Ce que j'aurais voulu savoir avant de devenir manager

09 oct. 2023

8min

Ce que j'aurais voulu savoir avant de devenir manager
auteur.e
David Merchier

Chief Content Officer @ Welcome to the Jungle

contributeur.e

Tout le monde ne devient pas manager, mais celles et ceux qui décrochent ce rôle sont toujours surpris du changement. L’impact sur les relations pros, la charge mentale : un manager raconte 6 coups portés par sa promotion… qu’il n’avait pas vu venir.

Devenir manager : un graal pour beaucoup, une contrainte pour certains, une peur pour d’autres. Pour moi, il s’agissait d’une évidence, une étape indispensable mais aussi d’une envie. Cela fait maintenant 10 ans que je manage – avec quelques pauses ici et là. J’encadre aujourd’hui une équipe d’une quarantaine de personnes. Je considère que le management fait partie intégrante de l’éventail de mes compétences et cette activité me plaît, sans aucun doute. Cependant, c’est un métier qu’on apprend souvent sur le tas et, comme tout le monde, je suis passé par mon lot de surprises. Voici 6 situations qui m’ont pris de court et les enseignements que j’ai pu en tirer.

1. Le silence explose à la machine à café

La surprise

Un jour, vous devenez manager de l’équipe dont vous faisiez partie. Un de vos premiers chocs, c’est le silence à la machine à café. Pas l’absence de ronron de la machine qui assujettit les travailleurs, non, on parle ici du silence AUTOUR de la machine. Voire pire, de l’arrêt du bruit quand vous approchez. L’impression que vous êtes devenu le surveillant de l’école et que vous venez de pénétrer dans la classe de 5e B. Sauf que vous avez envie de faire partie du groupe ; qu’hier encore vous faisiez des blagues sur le PDG ou vous râliez sur les restrictions budgétaires. Mais soudain, vous êtes devenu celui qui juge, et le thermomètre chute en votre présence. L’ambiance devient glaciale.

Ma réaction

Mon premier réflexe a été de fuir la machine – facile pour moi, je ne bois pas de café. Cela m’a permis de laisser le temps à l’équipe de débriefer ma nomination et d’évacuer la tension. Au lieu de m’imposer à eux dans cet espace, j’ai déplacé le problème : j’ai organisé des déjeuners d’équipe et des apéros. Je voulais montrer que j’étais le même, qu’on pouvait toujours avoir des moments informels. Mais j’ai clarifié ces moments. Au bureau, en réunion : interactions formelles. Lors des repas d’équipe et des afterwork : l’informel prend le dessus. La machine à café, la terrasse à pause clope : trop hybride, trop ambigu, on oublie.

Le faux pas (à prononcer avec l’accent anglais) à éviter

Il ne faut pas forcer. Si vous arrivez à la machine à café en disant : « Cette gourde (votre manager à vous) ne sait pas faire une annonce, on ne comprenait rien ! », vos collaborateurs ne vont pas savoir comment réagir et craindre un piège. C’est la décrédibilisation assurée. Un faux pas pour un faux départ.

2. Les bruits de couloir changent de trottoir

La surprise

Les ragots sont une partie importante de la communication informelle dans une entreprise. Secrets de la sphère professionnelle – « Tu sais pas qui a posé sa dem’ ? » – ou de la sphère personnelle — « Son copain est parti, il est démotivé » –, ces petites infos mettent du piment dans les journées mornes d’un mois grisâtre. Quand vous devenez manager, vous perdez ce droit. Vous représentez la hiérarchie et en votre présence, votre collaborateur sera gêné par deux injonctions : ne pas lâcher un secret qui pourrait le desservir et ne pas donner l’impression qu’il se concentre sur des futilités au lieu de produire. Cette source d’informations (votre plaisir coupable) se tarit, renforçant votre sentiment d’isolement en tant que nouveau manager.

Ma réaction

Pour éviter la pente glissante, je me suis placé du côté de la clarté. J’ai fait une croix sur les ragots. Je continue de me renseigner sur la vie de chacun, mais directement auprès des intéressés, ce qui au final crée un lien plus fort avec eux. Je me souviens par ailleurs d’un collaborateur avec qui j’avais une relation de confiance et qui me partageait les informations « filtrées ». Il me tenait au courant des rumeurs en les anonymisant. Cela me permettait de connaître la température dans une équipe, qui ne m’aurait pas livré la vérité directement.

