Ces jeunes travailleurs de 20 ans qui ont déjà connu un burn-out

02. 5. 2024

9 min.

Ces jeunes travailleurs de 20 ans qui ont déjà connu un burn-out
autor
Etienne Brichet

Journaliste Modern Work @ Welcome to the Jungle

přispěvatel

Si le burn-out est souvent associé à la trentaine, il n’y a pas vraiment d’âge pour être concerné par ce fléau du monde professionnel. Même les plus jeunes peuvent en souffrir dès leur arrivée dans la vie active. C’est ainsi qu’Elisa, Andréa, Élodie et Lily ont accepté de partager leur expérience du burn-out à la vingtaine.

« Face à mon désarroi, mon médecin généraliste me recommanda de séjourner en hôpital psychiatrique pour me requinquer »

Elisa (1), alternante en finance, 24 ans.

Je viens d’un petit village du Sud de la France où j’ai validé une Licence en économie et gestion. Dans la région, il était déconseillé de faire sa maîtrise au même endroit, car l’université locale n’a pas très bonne réputation. Alors pour mon master, je me suis inscrite à Créteil, et pour faire face au coût de la vie parisien particulièrement onéreux, j’ai opté pour un cursus en alternance. J’ai été recrutée dans une boutique de puériculture (seule entreprise où j’avais été prise). C’était la première fois que j’étudiais et que je travaillais en même temps, mais je n’avais pas le choix pour payer mon loyer et éviter de contracter un crédit.

Le problème, c’est que mes trajets pour aller bosser étaient très longs. Ma patronne m’avait autorisé quelques jours de télétravail, mais je devais souvent rester pour faire du réassort. Quand j’ai demandé à venir plus tôt le matin pour partir plus tôt le soir, elle a refusé. Selon elle, j’aurais dû changer de logement pour me rapprocher géographiquement, mais ma résidence - bien que lointaine - était plus abordable. Et puis l’environnement de travail était assez hostile : elle me reprochait notamment de ne pas avoir de « réflexes d’entreprise » alors que c’était ma première expérience ! Au quotidien, je mangeais seule dans la boutique et je n’avais pas le temps de me reposer après le travail à cause de mes études. C’est le cumul des responsabilités professionnelles et académiques qui a eu raison de moi. Sans possibilité de me reposer, mon état a dégringolé.

Très vite, je me suis sentie isolée. Mes camarades de classe ne comprenaient pas mes difficultés et je ne me sentais pas à ma place dans une ville où on me faisait des remarques sur mon accent. Venir à Paris a été la pire chose qui puisse m’arriver dans ma vie. Au bout d’un moment, j’ai commencé à faire des crises d’angoisse où je pleurais sans m’arrêter. Epuisée, et incapable d’étudier dans de bonnes conditions, je suis rentrée chez mes parents dans le Sud, abandonnant mon cursus. Le constat était sans appel : à seulement 21 ans, je faisais un burn-out. Ma responsable m’avait proposé d’arrêter mes études pour passer salariée à plein temps, mais c’était inconcevable pour moi. Finalement, j’ai ressenti le besoin de poser un arrêt maladie pour souffler, et tout ce qu’elle trouva à me dire par message, c’est qu’elle ne pouvait pas continuer à garder quelqu’un qui se mettait en arrêt ! Message illégal, qu’elle supprima par la suite.

Face à mon désarroi, mon médecin généraliste me recommanda de séjourner en hôpital psychiatrique pour me requinquer. Ça m’a fait un électrochoc et j’ai décidé de me reprendre en main. De toute façon, l’école m’avait posé un ultimatum : je devais reprendre mon alternance, peu importe mon état. Après avoir obtenu une rupture conventionnelle avec la boutique qui m’employait, j’ai retrouvé un autre travail, mais j’ai dû poser plusieurs arrêts maladie pour gérer mes crises d’angoisse qui n’ont pas cessé. Bonnant malant, cela m’a permis de valider mon master et de poursuivre mon chemin dans la vie active.

Aujourd’hui, même si le deuil de cette expérience n’est pas encore terminé, je vais beaucoup mieux. Ça m’a obligé à m’endurcir. Je me suis même lancée dans une alternance en finance de marché. Cet épisode est derrière moi, et m’a appris une chose : je ne veux plus entendre parler des petites structures ! Elles voient les alternants comme une main d’œuvre pas chère, sans se soucier de leur bien être. Pour ce qui est des symptômes du burn-out chez moi, j’arrive désormais à mieux les identifier : je suis crispée, nerveuse et apathique. Lorsque je les ressens, mon entourage me le signale, je reste alors vigilante pour ne pas replonger dans cet état, et je me repose pour prévenir le danger.

