Le congé menstruel, une fausse bonne idée ?

21 juin 2022

5min

Le congé menstruel, une fausse bonne idée ?
auteur.e
Laetitia VitaudExpert du Lab

Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes

Inédit en Europe : le gouvernement espagnol pourrait instaurer un congé payé de trois jours en cas de règles douloureuses… Une proposition de loi qui rouvre le débat autour du congé menstruel, y compris en France. Notre experte du Lab Laetitia Vitaud vous dit pourquoi, selon elle, ce n’est peut-être pas une si bonne idée que ça.

Depuis quelques années, sous l’influence de féministes engagé·es, le tabou des règles commence à se dissiper. Des entrepreneur·ses s’en emparent pour créer de nouveaux produits (la FemTech est florissante). Le monde politique s’y intéresse – on se souvient, par exemple, des débats sur le taux de TVA à appliquer sur les tampons et serviettes hygiéniques. Des salarié·es abordent la question des règles au travail autour de l’idée d’un congé menstruel. Par ailleurs, on ne peut que se réjouir d’entendre parler (enfin) de l’endométriose, cette maladie qui toucherait entre 10 et 20 % des femmes menstruées et peut causer de fortes douleurs récurrentes (et autres problèmes de santé et de fertilité). On ne peut que saluer le fait que la communauté scientifique se décide (enfin) à se saisir de ce sujet. Non, il n’est pas « normal » de souffrir quand on a ses règles ! Cette idée « biblique » a fait son temps : la douleur des femmes, moins entendue par le corps médical d’après de nombreuses études, doit être prise au sérieux.

En mai 2022, le gouvernement espagnol a approuvé un projet de loi instaurant un congé menstruel, c’est-à-dire que la Sécurité sociale espagnole prend en charge le paiement du salaire pendant l’arrêt maladie des femmes qui souffrent de règles « invalidantes ». Ce projet de loi est une première en Europe. En France, certaines entreprises ont récemment mis en place un congé menstruel pour les salariées concernées par le problème des règles douloureuses. Mais le congé menstruel est-il nécessairement une avancée progressiste ? Je suis sceptique pour plusieurs raisons. Convaincante sur le papier, cette idée pourrait être en pratique une fausse bonne idée qui ne marche pas ou s’accompagne d’effets pervers. Il existe d’autres moyens pour améliorer la vie des salariées concernées par les règles douloureuses.

3 raisons pour lesquelles le congé menstruel peut laisser sceptique

Non appliqué, il ne sert pas à grand-chose

Le congé menstruel n’est pas neuf : il existe depuis des années au Japon, en Corée du Sud, ou encore en Indonésie, mais beaucoup de femmes n’en font jamais la demande de peur qu’on leur reproche un manque d’engagement. Puisque toutes les femmes ne souffrent pas des règles de la même manière, celles qui n’ont pas de chance avec leurs règles risquent de donner l’impression qu’elles simulent, sont moins motivées ou trop fragiles. Du coup, elles préfèrent souvent ne rien dire de peur de passer pour de mauvaises salariées. Dans les pays où les droits des femmes sont peu avancés et où le travail s’accompagne d’une culture sacrificielle, ce congé reste donc plus ou moins lettre morte. Plus généralement, vous n’allez pas réclamer un droit qui peut se retourner contre vous. Par exemple, là où la grossesse s’accompagne de discrimination et de placardisation, vous ne ferez pas la demande d’un congé fausse couche de peur de devoir parler d’un projet d’enfant et vous le voir reproché par la suite. Face à des managers peu amènes, on préfèrera garder le silence et prendre sur soi. Le droit au congé n’est effectif que si la culture ambiante le valorise. C’est probablement loin d’être le cas dans toutes les organisations.

