Comment contrer les « beaux parleurs » qui monopolisent la parole en réunion ?

May 02, 2024

7 mins

Comment contrer les « beaux parleurs » qui monopolisent la parole en réunion ?
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Sarah Torné

Rédactrice & Copywriter B2B

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« Il y en a qui parlent, qui parlent, jusqu’à ce qu’ils aient trouvé quelque chose à dire. » C’est avec ces mots que Sacha Guitry captait déjà l’essence des « beaux parleurs ». Ces orateurs hors pair qui, dans le monde du travail, nagent comme des poissons dans l’eau lors d’un rendez-vous singulier : les réunions. Quitte à laisser le reste de l’assemblée sur le bord de la route…

Ah les beaux parleurs. S’ils dominent les échanges avec une aisance presque théâtrale, charmant l’auditoire de leur verve, le contenu concret est parfois étonnamment mince derrière leur cascade verbale. Car dans les réunions, qui parle trop ne dit souvent rien. Pire, ces orateurs peuvent créer une dynamique de pouvoir déséquilibrée, monopolisant la parole au détriment d’autres voix qui méritent elles aussi d’être entendues. Ce phénomène peut donc non seulement rallonger les réunions sans avancer vers des résolutions claires, mais aussi étouffer la diversité des idées et, à terme, miner l’esprit de collaboration. Mais qui sont ces profils de « beaux parleurs » ? Pourquoi agissent-ils de la sorte ? Et surtout comment réagir face à eux ? Le réuniologue Louis Vareille et le coach d’équipe Pierre-Louis de Rohan Chabot nous dévoilent leurs tactiques pour rééquilibrer la barre et assurer que chaque idée ait sa place en réunion.

Reconnaître les « beaux parleurs » en réunion

Les signes qui ne trompent pas

En dépit de ce qu’on pourrait penser, aux yeux de Louis Vareille, « ce n’est pas toujours évident de repérer un beau parleur pendant une réunion ». Le vrai test est dans l’action (ou plutôt l’inaction) qui suit leurs interventions flamboyantes. Toujours selon notre expert, les beaux parleurs ont tendance à laisser derrière eux une traînée de promesses non tenues et de tâches non réalisées. « Le comportement déviant que je vois le plus souvent en réunion, c’est ce que j’appelle le “dominant”… C’est celui qui est plutôt éloquent, qui parle, mais qui ne fait rien », ajoute-t-il. C’est donc cette discordance entre les mots et les actions qui caractérise le discours inutile.
Par ailleurs, la réaction des autres participants peut servir, elle aussi, de baromètre. Les soupirs, les regards échangés ou les vérifications fréquentes des montres sont autant de signaux d’alarme indiquant que le discours n’engage pas ou n’est pas pris au sérieux.

Les motivations à l’oeuvre

Quant aux raisons qui motivent cette attitude de la part des beaux parleurs, Louis Vareille distingue différents cas de figure :

  • La gestion du stress : dans une réunion où les enjeux peuvent être élevés, monopoliser la parole permet à certains individus d’avoir la sensation de mieux contrôler la situation. Cette stratégie peut être inconsciemment utilisée pour calmer leur propre anxiété, en créant une illusion de compétence ou en déplaçant l’attention loin de leurs insécurités.

  • La structuration des idées : les plus extravertis notamment font de la parole un outil pour organiser leurs pensées. Une habitude qui n’est pas nécessairement malveillante, mais qui reflète une différence dans le traitement de l’information pouvant conduire à des monologues prolongés.

  • Le moyen de défense : une perception erronée du danger ou des enjeux de la réunion conduit alors à des réponses sur la défensive qui sont disproportionnées par rapport à la réalité de la discussion.

  • Le besoin de se faire valoir : il s’agit ici d’affirmer sa présence, son importance ou son statut au sein du groupe, dans l’état d’esprit de chercher à impressionner les autres.

  • L’illusion de participer : remplir le vide sans intention réelle de contribuer de manière constructive à la discussion, généralement pour masquer une préparation insuffisante, pour renforcer un point de vue déjà émis ou simplement en participant pour la forme.

