Au chômage ou au RSA : comment esquiver les préjugés en entretien d'embauche ?

22 juin 2023

8min

Au chômage ou au RSA : comment esquiver les préjugés en entretien d'embauche ?
auteur.e
Manuel Avenel

Journaliste chez Welcome to the Jungle

De prime abord, être libre de tout contrat et disponible pour s’engager avec un nouvel employeur est une situation idéale à la fois pour les candidats et les recruteurs. Mais, postuler pendant une période de chômage ou en situation de RSA peut aussi susciter la suspicion des recruteurs qui posent alors la question suivante : « qu’avez-vous fait durant cette période ? »

« C’est systématique », assure Paul, 27 ans, ingénieur en développement web, au chômage depuis six mois. En recherche d’emploi, le jeune homme est confronté à la même question à chaque fois qu’il postule. « Il n’y a pas une seule entreprise qui ne m’a pas demandé ce que j’avais fait pendant ces six mois et pourquoi je m’étais retrouvé au chômage », assure-t-il. Des interrogations qui surviennent la plupart du temps au cours de l’entretien d’embauche, mais aussi parfois dès la prise de contact, par mail. Pour Paul, pas facile d’aborder le sujet sans être mal à l’aise. La raison de son chômage ? Un burn out, survenu au cours de son précédent job. « Ce n’est pas simple à avouer, je n’ai pas envie d’en parler à un potentiel recruteur et lui renvoyer cette image de moi, car ça ne présage rien de ma capacité à faire mon travail », estime-t-il. Quant à ses occupations durant la période, Paul avait surtout besoin de quelques mois pour se remettre en selle avant d’entamer sa recherche d’emploi. Après une quinzaine d’entretiens, le candidat est toujours perplexe sur ce sujet de préoccupation pour les recruteurs. « À vrai dire, je ne comprends pas cette question. J’aurais pu faire un tour du monde, être hospitalisé ou avoir un enfant… Si ce n’est pas dans mon CV, je ne vois pas pourquoi je devrais en parler. Et puis bien souvent, on entre dans un rapport de force dans lequel on doit se justifier, ce qui n’est pas agréable. »

Melody, journaliste de 32 ans, a elle aussi connu des périodes de recherche d’emploi, que ce soit en percevant une allocation chômage ou le RSA, suite à des fins de contrats en CDD, d’intermittence du spectacle ou sous statut d’entrepreneur. « Le chômage et le RSA font partie de ma carrière », a-t-elle intégré. Alors quand les recruteurs lui posent la question, cela ne la surprend pas. « Être au chômage ou au RSA véhicule encore l’image d’être une personne fainéante qui touche des aides de l’État et ne fait rien, qui n’est ni carriériste ni ambitieux », expose la journaliste. Des idées reçues qui ont la vie dure, alors même que toucher le chômage ou le RSA recouvre des réalités très différentes.

Soupçon, inactivité, profiteurs… des clichés qui ont la vie dure

Si les stéréotypes sont des schémas de pensée naturels qui nous aident à comprendre le monde et à nous orienter socialement, leurs effets peuvent être pervers. En effet, cet étiquetage catégoriel reflète souvent une perception négative et une compréhension partielle de la réalité. Dans leurs recherches Etudes, comment sont perçus les personnes au chômage au sein de la société française ? Etudes de la composition du stéréotype (2015), Sophie Berjot et Gauthier Camus ont mis en avant le regard que porte la société sur les demandeurs d’emplois et les chômeurs. Ces derniers étaient le plus souvent considérés comme « paresseux et fainéants » plutôt que « courageux et volontaires » ou encore, davantage taxés de « profiteurs » que de « victimes ». En toile de fond, l’idée que le chômage serait de la responsabilité des individus. Une idée corroborée par le Baromètre 2022 de la perception du chômage et de l’emploi d’Elabe pour l’UNEDIC, qui constate une méconnaissance de la situation du chômage en France, puisque 54% des français ont tendance à surestimer son taux. Si pour 72% des français, le chômage reste une situation davantage subie que choisie, avec pour principale raison évoquée l’évolution de la société (59%), vient ensuite la responsabilité des chômeurs eux-mêmes (50%) qui passe devant celle des entreprises (45%) par rapport aux précédent baromètre livré en 2021. Parmi les principales causes du chômage évoquées par les Français on trouve :

  • les gens ne veulent pas travailler pour 33% ;

  • le trop faible contrôle des chômeurs fraudeurs pour 25% ;

  • le montant des allocations versées aux chômeurs qui n’incite pas à travailler pour 24%.

