Ichon : « Le travail collectif te pousse à ne pas être celui qui ne fait rien »

29 mars 2023

7min

Ichon : « Le travail collectif te pousse à ne pas être celui qui ne fait rien »
auteur.e
Romane Ganneval

Journaliste - Welcome to the Jungle

contributeur.e

Dépasser sa timidité, avoir le sens de la camaraderie, être culotté, assumer son ambition… Autant de soft skills qui sont de plus en plus recherchées dans le monde du travail. Dans cette série d’interviews « apprenez des meilleurs », des personnalités nous racontent à travers leur parcours professionnel comment ils se sont illustrés sur une compétence-clé et quelles leçons ils en tirent. Prenez-en de la graine pour briller au bureau en toutes circonstances !

Membre du collectif Bon Gamin depuis son adolescence, le rappeur-chanteur Ichon prépare actuellement son deuxième album solo pour la fin d’année. Aujourd’hui, il nous raconte comment sa bande de potes l’a aidé à se lancer dans la musique, à persévérer quand le succès tardait à venir, mais aussi pourquoi il a eu besoin de s’en éloigner pour mieux trouver sa place. D’après son expérience, si la camaraderie est une bonne parade à la survalorisation de la réussite personnelle dans notre société, elle ne doit pas se faire au détriment de l’identité.

Depuis tes débuts, tu fais partie de Bon Gamin, un collectif qui regroupe des artistes comme Loveni, Myth Syzer, les peintres RDLS, les designers de Coursaint, le champion de MMA Cyril Gane… C’est quoi l’intérêt de travailler à plusieurs ?

Ichon : Si je devais résumer ce que m’a apporté le groupe, sans lui je n’aurais peut-être pas fait de musique. Donc, tout.

Être membre d’un collectif, ça a toujours été important pour toi ?

Oui et non. Depuis que je suis petit on a l’impression que j’ai confiance en moi et pourtant, j’ai toujours eu besoin d’être validé. Je dis ça aujourd’hui après quelques années de thérapie ! (Rires) Si on va plus loin dans l’analyse, je pense que ce besoin irrépressible de plaire vient du fait que j’appartiens à plusieurs milieux en même temps. La ville où j’ai grandi, Montreuil, est un bel exemple de ce que je représente : dans les années 1990, c’était un lieu cosmopolite où des grandes entreprises comme Air France ou Natixis avaient des sièges à quelques rues de foyers maliens. J’appartiens à la banlieue, j’en ai les codes et en même temps, comme je me suis fait virer de nombreuses écoles, je suis aussi passé par des établissements privés à Paris. À chaque fois, c’était la même chose, j’arrivais dans une école où les groupes étaient déjà constitués et il fallait que je me fonde dans la masse pour me faire accepter. Après, si j’ai toujours voulu faire partie du groupe, ce n’est pas seulement pour ne plus être seul, mais parce que j’aime les gens.

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Mais là tu parles de groupes d’amis, pas encore de collectif d’artistes. Et en même temps dans le rap, on a l’impression que les deux sont toujours liés. À quel moment Bon Gamin a évolué en ce sens ?

Il est important de rappeler que Bon Gamin, c’est avant-tout une bande de potes. D’ailleurs, pour la petite histoire, le nom vient de Loveni que son grand frère appelait comme ça. On a tous trouvé que ça nous représentait bien, qu’on était des « bons gamins », et on a commencé à se faire appeler comme ça. Concernant la musique, le rap a toujours fait partie de nos vies, chez moi, ma mère et mon frère en écoutaient. Puis, vers onze ans, Loveni a commencé à en faire et on a suivi. Pendant notre adolescence, on trainait beaucoup, parfois on rappait, à d’autres moments, on faisait des barbecues, on organisait des fêtes. Avec le temps, la musique a pris le dessus. Mais si les autres ne s’y étaient pas mis, j’aurais peut-être fait autre chose. Quand j’étais jeune ce que j’aimais le plus c’était les femmes et l’argent, pas la musique. Oui, j’étais un peu con.

Est-ce que pour toi, le rap c’est quelque chose qui existe seulement en groupe ?

