Laura Flessel : « Arrêter sa carrière sportive est un deuil »

13 déc. 2021

7min

Laura Flessel : « Arrêter sa carrière sportive est un deuil »
auteur.e
Clémence Lesacq Gosset

Editorial Manager - Modern Work @ Welcome to the Jungle

Tous les ans, 7 000 sportifs et sportives de haut niveau raccrochent définitivement leurs tenues. Bien loin des soutiens médiatiques dont bénéficie une petite poignée, la majorité n’a que très peu de diplômes en poche, et la reconversion s’avère souvent un passage compliqué. Comment passer d’un quotidien de passion à un métier épanouissant ? Pour accompagner ces femmes et ces hommes, et parce qu’elle a elle-même vécu le “deuil” et la nécessaire acceptation de la retraite sportive, la quintuple médaillée olympique Laura Flessel a co-créé “Sport Excellence Reconversion” (Groupe ACE Education), une école qui leur est dédiée. Au programme : trois filières et un accompagnement hyper-personnalisé, pour coller au mieux aux agendas des sportifs·ves en cours de carrière ou retraités. Entretien passionné.

Pourquoi vous être lancée dans la création de cette école ?

Je pense que le commencement de tout ça, c’est que j’ai moi-même vécu le double projet (le fait de mener des études ou un métier en parallèle d’une vie sportive NDLR), et que j’ai vu mes coéquipiers et mes amis dans d’autres disciplines sportives réussir plus ou moins facilement ce double projet puis une reconversion. De fait, en tant que sportif de haut niveau, on a cette obligation de suivi, mais quand on regarde les chiffres, plus de 7 000 sportifs de haut niveau - amateurs et professionnels - mettent fin à leur carrière tous les ans. Et dans cette population, on a 40% d’Infra-Bac. Pour les médaillés, les sportifs médiatiques, oui il y a le réseau qui peut aider pour une reconversion. Mais pour la majorité, qui ne sont pas connus, c’est très compliqué. Il y a toute une population qui est en demande, parfois en précarité. Et moi, pour aider cette communauté-là, il y avait ce projet d’école dans lequel je voulais m’investir.

Cette nouvelle école s’appelle “Sport Excellence Reconversion” (SER). Quelle est la philosophie derrière ce projet ?

On part vraiment de la compétence de chaque sportif. Il faut savoir que la majorité d’entre eux ont décroché au cours de leur cursus scolaire, au niveau du Bac ou de la Licence. Par contre, ces sportifs portent en eux leur expérience, la vision du sport, l’excellence… Toute cette plus-value, il faut la transformer pour l’adapter à la vie professionnelle. Donc on commence par un diagnostic de fond pour connaître le profil, valoriser les acquis et comprendre les envies. Moi par exemple, j’aimais faire de l’escrime, j’étais bonne escrimeuse, mais je n’aurais pas aimé me reconvertir en maître d’arme (en coache d’escrime, NDLR) ! On propose souvent des raccourcis aux sportifs, alors qu’on peut leur ouvrir le spectre : il existe des métiers du tourisme, de la mode, de l’hôtellerie, qui en plus sont en tension… pourquoi ça ne serait pas ça, aussi, leur reconversion ?

SER propose d’ailleurs trois univers (Sport management / Tourisme et luxe / Design), pourquoi ceux-ci particulièrement ?

Ce sont les trois univers que proposait déjà le Groupe ACE, avec qui nous avons monté cette offre supplémentaire dédiée aux sportifs. Cela leur permet d’avoir accès à de vrais programmes pédagogiques, pour qu’ils n’abandonnent pas comme moi j’ai abandonné après le DUG car je me suis dit que sinon le CAPES allait tomber en même temps que l’année des Jeux olympiques… Vu l’agenda très spécifique des sportifs, il faut que le temps devienne un acteur valorisant et non pas stressant. En fonction de leur capacité et de leur agenda du moment, les sportifs assistent aux cours dans nos différents campus en France, ou suivent les cours à distance. C’est important de pouvoir être agile, car un sportif peut très bien devoir partir en stage en Nouvelle-Zélande pour un temps !

« C’est sûr que quand on tombe dans le haut niveau, oui, derrière on rêve de médailles donc on se donne à fond ! Mais l’histoire a montré que les reconversions sont souvent compliquées donc il faut s’y atteler doucement » - Laura Flessel

Lundi 15 novembre, vous avez accueilli votre première promotion, qui sont celles et ceux qui la composent ?

Notre première promotion compte 10 personnes (trois femmes et sept hommes) aux profils très variés : nous avons un jockey qui a près de 1 800 victoires à son actif, des champions olympiques, des médaillés, de la natation, du foot, de l’escrime… Et notre seconde promotion de 10 personnes va être lancée dans la foulée, avec un peu plus de femmes. En fait, comme nous sommes dans l’ingénierie individuelle, nous lançons plusieurs promotions à la suite, par groupe de 10. Chacun a un programme personnalisé qui va de 60 à 240 heures maximum. Nous sommes vraiment dans la certification et la diplomation.

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Vous qui connaissez l’exigence que requiert le sport de haut niveau, pensez-vous réellement que cela soit compatible avec le fait de mener des études en parallèle ?

Disons qu’on priorise. Il y a un temps pour le parcours professionnel, un temps pour le parcours sportif. Un sportif de haut niveau est obligé de suivre les deux, déjà parce qu’on n’est jamais à l’abri d’une blessure… Alors oui vous avez raison, c’est très complexe, mais c’est pour ça que SER se veut une des solutions qui permet d’offrir une diversité de métiers-passions à des sportifs qui peuvent être dans l’excellence comme en fin d’excellence.