Le faux pas à éviter

Ne démarrez plus les conversations propices aux ragots (« Alors, qui a des nouvelles de la maîtresse de Thierry ? »), qui peuvent apparaître comme des pièges tendus pour vos équipes. Respectez une hygiène stricte : si un collaborateur prend trop ses aises et partage des ragots pouvant gêner une personne, signifiez l’arrêt de la récréation gentiment mais fermement, et ne lui en tenez pas rigueur. Mais n’encouragez pas les mauvais comportements.

3. L’instinct protecteur s’éveille

La surprise

En tant que contributeur individuel, vous faites partie d’un tout, d’une équipe. Vous réagissez aux attaques extérieures par solidarité. Une fois manager, un autre mécanisme s’active. Ce n’est plus de la solidarité mais un instinct protecteur qui vous anime. Vous vous sentez provoqué par les remarques envers vos collaborateurs. Même si vous êtes d’accord avec la critique formulée, c’est plus fort que vous : vous défendez l’équipe, bec et ongles.

Ma réaction

J’ai vécu cette situation lors d’une revue collective de performance, où sont présentés les résultats des employés. Je devais partager une évaluation relativement dure (mais juste) d’un membre de l’équipe à l’audience, qui incluait le DRH. À la fin de mon intervention, ce dernier a commencé à ajouter ses propres griefs. Surpris, j’ai défendu mon collaborateur au-delà de ce que j’avais préparé. La règle est la même pour mon équipe qu’avec ma famille : je peux émettre des critiques, mais les autres, non. Bien sûr, je m’efforce de rester objectif mais je prends une position « protection par défaut » : si j’ai quelque chose à reprocher à un collaborateur, je lui partage ; mais devant le reste de l’entreprise, on reste une équipe soudée.

Le faux pas à éviter

Cet instinct protecteur est une réaction saine et positive, faisant partie des forces d’un bon manager. Il résulte du mélange entre esprit de communauté et responsabilités. Le risque est de ne pas réussir à le cadrer, au point de se mettre des œillères ou de faire du « communautarisme ». Manager, vous faites partie de l’équipe dirigeante : défendre vos collaborateurs ne doit pas vous mener à les privilégier au détriment de l’intérêt de l’entreprise – par exemple en refusant qu’ils participent à un effort exceptionnel, quand tout le monde le fait. Le contrat moral qui vous lie à l’entreprise est : « Faites-moi confiance, laissez-moi gérer mon équipe ». Donc, n’oubliez pas de la gérer.

Cultiver votre marque employeur, c'est faire grandir vos équipes.

On vous en dit plus ?

4. La charge mentale enfle

La surprise

Vous étiez au sein d’une équipe, vous avez bossé dur pour dépasser vos objectifs et vous faire remarquer. Et voilà, vous avez été nommé manager – félicitations ! A priori, c’est un nouveau poste, différent de l’ancien. Non ? Et ben, pas toujours… Vous découvrez que vous n’avez pas « perdu » vos anciennes tâches et responsabilités – on vous demande toujours de produire, on ne vous a pas encore remplacé. Mais votre nouveau rôle arrive, avec sa charge mentale : animer l’équipe, interagir avec la direction RH, faire du « reporting » à la direction, travailler sur la stratégie, suivre le budget… Autant de projets qui peuvent sembler annexes au cœur de l’activité, mais quelqu’un doit s’en occuper. Et ce quelqu’un, c’est vous, maintenant.

Ma réaction

J’encaisse ; après tout, j’ai été promu parce que j’étais capable de gérer des situations complexes. On m’a choisi, je ne veux pas décevoir. Donc je courbe l’échine. Mais un jour, je lève le nez et je réalise que cela fait deux semaines que je ne fais que de « l’administratif ». Je suis en retard pour une grosse présentation : le genre qui m’a valu ma promotion, que normalement je maîtrise mais qui là me panique… Pour les tâches d’encadrement comme pour celles de production, il faut apprendre à dire « non » afin de gérer ces deux charges. Passer de l’une à l’autre, prioriser l’une puis l’autre. Et puis déléguer, même vos tâches préférées. Vous l’avez appris sur votre précédent rôle, vous l’apprendrez aussi sur celui-ci. Alors faites-vous confiance.

Le faux pas à éviter

Ne vous prenez pas pour Superman en disant « oui » à tout. Il ne s’agit pas de se plaindre mais de poser les limites et de communiquer. A priori, vous saviez qu’il y aurait une période de transition. Donc pensez à en clarifier les contours avec votre hiérarchie dès les discussions sur votre promotion et n’hésitez pas à rappeler le cadre régulièrement. Si on vous a promu à un rôle de manager, c’est parce que vous savez identifier les problèmes et organiser un plan pour les régler. Prendre vos fonctions est un projet comme un autre, traitez-le comme tel.