Le poids des mots : comment la parole influence le pouvoir

Sous l’emprise des éloquents

Au cœur des réunions se cachent des dynamiques complexes, où la valorisation d’une parole peut parfois éclipser la substance des échanges. Ce qui n’est pas pour déplaire aux beaux parleurs. Néanmoins, il est crucial de reconnaître que ce rôle n’est pas toujours délibérément adopté, mais peut davantage découler d’une dynamique de groupe complexe et inconsciente. « Dans chaque équipe, il va y avoir celle qui sait toujours tout, le bouc émissaire, le sympa qui empêche les conflits, le comité des fêtes… Et chacun se tient à son rôle, car on pense que c’est nécessaire », illustre le coach d’équipe Pierre Louis de Rohan Chabot. Qu’ils soient conscients ou non, ces rôles contribuent à façonner les interactions au sein du groupe, créant une dynamique souvent difficile à briser. Parmi eux, celui du beau parleur émerge comme une figure centrale, souvent perçue comme nécessaire pour « mener » les discussions et guider l’équipe.

Ces rôles peuvent d’ailleurs devenir des zones de confort pour tout un chacun. Malgré leur nature dysfonctionnelle, ils offrent un sentiment de sécurité et de prévisibilité, même s’ils entravent souvent le fonctionnement global du groupe. Cette centralisation de la parole va aussi bénéficier aux dirigeants, en restreignant la diversité des perspectives et en limitant la portée des débats. Tant que le système global reste inchangé, les dynamiques de pouvoir restent concentrées entre les mains de quelques-uns. « De telles dynamiques favorisent la persistance des structures de pouvoir existantes et peuvent entraver l’innovation en réduisant la diversité des idées exprimées », alerte Louis Vareille à ce propos. Dit autrement, c’est un cercle vicieux où les mêmes voix dominent, les mêmes idées circulent et peu de place est laissée à la nouveauté ou au questionnement.

Les « petites voix » dans l’ombre des beaux parleurs

Typiquement extravertis, les beaux parleurs ont un talent indéniable pour capter l’attention, mais leur éloquence peut parfois coûter cher en termes de dynamique de groupe. « Les beaux parleurs prennent une part disproportionnée du temps de parole, ce qui limite inévitablement les contributions des autres membres de l’équipe. Ce phénomène conduit à une sous-représentation critique des perspectives variées au sein des groupes », souligne Pierre Louis de Rohan Chabot. Forcément, quand les mêmes voix tonitruantes résonnent dans les salles de réunion, les conséquences s’étendent bien au-delà de simples interruptions. Les personnes moins enclines à prendre la parole, souvent éclipsées par ces dominants, se retrouvent marginalisées, ce qui touche directement à la représentation des idées et des préoccupations au sein de l’équipe. Un problème de taille pour l’expert, tant la collaboration et la diversité des idées sont souvent la clé du succès : « C’est bien de savoir où on va, d’être assertif et donner la direction, mais ça ne laisse pas de place à la vulnérabilité, au questionnement, à l’alternative, au débat, à la polarisation dynamique. Or, instaurer du doute, de l’écoute, des incertitudes, à travers des petites voix moins formées ou moins expertes, c’est se donner toutes les chances d’identifier des solutions nouvelles. »

Pour le coach d’équipes, la problématique de cette dynamique est double :

  • La réduction de l’efficacité collective : peut-être l’un des impacts les plus critiques. En ne permettant pas à l’ensemble des membres de contribuer activement, les décisions prises risquent de ne pas refléter l’intégralité des perspectives disponibles au sein de l’équipe. « La monopolisation de la conversation par quelques individus peut réduire l’efficience des décisions, en omettant des perspectives potentiellement cruciales », commente Pierre-Louis de Rohan Chabot.

  • La compromission de la qualité des décisions prises : avec des discussions qui tournent en boucle autour des mêmes idées, véhiculées par les mêmes individus, le groupe entier risque de passer à côté d’informations vitales, nécessaires pour des choix éclairés et innovants. Cela limite non seulement le potentiel créatif de l’équipe, mais menace aussi sa capacité à résoudre les problèmes de manière holistique et efficace.

3 stratégies pour gérer les interventions des « beaux parleurs »

Comment alors sortir de ce cercle vicieux ? Louis Vareille et Pierre-Louis de Rohan Chabot nous partagent leurs stratégies pour gérer les beaux parleurs avant, pendant et après les réunions.