Ça peut sembler étrange de dire ça aujourd’hui, mais je ne pense pas. Travailler en collectif, c’est génial parce que ça te pousse à agir et à te dépasser pour ne pas être celui qui ne fait rien. Chacun participe comme il peut, essaie de trouver sa place, tâtonne et parfois ça marche. Ça t’aide aussi à être patient, à persévérer quand la reconnaissance n’arrive pas tout de suite. Mais si les autres m’ont beaucoup inspiré, je me suis aussi rendu compte des limites du groupe ; comme je suivais un peu le mouvement, je ne prenais pas le temps de savoir qui j’étais et ce que j’avais à dire. Finalement, pour écrire quelque chose qui me touchait vraiment, j’ai eu besoin de me retrouver seul.

« Travailler en collectif, c’est génial parce que ça te pousse à agir et à te dépasser pour ne pas être celui qui ne fait rien »

Il y a eu un moment de rupture ?

Fort. Même si j’ai toujours essayé de me fondre dans la masse, j’ai toujours été le mec différent, bizarre qui avait des bandes de potes qui n’avaient rien à voir les unes avec les autres et qui avait des références assez contradictoires. Musicalement aussi, je voyais que ma manière d’écrire, mes idées d’instru ne collaient pas toujours avec celles des autres membres de Bon Gamin. À un moment, l’incompréhension était si importante que je me suis rendu compte que les autres n’étaient plus en capacité de me suivre et qu’il fallait que je prenne mes distances. On est toujours restés potes, mais pendant quelque temps, j’ai décidé de travailler dans mon coin. Après, je ne suis pas le seul à avoir eu besoin de recul ; comme il n’y a pas de leader dans notre collectif et qu’il est hors de question d’imposer quoi que ce soit aux autres, on a tous fini par faire nos trucs chacun de notre côté.

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Aujourd’hui, le collectif c’est terminé pour toi ?

Non, on est toujours une bande de potes. On essaie encore de travailler ensemble, même si c’est toujours aussi compliqué ! (Rires) Peu importe où la vie nous mène, je sais que je suis un Bon Gamin à vie. Sans mes gars, je n’aurais rien fait et ça doit continuer à exister, au moins pour la beauté du geste. Je trouve ça trop beau cette camaraderie qui est née quand on avait onze, douze ans et qui nous rassemble encore vingt ans plus tard.

Est-ce que le succès a changé quelque chose entre vous ?

Je dirais que ça a été positif, ça a tiré le collectif vers le haut. À un moment, Myth Syzer a été celui qui a eu le plus de succès, mais comme il n’arrivait pas à aller sur scène tout seul, on est tous venu avec lui et on l’a soutenu. Après, j’ai été celui qui s’est retrouvé dans la lumière et j’ai fait ce que je pouvais pour que ça pousse les carrières des autres. Ce n’est pas un hasard si tu trouves Loveni sur mon album, si je suis invité sur celui de Myth Syzer… On est toujours là les uns pour les autres.

Dans la musique comme dans n’importe quel secteur, la société semble valoriser l’individu au détriment du collectif, qu’en penses-tu ?

Dans le titre Litanie, je parle du fait qu’on est devenu beaucoup trop individualistes. On ne s’écoute plus vraiment, on parle de notre nombre de streams (d’écoutes, ndlr) et de plein de choses superficielles… Après, ce n’est pas forcément négatif d’être égoïste. Être égoïste signifie être tourné sur soi et donc tout faire pour assouvir ses besoins. Il faut pouvoir satisfaire ses besoins primaires pour ensuite être disponible pour les autres. Je dis souvent à ma copine que c’est comme dans l’avion quand tu écoutes les consignes de sécurité. Ça peut sembler fou, mais tu dois d’abord mettre ton masque à oxygène avant de sauver ton enfant et la personne que tu accompagnes. Qu’est-ce que ça signifie ? Prends ton air, fais ton truc à toi et après sois-là pour les autres. Le problème, c’est que les gens ne pensent qu’à leurs besoins et oublient totalement le collectif. Moi, je suis autant égoïste qu’empathique. J’aime me retrouver seul pour écrire, mais j’ai aussi besoin d’être entouré et de m’enfermer à plusieurs en studio pour partager des émotions.

