L’auto-stage : entreprendre au lieu de faire son stage, c’est possible ?

18 nov. 2021

5min

L’auto-stage : entreprendre au lieu de faire son stage, c’est possible ?
auteur.e
Anton Stolper

Journaliste freelance

Avec la pandémie, 2020 et 2021 ont été des années noires pour bon nombre d’étudiants qui ont eu du mal à trouver des stages. Et pourtant, ce passage volontaire ou obligatoire est un composant essentiel de la formation professionnelle : découvrir le monde du travail, intégrer une équipe, faire ses preuves, bref, le début de la vie d’adulte. À moins qu’il ne puisse être remplacé…?
En février dernier, le gouvernement publiait une circulaire dans laquelle on découvrait plusieurs solutions pour faciliter l’obtention de stage en période de crise sanitaire. Celles-ci comportaient un assouplissement des règles autour des stages mais aussi une possibilité qui interrogeait : celle pour les étudiants de faire un “auto-stage”. Les étudiants pourraient ainsi effectuer un stage dans leur propre entreprise… Mais était-ce bien nouveau ?

Faire un auto-stage, à quoi ça rime ?

En 2014, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche avait en réalité déjà financé la création d’un réseau national de structures rattachées à des établissements d’études supérieures pour aider les étudiants dans leur projet entrepreneurial : le dispositif Pépite. Au-delà de l’accompagnement personnalisé et la mise à disposition de locaux, ce dispositif permet aussi de consacrer les périodes de stage au développement de son propre projet.

Depuis 2014, Paul Nissen est chargé de l’entreprenariat à l’antenne Pépite au sein de l’Université PSL. Il nous explique le but de ce dispositif : « Dans les pôles Pépite, le but est l’apprentissage des compétences pour l’entreprenariat. Quand un étudiant vient vers nous avec ce désir d’entreprendre, nous le conseillons et l’aidons à développer son idée. Si nous rencontrons un étudiant motivé, sérieux et avec un projet qui a un réel intérêt, il y a la possibilité de faire une substitution de stage où l’étudiant travaillera sur son projet d’entreprise. »

Et comme il s’agit d’une “substitution de stage”, aucune convention de stage ne doit être signée, ce qui facilite la démarche administrative en évitant l’obligation légale d’une couverture médicale pour les étudiants. Pour autant, une fois dans le programme, le déroulé est proche de celui d’un stage classique. Attention donc aux filous qui y verraient une occasion d’éviter les stages obligatoires pour aller en vacances à l’autre bout du monde. Ces étudiants entrepreneurs sont suivis de près tout au long de leur période de stage via des rendez-vous réguliers avec leur conseiller et des points d’étapes qui sont fixés en fonction de l’avancement du projet de l’étudiant détaille Paul Nissen. « Nous continuons à suivre nos étudiants pour être sûrs qu’ils travaillent mais aussi pour les accompagner. S’ils ont des questions par rapport à la gestion de clients, le marketing, ou tout autre interrogation liée à l’entrepreneuriat, nous sommes là pour les aider. »

À la fin du stage, malgré sa particularité, il reste tout de même une évaluation comme pour un stage classique : « Les étudiants devront rendre un rapport de stage ainsi que passer une soutenance pendant laquelle ils expliqueront leur projet et détailleront les difficultés et les avancées effectuées pendant la période. »