5. Les félicitations (et les coups) pleuvent

La surprise

Avant d’être manager, vous étiez concentré sur vos objectifs. Vous aviez appris à défendre votre travail, à justifier vos choix et à assumer vos erreurs. Vous teniez votre barque et vous saviez que vous étiez prêt à assumer les succès comme les défaites, tant que vous aviez le contrôle sur les moyens. Une fois manager, ce n’est plus une barque qu’il vous faut piloter mais une caravelle. Vous devez continuer à recevoir des louanges ou des critiques sur un travail… fait par d’autres ! Cela peut prendre de court, voire effrayer. Vous passez de « Ok je vois comment faire, fais-moi confiance, je l’ai déjà fait » à « Ok je comprends l’objectif, je vois une façon de faire mais je vais déléguer à l’équipe qui a déjà fait. J’en prends la responsabilité ». La nuance est importante et va changer la façon dont vous gérerez l’imprévu.

Ma réaction

Dans le cliché du mauvais manager, on imagine quelqu’un qui s’accapare les succès de son équipe et rejette la responsabilité des échecs. Mais évidemment, l’un ne vient pas sans l’autre. Il faut l’accepter au plus vite et relativiser. Je me rappelle que mon équipe est composée d’adultes, qui sont responsables de leurs choix. Je leur fais confiance pour distinguer ce qu’ils savent de ce qu’ils ne savent pas, donc pour m’aider à fixer les caps en fonction de leurs capacités. Pour ce qui est des succès et des échecs, il faut comprendre que le manager est un rôle. Et je me rappelle que mon rôle ne dépasse pas mon poste – nous sommes une équipe dans laquelle chacun a son rôle, et participe à ce titre.

Le faux pas à éviter

Bien sûr, tâchez d’éviter de tomber dans le cliché. Vous ne voulez pas être ce manager qui tire la couverture à soi. Non, il est important de « cascader », c’est-à-dire de faire redescendre les bonnes nouvelles et les compliments. Vos équipes vous en seront reconnaissantes et, avouons-le, c’est juste. Cela veut dire transmettre les bons mots de la hiérarchie, communiquer sur les forums internes quand quelqu’un a participé à un succès, nommer en réunion les architectes d’une victoire… Créer une culture de la traçabilité des bonnes actions vous rendra plus légitime pour implémenter une solidarité autour des échecs.

6. Être manager, c’est un tout

La surprise

Vous avez passé une journée difficile dans votre nouveau rôle de manager. Des soucis se sont empilés : des demandes du CEO de dernière minute, une absence pour maladie dans l’équipe, un process RH que vous aviez oublié… Heureusement, c’est enfin le week-end. Vous vous écroulez sur le canapé, lâchant un soupir terriblement audible. Votre partenaire, déjà occupé à préparer l’apéro, vous interroge : « Un souci ? ». Vous vous engouffrez dans la brèche et vous racontez votre journée. Après tout, c’est vrai qu’elle était difficile cette journée et votre partenaire a bien dans ses attributions de vous écouter et vous soutenir. Mais il ou elle vous interrompt : « Attends, être manager c’est ce que tu voulais, non ? ». Mais euh, la réalité est parfois rugueuse à entendre en fin de journée.

Ma réaction

C’est mot pour mot ce qu’il m’est arrivé, et cela m’a coupé le souffle. Bien sûr, ma copine avait raison. C’était un peu ma dernière étape du deuil : l’acceptation. Après cela, j’ai pu relever la tête, j’ai compris les plus et les moins, les droits et les devoirs d’un manager, indissociables. Un (plus) grand pouvoir implique de (plus) grandes responsabilités, comme disait un célèbre arachnophile. Mais manager est un rôle intéressant dans lequel on apprend beaucoup, grâce à des situations et des obstacles inédits, et cela vaut bien quelques efforts supplémentaires.

Le faux pas à éviter

Il ne faut pas abandonner au premier obstacle, même s’il va y avoir des moments difficiles. Il est toujours possible de changer d’avis et de redevenir contributeur individuel, sans équipe (j’ai moi-même alterné dans mes différents jobs). Mais avant de décider, accrochez-vous un peu. Parlez-en à d’autres managers autour de vous, au mentor informel que vous avez ou à un copain d’une autre entreprise. Rappelez-vous ce que vous veniez chercher dans ce nouveau poste, mais aussi des obstacles que vous aviez anticipés, et listez ceux que vous n’aviez pas vu venir (si seulement vous aviez lu cet article avant). Confirmez si les avantages sont là, si votre job vous plaît toujours et faites le point régulièrement. Le jeu en vaut la chandelle, croyez-moi.


Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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