Dans ce baromètre, le soupçon à l’égard des chômeurs est aussi en hausse. Les répondants estiment que si les demandeurs d’emplois ne trouvent pas chaussure à leur pied, c’est parce qu’ils ne font pas de concession dans leur recherche d’emploi (60%), ou bien ne veulent pas risquer de perdre leur allocation (57%). Près de la moitié estiment même que la plupart des chômeurs ne cherche pas vraiment à retrouver un emploi. Un durcissement du regard ressenti par les demandeurs eux-mêmes, puisqu’ils sont un quart à entendre d’autrui qu’ils sont des assistés, des paresseux ou se sentent méprisés au quotidien. 47% des demandeurs d’emplois interrogés déclarent par ailleurs être questionnés avec insistance sur leur recherche d’emploi, quand 43% ne sont tout simplement pas crus lorsqu’ils affirment en rechercher un activement. Si ce sondage donne un aperçu de l’opinion de la société envers les demandeurs d’emploi, le monde de l’entreprise n’est pas imperméable à ces stéréotypes. Les candidats sur le marché de l’emploi en ressentent les effets et sont souvent questionnés par les recruteurs.

Comment en parler en entretien ?

À l’image des trous dans les CV, il est souvent demandé aux candidats en entretien de donner des précisions sur leur période de chômage. Alors comment bien répondre à la question « Qu’avez-vous fait durant ce temps-là ? » et passer l’entretien la tête haute ? Pour y voir plus clair, Cécile Pichon, psychologue et coach professionnelle nous livre ses conseils.

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1. Dédramatiser la situation

Avant tout, Cécile Pichon invite les candidats à relativiser. Avec la tension du marché du travail, être au chômage est aujourd’hui devenu plus commun qu’hier. « Dans une société de plein emploi comme les Trente Glorieuse, une personne au chômage pouvait être suspecte aux yeux d’un recruteur, car il pouvait se demander pourquoi personne ne veut l’embaucher ? Ce n’est plus vraiment le cas depuis la crise de 2008 et les mobilités professionnelles qui ont suivi. Aujourd’hui il faut dédramatiser le chômage qui est devenu beaucoup plus courant dans nos vies professionnelles. Et il y a beaucoup de raisons qui sont extérieures au fait d’être un bon ou un mauvais candidat. On admet par exemple beaucoup plus l’idée de faire des pauses dans sa carrière de nos jours, de par nos nouveaux modes de travail et l’équilibre vie pro, vie perso tant recherché. Depuis le Covid, cette quête de bien-être est centrale et on ne veut plus sacrifier notre santé au travail. D’autant que les boulots modernes vont de pair avec une surcharge mentale permanente liée à l’hyperconnexion, qui engendre un stress et une fatigue supplémentaires. »

2. Rassurer le recruteur

Pour la psychologue du travail, le fait que les recruteurs soient curieux sur la période de chômage ou de RSA vise à les rassurer, car il se peut qu’ils aient des désirs contradictoires. S’ils veulent d’un côté un candidat compétent et disponible tout de suite, ce qui est le cas avec une personne qui n’est pas en poste, d’un autre côté ils ont toujours la crainte de faire un mauvais recrutement. « Si quelqu’un n’est pas en poste, les recruteurs peuvent avoir un doute et vont vouloir vérifier que cette personne n’a pas un “problème”. Un peu comme avec le dating amoureux : quelqu’un qui n’est pas en couple, ce n’est pas suspect, mais on peut se dire que si cette personne n’a jamais eu qui que ce soit, il y a peut-être anguille sous roche. »

3. Être au clair avec son récit personnel

L’idée est de montrer que vous savez pourquoi cette période a eu lieu, que vous l’avez digéré, et que vous avez su y apporter du sens. Par envie ou besoin de souffler, parce qu’une précédente expérience s’était moins bien passée, en raison d’un événement familial, d’un travail qui n’a pas de sens… être au clair avec son récit personnel c’est aussi faire le point sur ses envies, dire comment ce temps de réflexion a permis une exploration professionnelle. « Si un bilan a été fait, un parcours, des expériences, un accompagnement Pôle Emploi, il faut le dire et exposer les résultats », encourage la psychologue. C’est ce que Paul met en place dans ses entretiens : « À force d’en passer, j’ai développé une réponse qui rassure et qui correspond à ce que j’ai traversé : je dis généralement que j’ai pris un peu de temps pour moi, puis, que j’ai testé le freelancing, mais que comme cela n’a pas été concluant, je souhaite m’installer dans une entreprise sur la durée. »

