là, l’employeur et les non-grévistes peuvent demander réparation en justice, devant le conseil de prud’hommes ou le juge pénal compétent.

Rémunération

Comme faire grève suspend le contrat de travail (mais ne le rompt pas), l’employeur n’a pas à vous rémunérer pendant votre absence. En revanche, la retenue sur le salaire se doit être proportionnelle à la durée d’arrêt du travail. Après avoir fait grève, vous perdez donc une part de votre salaire et de vos éventuels accessoires (indemnité de déplacement ou ticket restaurant, par exemple).

Cependant et dans le but d’éviter une retenue sur salaire, il est toujours possible de poser un RTT ou un jour de congé payé. Si vous choisissez cette option, vous ne serez pas considéré comme gréviste - le régime de la grève ne s’appliquera pas, mais celui correspondant au motif de l’absence (congé payé ou RTT) - et vous serez rémunéré en conséquence. Attention, l’exercice de votre droit de grève ne peut pas être mentionné sur votre fiche de salaire.

Exceptions : Dans certains cas, l’entreprise doit payer votre salaire si la mobilisation a pour origine un manquement grave et intentionnel de l’employeur à ses obligations légales (mise en danger des salariés, par exemple) ou si un accord de fin de grève est prévu.

Pour aller plus loin

  • Comme faire grève suspend le contrat de travail, si vous faites une mauvaise chute pendant une manifestation, cela ne pourra pas être considéré comme un accident du travail ;

  • Vous avez le droit de faire grève seulement une demi-journée (et même quelques heures), si vous voulez aller manifester par exemple ;

  • Vous n’êtes pas obligé d’aller manifester si vous faites grève ;

  • Si vous faites grève sur votre lieu de travail, vous n’avez pas le droit d’empêcher vos collègues non-gréviste de travailler ;

  • En cas de piquet de grève ou d’occupation des locaux par exemple, le salarié non-gréviste peut se trouver dans l’impossibilité de travailler. Dans ce cas-là, l’employeur peut être dispensé de son obligation de le payer ;

  • Les syndicats et les grévistes sont responsables des abus commis pendant une grève ;

  • Les salariés ne sont pas obligés d’attendre le refus de leur employeur de satisfaire à leurs revendications pour entamer une grève ;

  • Une grève est légale même si elle n’a pas été précédée d’un avertissement ou d’une tentative de conciliation avec l’employeur.

Article édité par Gabrielle Predko ; photo par Thomas Decamps

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