« Tu dois d’abord mettre ton masque à oxygène avant de sauver ton enfant et la personne que tu accompagnes. Qu’est-ce que ça signifie ? Prends ton air, fais ton truc à toi et après sois-là pour les autres »

Pourquoi ressens-tu le besoin d’être entouré en studio ?

La musique c’est vivant, ça doit rebondir sur d’autres pour dire quelque chose qui nous dépasse. C’est comme quand tu joues au ballon, on se fait des passes pour marquer un but. Le meilleur joueur du monde ne pourra jamais battre toute une équipe et c’est très bien ainsi. On ne va pas partir dans des explications compliquées de physique ou de chimie, mais disons que la musique ça se partage fort. Et d’ailleurs, si une personne parle d’un sentiment dans une chanson, il y a de grandes chances qu’une autre ressente la même chose. C’est aussi pour cette raison que la plupart de mes morceaux sont nés après des jams. En studio, chacun est libre de venir ajouter son grain de sel au morceau qu’on joue et d’improviser.

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Si je comprends bien, pour être dans une bonne dynamique collective, il faut bien choisir les moments où tu es avec les autres ?

Tu ne peux pas être tout le temps en groupe parce qu’à un moment ça devient contre-productif et tu commences à tourner en rond. C’est un peu pour cette raison que je suis parti de Paris. Comme je n’arrivais pas à dire non aux verres, aux clips, interviews, sessions studio…, je ne prenais pas le temps de faire mon truc à moi. À 26 ans, j’ai donc décidé de me mettre un cadre : j’ai arrêté de boire, de prendre des drogues, j’ai limité ma consommation de café à trois par jour, j’ai fait du sport et je me suis vraiment mis au piano. On est tous nos chefs d’entreprise à notre petite échelle et c’est à nous de gérer les moments où on doit prendre des pauses ou au contraire retrouver le groupe. Mettre des barrières, ça te permet d’être vraiment présent aux autres quand tu es là et donc de mieux trouver ta place.

« Mettre des barrières, ça te permet d’être vraiment présent aux autres quand tu es là et donc de mieux trouver ta place »

C’est quoi le secret pour que tout le monde trouve sa place dans un collectif ?

Pour que ça marche, il faut que tout le monde s’écoute et sache un minimum qui il est. Imagine que je veuille faire un collectif et que nos goûts soient totalement incompatibles, on va finir par se perdre. C’est pour ça qu’avant de se lancer, il faut être un minimum introspectif, savoir ce que chacun aime, ce qu’on est capable de faire. C’est un travail que je n’ai pas fait parce que je n’ai jamais vraiment voulu être rappeur ou faire de la musique avant que les autres ne se lancent. Et même si le groupe me poussait à faire des choses, j’étais toujours dans l’urgence. Je ne prenais pas suffisamment le temps de réfléchir à ce que je faisais. Après, je sais que certains membres du collectif sont assez nostalgiques de cette époque.

Et toi, ça ne te manque pas le groupe de tes débuts ?

Maintenant que j’ai fait la paix avec moi-même, que je me suis trouvé, j’apprécie de nouveau de travailler en groupe. C’est aussi pour cette raison que là où je vis à la campagne, j’ai acheté pleins d’instruments pour que tout le monde puisse venir jouer. Pour répondre à ta question, je ne suis pas nostalgique d’une période en particulier, mais de certains potes dont je me suis éloigné et peut-être aussi d’une certaine insouciance que l’on ressent seulement quand on est très jeune. Après, ça peut sembler bizarre, mais j’aime aussi prendre de l’âge. Avec le temps, tu accumules du savoir, tu te trouves, tu affines ton tir qui devient de plus en plus juste, tu n’as plus peur de te faire rejeter et tu n’as plus rien à prouver. Je dirais qu’avec le temps, on devient tous plus forts !

Article édité par Gabrielle Predko ; Photographie de Thomas Decamps


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