Afterworks : « C'est parfois difficile de justifier qu'on ne boit pas d'alcool »

16 mai 2022

4min

Afterworks : « C'est parfois difficile de justifier qu'on ne boit pas d'alcool »
auteur.e
Joanna York

Journalist

Pour beaucoup d’entre nous, la démocratisation du télétravail a été l’occasion de redéfinir le quotidien. La culture de bureau a cédé la place à la culture du travail à la maison, qui nous offre davantage de liberté sur l’organisation de nos journées et la manière dont nous voulons vivre et travailler. Si des études ont montré que la consommation d’alcool a grimpé un peu partout dans le monde durant la pandémie, certainˑes ont au contraire profité du confinement et de ces semaines hors de leur environnement social habituel pour lever le pied, ou même procéder à un sevrage total. Nous sommes aujourd’hui nombreuxˑses à avoir repris le chemin du bureau et, avec lui, celui des sorties ou événements entre collègues, parfois bien arrosés. Comment reprendre ses marques dans un contexte professionnel où l’alcool est une habitude, un réflexe parfois, quand on a soi-même freiné ou stoppé sa consommation ? Témoignages de cinq salariéˑes outre-Atlantique, pour qui la reprise des afterworks et autres teambuilding s’est faite en mode modération parmi des collègues portés sur l’alcool.

Un collègue m’a proposé de l’argent si j’acceptais de boire

Katherine Brown, directrice marketing, Spokane, Washington

« Mes collègues font plutôt preuve de compréhension. Il y en a qui disent ne pas comprendre les raisons de mon choix, mais dans l’ensemble tout le monde le respecte… À l’exception d’une poignée de collègues qui, à chaque fois qu’on part en afterwork ou qu’on a un événement pro, essaient de me faire boire, en proposant de me payer un verre ou en me répétant que je ne vais pas tenir. J’ai même un collègue qui a voulu me donner de l’argent si j’acceptais de prendre un verre ! Aujourd’hui, j’évite autant que possible les sorties professionnelles où il pourrait y avoir de l’alcool, ou alors, si je n’ai pas le choix, je m’éclipse rapidement après avoir fait acte de présence. Quand ça se prolonge et que je me sens trop tentée, je tâche de me rappeler pourquoi j’ai arrêté de boire, ou j’appelle mon parrain, la personne qui me soutient dans cette transition, pour me motiver et avoir ses conseils. »

Il m’arrive de commander plus de plats qu’il n’en faut, afin que personne ne se sente obligé de consommer de l’alcool

Michael Knight, entrepreneur, Newport Beach, Californie

« Maintenant que les équipes sont de retour au bureau, on organise généralement quelque chose le vendredi en fin de journée. Je suis toujours de la partie, mais j’ai réduit ma consommation d’alcool depuis le début de la crise sanitaire. Pour l’instant, je m’y tiens : je ne dépasse pas un ou deux verres de vin. Et je bois chaque verre en prenant le temps, en me concentrant avant tout sur ce qu’il y a dans mon assiette. Il m’arrive de commander plus de plats qu’il n’en faut, afin que personne ne se sente obligé de consommer de l’alcool pour avoir une raison de rester. Quand les autres passent en mode insistance et veulent que je boive, je réponds fermement que non et je détourne leur attention sur autre chose. Je n’ai pas vraiment de mal à le faire : nous partageons tous plus ou moins la même position vis-à-vis de l’alcool, il n’y a personne pour me mettre trop la pression. »

Je fais souvent semblant, avec un verre de cocktail sans alcool à la main

Alejandro Uriarte, avocat, Miami, Floride

« J’ai arrêté de boire il y a environ trois mois, pour prendre davantage soin de ma santé. Mais j’ai un métier dans lequel le réseau compte beaucoup. Quand je sors, il y a généralement de l’alcool. Je me retrouve donc souvent à faire semblant de boire. Je vais au bar et je demande qu’on me prépare un virgin cocktail aux allures de vrai cocktail alcoolisé. Ou alors je me balade avec un fond de glaçons dans mon verre en disant que j’ai suffisamment bu pour la soirée. Je ne suis pas à l’aise avec le fait de parler de tout ça dans un contexte professionnel. Il y a bel et bien une pression à se conformer aux normes sociales et aux pratiques du milieu. Au bureau, j’ai dit que j’avais arrêté de boire dans l’objectif de perdre du poids. Ça fait descendre la pression, car tout le monde autour de moi a fait un régime un jour ou l’autre, ça passe bien. »

J’ai arrêté de boire, mes collègues ont fait l’inverse

Perry Knight, rédacteur en chef, Fort Lauderdale, Floride

« Avant la pandémie, on sortait entre collègues un vendredi sur deux. On buvait des coups et il me fallait à chaque fois quelqu’un pour me reconduire chez moi. Le jour où j’ai été testé positif au Covid-19, j’ai décidé de ne plus boire. Depuis que nous sommes revenus au bureau à temps complet, je dois avouer que c’est plus difficile que prévu. Parfois, j’ai la sensation d’être en décalage total, que c’est un peu étrange d’avoir arrêté de boire quand mes collègues ont pris la pente dans l’autre sens. Ils comprennent mon choix, mais ça ne les empêche pas d’insister – il m’arrive de devoir avaler un shot juste pour qu’ils me lâchent. Mais je suis loin, très loin de boire autant qu’avant. Et ma stratégie est désormais toute trouvée : c’est moi le capitaine de soirée, je prends le volant quand les autres ont trop bu. C’est un bon moyen de maintenir le lien social entre collègues, en évitant de subir une quelconque pression, comme c’est moi qui conduis. »

Dès que je dis que je ne bois pas, j’ai droit à mille questions

Carrie Foley, courtière en immobilier, Naperville, Illinois

« J’ai complètement arrêté de consommer de l’alcool quand je suis passée au télétravail, parce que cela ne me servait plus à rien. Quand j’explique ça autour de moi, je crois que ça interpelle les gens, qui se demandent à leur tour s’ils ne devraient pas dire stop à l’alcool. Je ne les juge pas, ils le font très bien tout seuls. La plupart des collègues qui m’ont souvent vue un verre à la main avant la pandémie ne comprennent pas. Lorsqu’on boude l’alcool à l’occasion d’une ou deux soirées parce que « Je dois me lever tôt demain » ou « Je suis venue en voiture », personne ne pose de question. Mais quand ça fait trois ou quatre fois, on a le sentiment de devoir davantage se justifier. C’est triste, mais j’en suis rendue à devoir répondre à des gens qui me demandent si je suis enceinte, si j’ai eu des problèmes avec l’alcool par le passé… Je n’ai jamais ressenti de pression sociale à boire plus que de raison, mais à boire tout court, oui. J’ai mes petits stratagèmes dans ce genre de cas, même si ça me paraît un peu idiot de devoir y recourir. Il m’arrive par exemple de passer déposer une bouteille façon vin blanc, mais sans alcool, avant l’heure du rendez-vous, de glisser un billet de 20 dollars à la personne derrière le comptoir en lui demandant de me servir de cette bouteille le moment venu. Si c’est plutôt ambiance bière, je demande une pinte de ginger ale et je la sirote tranquillement tout le reste de la soirée. »

Article traduit de l’anglais par Sophie Lecoq
Photo par Thomas Decamps