« Il m’a fallu plus de six mois pour sortir de la dépression et des idées noires »

Lily (1), photographe indépendante, 24 ans

J’habite sur l’île de la Réunion et il y a un an, j’ai fait un burn-out. Après un Master 1 en sciences humaines et sociales lors d’un échange à l’étranger, je n’avais qu’une seule envie : me lancer dans ma passion pour la communication digitale et la photo. En préparant mon retour, j’ai trouvé une école à la Réunion où faire une alternance en designer UX et création de contenu digital.

Deux semaines avant le début de mon contrat, j’ai appris que j’allais commencer dans un programme d’insertion professionnelle de Pôle Emploi, suite à un accord que l’école et l’entreprise ont trouvé dans leur intérêt. Pendant plusieurs mois, j’ai été payée 400 euros pour le même travail que les autres employés. On était sous pression de la directrice d’agence et du directeur artistique. Aussi, on avait compris qu’il ne fallait pas partir à 18h. Certains restaient jusqu’à 23h ou emportaient du travail avec eux, et les heures supplémentaires n’étaient pas payées.

Après quelques mois, il y a eu des conflits avec une alternante. L’équipe a changé mais les personnes censées me former n’étaient pas qualifiées. Avec la pression, les départs et le manque de reconnaissance, je sentais que je n’allais pas bien. J’ai travaillé pendant des semaines sur des projets qui ont fini par être abandonnés. Ce que je faisais n’avait aucune valeur. J’ai du prendre sur moi en entreprise et à l’école où l’organisation était bancale et les enseignants en sous-effectif. Certains camarades rencontraient des difficultés similaires aux miennes avec des baisses de moral, mais ils n’y pouvaient rien non plus. De mon côté, je n’avais pas encore mis de mot sur ce que je vivais.

J’ai commencé à avoir des pensées intrusives. Je pleurais souvent, je m’étais isolée et j’avais pris du poids. Plus rien n’avait de sens. Et puis un matin, je me suis réveillée sans pouvoir m’arrêter de pleurer. Mon médecin m’a annoncé que je faisais un burn-out. Ça m’a fait un choc mais être en arrêt maladie a été l’occasion de poser ma démission. Ce qui a étonné la directrice qui m’employait : elle voulait me garder et ne comprenait pas mes problèmes. Derrière cela, il m’a fallu plus de six mois pour sortir de ma dépression et pour arrêter d’avoir des idées noires.

Après mon burn-out, je me suis lancée à mon compte en tant que photographe. Ce n’est pas évident tous les jours, j’ai encore des rechutes dépressives mais je vais mieux. Aujourd’hui, j’ai plus conscience de mes limites mais sortir de ma zone de confort reste difficile. J’essaye d’instaurer des moments de déconnexion avec mon travail pour favoriser mes loisirs et revoir des amis. Je ne m’imagine pas revenir au salariat, par peur de revivre la même chose et de ne pas être comprise. Du coup, je mets toute mon énergie dans l’entreprise que j’ai créée, pour ne jamais retourner dans ce système qui épuise.

« Il a fallu que je me “robotise” et que je serre les dents pour arriver jusqu’au bout. »

Andréa (1), responsable libéralités, a connu un burn-out à 22 ans

J’ai fait un burn-out à 22 ans alors que j’effectuais un Master 1 de droit notarial. À l’époque, je vivais encore chez mes parents et je faisais cinq heures de transports par jour. Mes journées étaient bien remplies et mes nuits très courtes ! En parallèle, je travaillais le samedi comme hôtesse de caisse dans un magasin Leclerc. Si mon emploi du temps était intense, c’est surtout une accumulation de problèmes qui a fini par m’épuiser.

Je jonglais entre ma relation amoureuse, la pression de mes parents et des professeurs à réussir, et l’impossibilité de prendre un logement plus proche de ma fac. Les profs n’étaient pas très réceptifs à ma situation, et ne laissaient rien passer. À cause de la compétition entre les étudiants pour la sélection en Master 2, je n’avais pas envie de me saboter en passant pour quelqu’un de fragile, alors j’encaissais malgré la fatigue. Si j’avais parlé de mes difficultés, j’aurais eu l’impression de me plaindre, comme si je me donnais des excuses. Résultat : j’ai trop tiré sur la corde et j’ai craqué. Pour éviter de finir sous l’eau, j’ai dû mettre certains cours en pause. À ce moment-là, j’ai sérieusement envisagé d’arrêter mes études.

Ma sœur m’a convaincu de continuer pour finir mon master. À ce stade, j’avais du mal à simplement me lever le matin, j’ai alors fait des choix de vie drastiques pour y arriver. J’ai capitalisé sur les matières où j’étais douée pour me garantir une bonne moyenne et j’ai compartimenté ma relation amoureuse, mes amis, ma famille. Concrètement, j’ai pris de la distance avec mes parents avec lesquels j’étais en conflit afin d’aller mieux psychologiquement. Pour ce qui est de mon petit ami et de mes relations amicales, j’ai tout mis en pause. Forcément, j’ai perdu quelques amis en route. Il a fallu que je me “robotise” et que je serre les dents pour arriver jusqu’au bout. Tout a été sacrifié au profit de mes études pour me permettre de “respirer”.