Mais c’est difficile non, de se projeter dans autre chose quand on est passionné par son sport ?

Encore une fois, il y a un temps pour tout. Quand j’avais 16 ans je rêvais d’être “Championne de tous les temps”, et en même temps je pensais déjà à une reconversion car ma mère me disait : “attention, l’escrime ne paie pas !” Je connaissais le monde sportif, je savais que mon sport n’était pas un sport médiatique, que je n’en vivrais pas, et que donc il allait falloir prévoir… Après c’est sûr que quand on tombe dans le haut niveau, oui, derrière on rêve de médailles donc on se donne à fond ! Mais l’histoire a montré que les reconversions sont souvent compliquées donc il faut s’y atteler doucement, agilement ; et c’est pour ça qu’avec SER on ne part pas sur un programme de “autant d’années” mais sur une addition de compétences. Cela va amener de la sérénité parce que sur le CV il y aura la liste de ces compétences pour les entreprises.

Sur ce sujet des entreprises, selon Richard Hullin votre co-fondateur, celles-ci sont en recherche de profils de sportifs de haut niveau. Pourquoi selon vous ?

Aujourd’hui, à diplôme égal, les entreprises regardent la spécificité de la personne qui est en face. Les Ressources humaines s’attardent souvent sur un sport pratiqué ou sur les engagements civiques de la personne… Et avec les sportifs de haut niveau on a tout ça : l’engagement, la notion d’excellence, la dureté de se réveiller tôt, l’analyse et le respect des contraintes, l’anticipation, l’esprit d’équipe et du leadership etc. Tout ça, ce sont des qualités qu’on peut amener dans l’entreprise et qui sont très recherchées. Nous, à ces qualités, nous apportons la connaissance de l’entreprise, sa sémantique, pour que les sportives et sportifs s’y adaptent.

« Si on n’arrive pas à redonner du sens dans sa deuxième vie, cela peut être très compliqué. On a vu des arrêts de carrière qui sont tombés dans l’addiction, la dépression… » - Laura Flessel

Vous témoignez de votre propre difficulté lors de votre reconversion… Auriez-vous aimé avoir accès à une telle école à l’époque ?

J’aurais adoré… Cela aurait amené davantage de sérénité sur la fin de mon parcours sportif. Parce que quand on donne plus de 30 ans de sa vie à une discipline - j’ai commencé à cinq ans et j’ai arrêté à 40 ! - vous vivez un deuil, un véritable déchirement quand ça s’arrête… Donc si on n’arrive pas à redonner du sens dans sa deuxième vie, cela peut être très compliqué. On a vu des arrêts de carrière qui sont tombés dans l’addiction, la dépression…

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Il paraît d’ailleurs qu’à cinq ans, vous saviez déjà que vous vouliez devenir escrimeuse, c’est vrai ?

Oui ! Nous étions deux garçons et deux filles à la maison, donc ma mère voulait qu’on fasse du foot d’un côté et de la danse de l’autre ; mais moi je ne voulais pas faire de la danse. J’étais plutôt garçon manqué, avec les genoux toujours écorchés ! Un jour j’ai vu une rétrospective de sabre et ça a été le coup de foudre. J’ai dit à ma mère : “un jour, je serai championne du monde et de tous les temps”. Elle m’a répondu : “Déjà, pratique.” (Rires)

C’était quoi, vous, votre “double-projet” ?

L’escrime étant un sport amateur, je ne gagnais pas d’argent avec et je travaillais en parallèle dans le développement du tourisme d’affaires. Et mon “triple-projet” ça a été d’être maman ET sportive ! (Rires) Mais j’avais et j’ai toujours un bon mari donc tout s’est bien passé ! Je crois que j’ai eu de la chance quelque part. J’ai toujours été entourée par une famille aimante : mes parents m’ont laissé faire de l’escrime, j’aimais cette discipline, j’ai rencontré des gens qui ont cru en moi…

Vous avez été ministre des Sports de mai 2017 à septembre 2018. Si vous aviez suivi le cursus de votre nouvelle école, vous auriez tout de même choisi de vous reconvertir dans la politique ?

Je le dirais autrement. Quand on réussit dans le sport, on rencontre énormément de gens engagés, on confronte des idées… Pendant ma carrière j’ai voyagé, je suis allée sur le champ humanitaire et associatif, j’ai beaucoup donné de la voix pour l’égalité, contre toute forme de discrimination (sexisme, racisme, religieux etc.), je me suis aussi beaucoup engagée pour les femmes en Afrique et dans les Outre-mers… Donc forcément, ça touchait à la politique.

Par rapport à d’autres sportifs·ves, vous sentez-vous chanceuse de votre reconversion ?

Ici je ne dirais pas “chanceuse”… Je suis une éternelle insatisfaite donc je peux toujours mieux faire ! (Rires)

Aujourd’hui vous êtes “Directrice d’école”… Est-ce que vous auriez un jour envisagé que ce serait votre métier ?

J’en rigole un peu parce que dans ma famille il y avait beaucoup d’enseignants ! Ma maman était en philosophie à l’Université puis professeure des écoles, mon père météorologue et ma grand-mère donnait des cours à domicile… À un moment j’avais moi-même envisagé le professorat d’éducation physique ! Au final dans ma personnalité il y a vraiment cette filiation de la transmission, et l’envie de l’excellence.

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Photos Sabrina Mariez pour Welcome to the Jungle

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