4. L’art et la manière de raconter

Expliquer ce qu’on a fait c’est bien, mais il faut aussi savoir ce que l’on veut raconter de sa recherche d’emploi pour le faire à son avantage. Pour mettre toutes les chances de son côté, il faut préparer sa communication et amener cette période sur la table de manière positive. « On peut expliquer qu’on a mené des projets même si ce n’est pas professionnel, qu’on s’est occupé d’un parent malade, qu’on a retapé une maison, passé le permis, s’est formé sur un logiciel, ce qui nous a amené à développer telles compétences… Mais attention, si vous dites que vous en avez profité pour partir en vacances, cela ne sera pas aussi bien perçu, que si vous dites être allé en Angleterre pour y apprendre la langue. Cela permet d’éliminer d’emblée le soupçon de profiter du système qui pèse sur les personnes recevant des aides, et de dire qu’on a utilisé le temps libre à côté de sa recherche pour mener des projets. Bref, il y a l’art et la manière de raconter. »

Melody a d’ailleurs opté pour ce storytelling : « Je pars du principe que quand je cherche un emploi et que j’annonce être au RSA, ça ne vend pas de rêve. À partir de là, je me dis qu’il faut que je bluffe en entretien. Je prépare un storytelling, où je ne mentionne à aucun moment mon statut. Car ça ne regarde pas les recruteurs, et moi, je sais que je suis en action. Je parle d’abord de mes accomplissements, de mes soft skills, de ce qui me motive pour l’avenir. Je n’ai jamais dit “je suis au chômage”, mais plutôt, “j’ai développé un projet de film documentaire, mené une campagne de crowdfunding…”. En fait, j’ai sélectionné les informations qui me paraissaient séduisantes pour le recruteur. » Pour vous aider, n’hésitez pas à vous entraîner et à préparer un pitch.

5. Ne paniquez pas

Lorsqu’un recruteur demande ce que vous avez fait durant votre période de chômage ou de RSA, le but est aussi de vous déstabiliser, explique Cécile Pichon. « Le recruteur veut percevoir certaines informations. Par exemple, est-ce que vous cherchez activement un emploi depuis six mois et n’obtenez que des refus ? » Si raconter la vérité de manière sincère est recevable, pour paraître plus attractif sur le marché de l’emploi, la psychologue et coach incite à ne pas avoir l’air trop en panique. « Un candidat trop stressé, qui se met trop de pression, qui explique qu’il a postulé à 150 offres par semaine, ce n’est pas vendeur. Il vaut mieux dire “J’ai eu des propositions mais elles ne correspondaient pas à mes critères”, cela montre que d’une part votre profil intéresse les employeurs, mais aussi que vous savez ce que vous voulez. Ou encore dire que vous avez pris du temps pour vous et débutez à présent votre recherche d’emploi, cela montre que vous êtes tellement serein sur votre profil que vous vous êtes autorisé une pause. »

« Une recherche d’emploi dure en moyenne six mois pour les professions cadres », rappelle Cécile Pichon. Alors, ne pas trouver de travail, si on ne bosse pas depuis quatre mois, cela reste dans la statistique. Aujourd’hui, beaucoup de raisons justifient le fait d’être au chômage ou au RSA et si des stéréotypes négatifs continuent d’entourer les bénéficiaires, il est bon de rappeler qu‘un tiers des inscrits à Pôle emploi travaille en activité réduite ou que le montant moyen mensuel de l’allocation chômage est à 1275 euros bruts (Pôle Emploi juin 2022) et oscille autour de 600 euros pour les RSA. De même, près de la moitié des allocataires reprend une activité trois mois après le début de son indemnisation et ajoutons enfin, que le chômage est un droit qui nécessite d’avoir travaillé et cotisé afin d’être exercé. Alors, lors d’un entretien d’embauche, il ne sera pas tant question de vous justifier que d’être au clair avec vous-même et avec vos attentes, pour montrer que finalement, cette période n’est pas un sujet.

Article édité par Gabrielle Tremblay, photo Thomas Decamps pour WTTJ

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