Deux ans après, j’ai à nouveau craqué alors que je préparais le diplôme supérieur du notariat. Sauf que cette fois, j’ai privilégié ma vie personnelle. J’ai arrêté mes études et j’ai trouvé un emploi dans le secteur caritatif. Une période que j’ai vécue comme un échec : je voulais être notaire mais j’ai revu mes ambitions à la baisse à cause de mon burn-out. Il a été un point de bascule où je me suis questionnée sur ce que je souhaitais comme carrière et comme rythme de vie.

Aujourd’hui, je ne regrette pas d’avoir fait ce choix : j’ai un métier épanouissant en tant que responsable libéralités dans une association caritative et j’ai deux enfants avec mon conjoint, ce même petit ami que j’avais “mis en pause” à cette époque et qui a su faire preuve de compréhension. Nous projetons de nous marier dans les années à venir ! Pour autant, il m’arrive encore de tirer sur la corde en travaillant trop, et avec l’âge, je suis de moins en moins endurante. Après mon burn-out, je n’ai pas fait de thérapie donc j’ai tendance à reproduire le même schéma… peut-être que si j’avais vraiment pris à bras le corps le problème, j’aurais eu un meilleur rapport au stress et à ma charge de travail.

« Je me retrouvais complètement livide et mon cerveau s’éteignait. Il fallait que je m’éloigne du travail pour aller mieux. »

Élodie (1), responsable des opérations en alternance dans une fintech, 25 ans

Lors d’un BTS en alternance en tant qu’attachée commerciale, j’ai découvert le secteur bancaire. Dès le départ, j’ai constaté que certains de mes collègues subissaient du harcèlement moral et finissaient en arrêt maladie, ce qui n’augurait rien de bon. Dans mon agence, les problèmes des clients dépassaient mes compétences. Certains étaient à découvert et d’autres disaient vouloir se suicider à cause de leur endettement. Je n’ai pas été suffisamment accompagnée pour les prendre en charge alors que j’avais à peine 18 ans. Et avec les objectifs commerciaux à atteindre en plus, j’étais dépassée.

Un jour, j’ai craqué alors que je tenais l’accueil. Je n’arrêtais pas de pleurer mais aucun de mes collègues n’a fait preuve d’empathie. Personne ne voulait me remplacer pour que je puisse souffler. J’ai tout fait pour cacher mon état aux clients. Le lendemain, j’ai posé un arrêt maladie et on m’a prescrit des anxiolytiques. À ce moment-là, je pensais que je n’étais pas assez forte pour ce travail. Maintenant, je sais qu’il y avait un problème au niveau de la formation, de la qualité de vie au travail et de l’intégration des nouveaux arrivants.

Par la suite, je suis allée dans une autre banque. À cause du Covid, plusieurs collègues étaient en arrêt maladie. Leur charge de travail s’est donc additionnée à la mienne. Même mes collègues expérimentés étaient complètement surmenés. Ils étaient à bout de nerfs, se plaignaient de ne pas avoir de vie de famille, et n’avaient même pas le temps de prendre une pause le midi ! Cette façon de travailler ne me plaisait pas du tout. J’avais des ambitions, mais si c’était pour être angoissée toute la journée, ce n’était pas la peine ! En plus, j’étais complètement laissée à l’abandon puisque ma directrice était absente plusieurs mois. À son retour, j’ai craqué et tout lâché. Face à mes constats sur le terrain, elle m’a rabaissé. Son comportement était odieux, elle m’en a mis plein la gueule en disant que c’était moi le problème ! Les RH ont ignoré mes signalements alors même que le turn over était important. Résultat, je me suis encore mise en arrêt maladie et ça a eu un impact sur ma confiance en moi.

Quand j’allais au travail, je sentais que mon corps m’envoyait des signaux : ventre noué, nausées, crises nerveuses. Je me retrouvais complètement livide et mon cerveau s’éteignait. Il fallait que je m’éloigne du travail pour aller mieux. Et là encore, j’avais seulement 23 ans. Ces expériences m’ont dégoûté du monde professionnel au point où j’ai voulu reprendre mes études pour créer ma propre entreprise et ne plus jamais être salariée pour échapper à ce genre de situation.

Pour autant, j’ai pu rencontrer un dirigeant d’entreprise bienveillant qui m’a réconcilié avec l’activité salariale. Cependant, je suis devenue très exigeante et j’ai appris à instaurer des limites. Le fonctionnement du monde professionnel me révolte, je ne supporte pas que le mal-être des employés soit dénigré. Si une entreprise n’est pas apte à m’écouter, le problème ne vient pas de moi, mais de sa culture. Je n’ai plus peur de changer d’emploi et de quitter une entreprise si son ambiance est toxique.

(1) Le prénom du témoin a été modifié.

Article édité par Aurélie Cerffond ; Photo de Thomas Decamps

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