Stagiaire et tutrice de stage en même temps

Clothilde Perez fait partie de ces étudiants qui ont choisi de se consacrer à leurs propres structures. Ingénieur chimiste formée à Chimie ParisTech, membre de PSL, elle souhaitait effectuer sa propre transition écologique mais ne sachant par où commencer, elle s’est mise à chercher une aide, qu’elle ne trouva pas suffisante. C’est ainsi que lui vient l’idée de lancer sa propre entreprise : Koya, une boîte qui assiste les particuliers à effectuer leurs transitions écologiques. « Au début, j’étais accompagnée par des externes, puis je me suis rapprochée de mon école en demandant si je devais faire une césure ou s’il y avait moyen d’adapter ma troisième année pour faire de la place à Koya. Et là on m’a parlé de Pépite. » C’est comme ça que Clothilde commence sa vie d’étudiante entrepreneure. En février 2020, elle commence son stage chez Koya, sa propre boîte. « Avec ce statut d’étudiante entrepreneure, il était possible de faire un stage en ‘création d’entreprise’, et ça m’a permis de travailler pour moi-même à temps plein. Il fallait se gérer complètement, même si j’avais un mentor et l’accès aux locaux de Pépite. En plus j’y allais beaucoup donc ils savaient que je n’étais pas en vacances à l’autre bout du monde. Ils ont vu que je bossais à fond. »

Qui plus est, une alternance dans un grand groupe en deuxième année de fac avait refroidi l’étudiante au monde de l’entreprise : « J’ai eu une expérience de management assez catastrophique dans les cosmétiques. J’ai fait partie d’une équipe avec un manager qui mettait une pression intense sur tout le monde qui se rapprochait de temps en temps à du harcèlement. Ça m’a totalement dégoutée de ce monde et du management. Être dans ma propre structure m’a permis d’éviter tout ça ainsi que d’assimiler tous les outils liés à l’entrepreneuriat. Il y a une autonomie maximale, personne pour dire ce que va être la prochaine tâche, pas de chef. J’ai même rapidement pu embaucher mes premiers stagiaires. J’étais à la fois stagiaire et tutrice de stage », dit-elle en rigolant.

Un problème de taille : l’argent

Comme à PSL, l’ESSEC reconnaît depuis longtemps les expériences entrepreneuriales. « Nous estimons depuis longtemps qu’un étudiant qui travaille sur son projet équivaut à une expérience professionnelle », explique Agnès Zancan, Responsable du Pôle Expérientiel Entreprises chez l’ESSEC. Comme à la PSL, les projets des étudiants doivent d’abord être validés : « Il faut que l’étudiant soit dans une démarche entrepreneuriale. Il faut qu’il se fixe des objectifs, qu’il ait effectué des études de marché, il ne faut pas que ce soit juste une idée. » Autrement dit, un étudiant ne peut entamer un “auto-stage” sans un projet qui tienne la route.

L’auto-stage a-t-il pour autant été un recours à la pénurie de stage comme l’annonçait la circulaire du gouvernement ? Rien de moins sûr. L’ESSEC n’a pour sa part, remarqué aucune hausse d’intérêt à la création d’entreprise ou le désir de passer la période de stage dans sa propre boîte durant cette période. Cependant, avec ce mode de stage en autogestion dans sa propre structure, les étudiants entrepreneurs sont parfois confrontés à un problème de taille, rendant la période de stage au sein de leur boîte difficile : l’argent. Étudiant en marketing à la Kedge business school, Timothé Chevalier Ruiz s’est lancé dans l’entreprenariat en lançant sa marque de vêtements Orbos. Mais se consacrer au développement de son entreprise en y effectuant un stage sans revenus garantis était trop périlleux. « Pour injecter de l’argent dans ma boîte, il m’a fallu trouver une activité parallèle. C’est pour ça que j’effectue un stage en tant que business développeur dans une autre entreprise dans le même temps. » De quoi continuer à bâtir Orbos, mais aussi de diversifier ses enseignements : « Je suis ravi de pouvoir faire des stages en parallèle, ça me permet d’apprendre en entreprise, de voir comment fonctionnent les équipes, de comprendre le démarchage et la prospection, ça rassemble pleins d’outils que je peux ensuite appliquer à ma boîte en temps réel ! » Et si possible, la prochaine fois, Timothé aimerait bien effectuer son stage au sein de sa propre boîte.

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Photo par Welcome to the Junlge
Édité par Manuel Avenel