En amont de la réunion : préparation et anticipation

  • Connaître les participants : avant même le début de la réunion, il est crucial de comprendre les dynamiques de communication et d’identifier les « beaux parleurs ». Pour Louis Vareille, cette connaissance préalable permet « d’anticiper les défis potentiels, de reconsidérer la pertinence de leur venue en réunion, et d’adapter la stratégie de gestion de la réunion en conséquence. »

  • Communiquer ouvertement : pour ceux qui doivent être présents malgré leur tendance à monopoliser la parole, une communication franche en amont est essentielle. Le réuniologue conseille notamment de mettre l’accent sur l’intérêt collectif : « Je vais par exemple dire qu’à cette réunion, il y aura Véronique, qui est très réservée, et que j’ai envie de l’entendre. »

  • Établir des règles claires : avant la réunion, il est utile de communiquer les modalités de discussion envisagées, y compris la répartition équitable de la parole. Pour Pierre-Louis de Rohan Chabot, « des règles explicites et décrétées par le collectif » permettent de dénoncer le problème sans discréditer le beau parleur.

Pendant la réunion : modération active

  • Définir un temps de parole limité : pour instaurer un équilibre dès le départ, Pierre Louis de Rohan Chabot alloue à chaque participant un temps de parole défini en début de réunion. Cette méthode, non seulement garantit que chacun a l’opportunité de s’exprimer, mais incite également les individus dominants à condenser leurs idées.

  • Interrompre poliment les interventions excessives : Si malgré ces efforts, certaines personnes continuent à monopoliser la parole, une intervention polie peut recentrer la discussion, comme le propose Louis Vareille : « Merci mais j’ai l’impression qu’on s’éloigne du sujet. » Cette approche, tout en respectant les participants, permet de maintenir le focus de la réunion.

  • Attribuer des tâches pour responsabiliser : face à une persistance dans la prise de parole, Louis Vareille suggère de proposer des responsabilités spécifiques : « Peux-tu nous préparer une synthèse pour la semaine prochaine car tu sembles à l’aise sur le sujet ? » Cette méthode permet non seulement de canaliser l’énergie des beaux parleurs, mais aussi de valoriser leurs compétences et leur engagement.

  • Utiliser stratégiquement le silence : en s’inspirant de Sun Tzu dans l’Art de la Guerre, Louis Vareille et Pierre-Louis de Rohan Chabot proposent une stratégie similaire en proposant des périodes de silence pour la réflexion permettant non seulement de déstabiliser les beaux parleurs, mais aussi de favoriser l’émergence des idées chez les participants introvertis. « Si je pose une question au collectif, le beau parleur ne va pas réfléchir avant de parler et va empêcher les introvertis de réfléchir. Je vais plutôt proposer de prendre 3 minutes pour réfléchir en silence », illustre Louis Vareille.

  • Rassurer le beau parleur : face au besoin de reconnaissance chez les beaux parleurs, Pierre Louis de Rohan Chabot conseille de leur accorder une attention positive et de valider leurs contributions. « Ainsi, nous pouvons souvent réduire naturellement leur besoin de monopoliser la conversation. »

Après la réunion : priorité au feedback

  • Offrir un feedback constructif : après la réunion, Louis Vareille souligne l’importance d’un feedback positif pour renforcer les comportements souhaités. Si un participant habituellement dominant a modéré ses interventions, il est crucial de le reconnaître. Et pour ceux qui peuvent encore améliorer leur contribution aux discussions, un feedback constructif est essentiel. Celui-ci doit être spécifique, axé sur des actions concrètes, et livré de manière respectueuse.

  • Engager une discussion collective : notre expert suggère également d’instaurer un moment de discussion collective sur la gestion de la prise de parole. « Je demande comment ça s’est passé : cela peut permettre à certains de s’exprimer sur la gestion de la prise de parole. » Cette pratique favorise non seulement le recueil d’impressions sur la dynamique de la réunion, mais aussi la proposition de pistes concrètes pour des améliorations futures.

  • Offrir un accompagnement individuel : pour les beaux parleurs qui ont du mal à ajuster leur comportement, Pierre Louis de Rohan Chabot recommande un accompagnement individuel. « Un beau parleur qui est empêché va mal le livre, il va devenir un contre-pouvoir, il va avoir besoin de décaler ailleurs ce qu’il ne peut plus exprimer. Si je veux garder sa motivation, il faut faire appel à un coach pour travailler. »

Plutôt que de voir les beaux parleurs comme des obstacles, nous pourrions finalement les considérer comme des défis à surmonter ensemble pour créer un espace où toutes les perspectives sont valorisées. En continuant à questionner nos dynamiques de groupe et nos systèmes de pouvoir, à encourager une communication ouverte, inclusive et paritaire, et à reconnaître la valeur de chaque contribution, nous pouvons façonner des réunions qui inspirent la collaboration, la créativité et le progrès.

Article rédigé par Sarah Torné et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.