Il présente un risque de stigmatisation accrue des femmes

Si les femmes sont plus vulnérables ou « faibles » quand elles ont leurs règles, alors mieux vaut ne pas leur confier des responsabilités importantes au travail, n’est-ce pas ? L’idée que les femmes seraient « esclaves de leurs hormones » est utilisée depuis longtemps pour justifier la non-mixité de certains métiers et postes de pouvoir. Hystériques, déraisonnables… Les femmes seraient du côté de la Nature tandis que les hommes seraient du côté de la Culture et de la Raison. Cette idée est vieille comme la misogynie au travail. Pourquoi les hommes ne se voient-ils jamais accusés d’être les esclaves de leur testostérone quand ils adoptent des comportements dominateurs et/ou expriment de l’agressivité ? Est-ce parce que ces comportements toxiques sont davantage valorisés dans nos sociétés patriarcales ? En réalité, nous sommes tou·tes « esclaves » de nos hormones mais nous pouvons tou·tes vivre et travailler avec (malgré) nos variations hormonales. Dans une société qui reste très inégalitaire, mieux vaut se méfier de tout ce qui peut être utilisé pour renforcer le patriarcat.

Un congé menstruel est inégalitaire

Un droit qui cible une catégorie de la population au mépris d’une autre peut être mal perçu par ceux qui en sont exclus. « Au nom de quoi aurait-elle le droit de rester au lit aujourd’hui alors que moi je dois aller au taf avec coup de barre, mal de tête et problème digestif ? » Un congé menstruel est inégalitaire. Il impose une hiérarchie entre des maux liés au cycle menstruel et d’autres ayant d’autres causes. Il pourrait aussi laisser penser qu’il est plus coûteux d’embaucher une femme menstruée puisqu’elle peut s’octroyer des congés plus fréquents que ses homologues non menstrués. Devoir justifier les raisons de ces maux (« C’est une migraine de règles, pas une migraine de gueule de bois ! »), cela revient à supprimer le secret médical. Du moment qu’un médecin a accordé un arrêt maladie à un·e salarié·e, il / elle lui appartient de ne pas en révéler les causes et exposer son dossier médical à son employeur, quel que soit son genre et son histoire médicale.

Mais alors, par quoi remplacer le congé menstruel ?

L’exemplarité des managers sur les congés et l’équilibre des temps de vie

En matière de congé, ce qui prime, c’est la culture qui s’impose aux salarié·es dans une organisation. Là où les managers restent connecté·es tard le soir, ne s’arrêtent pas de travailler en vacances et participent aux réunions d’équipe sur Zoom même quand ils / elles ont le Covid, les salarié·es ont tendance à faire de même. Il est probable que rien n’a plus d’influence sur l’équilibre des temps de vie des salarié·es que l’exemple donné par les personnes de pouvoir dans une organisation. Implicitement, ce sont elles qui « autorisent » leurs équipes à s’arrêter de travailler quand ils / elles sont malades, en vacances ou s’occupent de leurs enfants. Les personnes qui s’arrêtent ne sont alors pas stigmatisées ou perçues comme peu engagées. Le droit au congé est effectif quand il est incarné par les leaders d’une organisation.

La flexibilité et l’autonomie dans l’organisation du travail

Quand on peut travailler de manière autonome au quotidien, sans avoir à rendre de comptes sur ses horaires et sans obligation de présence dans un lieu précis, on a moins besoin de congés quand on n’a pas la forme. Par exemple, avec des règles douloureuses, il n’y a rien de pire que les réunions qui n’en finissent pas, lors desquelles il faut cacher son mal-être et avoir l’air normal, ce qui rajoute une charge. À l’inverse, quand on est maître·sse de l’organisation de son travail, parfois, on peut continuer à travailler à son rythme. Attention, cela ne marche pas si on est très malade ou que l’on subit des douleurs atroces évidemment ! Même avec toute la flexibilité du monde, une tête fiévreuse ne produira rien de bon.

Et pourquoi pas un congé « baisse de forme » pour tout le monde ?

Une politique généreuse qui accorde un congé « baisse de forme » à tou·es les salarié·es sans leur en demander la cause présente l’avantage de n’être pas stigmatisante et de ne pas violer le secret médical. Universelle, elle a l’adhésion de tou·tes les salarié·es. Au-delà des congés supplémentaires, l’application des règles existantes en matière d’arrêt maladie reste un très bon point de départ.

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Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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