Le business des conventions de stage : vecteur de précarité chez les jeunes ?

21. 2. 2022 - aktualizované 01. 2. 2022

9 min.

Le business des conventions de stage : vecteur de précarité chez les jeunes ?
autor
Cécile Nadaï

Fondatrice de Dea Dia

Enfin, vous y êtes arrivés. Après des années à bûcher, vous voyez le terme de votre cursus et au bout, sa récompense : un diplôme. Mazal tov ! Avec un joli cadre, il sera très clinquant dans le salon de Pépé et Mémé. Fierté de la famille, c’est maintenant le moment de trouver un taf. Bémol, le nez dans les livres, la bière et potentiellement un job en sus, vous n’avez pas pu anticiper le début de votre vie pro. Pas ou peu de stages étaient inclus dans votre formation et vous constatez avec désarroi que votre manque d’expérience ne suscite pas la même admiration pour les recruteurs que pour vos grands-parents ?

Depuis quelques années, des jeunes diplômés dans cette situation ont trouvé un recours, assez précaire et qui flirte souvent avec l’illégalité, pour mettre un premier orteil dans la vie active : multiplier les stages à l’aide de conventions obtenues via des organismes qui en font recette, en jouant sur un flou juridique. Le but ? étoffer le CV et accumuler un maximum d’expérience. Quelles sont les conséquences de cette pratique symptomatique d’un marché de l’emploi en berne ? Participe-t-elle à la précarisation des jeunes ? Quelles sont les alternatives pour trouver un emploi avec un diplôme mais peu d’expérience ? Enquête.

De jeunes diplômés, précaires, qui « n’ont pas le choix »

En tant qu’étudiant, vous savez certainement à quel point les stages sont précieux pour se faire une place dans le monde du travail. Selon une enquête Ipsos / Sopra steria menée en 2018, les stages sont jugés utiles par 89 % des personnes interrogées et 88% recommanderaient à un jeune de leur entourage d’en effectuer. Rien d’étonnant, donc, à ce que nous cherchions à multiplier les stages. Et ce, même lorsque nos études sont terminées… En effet, nombreux sont les néo-diplômés, en proie à des difficultés pour accéder au marché de l’emploi, qui postulent à des offres de stage pour ne pas rester sans activité.
Pour cause, les moins de 25 ans, même diplômés, sont les plus touchés par le chômage : 17,6% en décembre 2021, selon les chiffres d’Eurostat, le tout, la plupart du temps, sans percevoir une quelconque allocation. Dans ce contexte, nous sommes nombreux à devoir refaire un stage dans l’espoir que cela débouche un jour sur un emploi stable.

« De toute façon, c’était payer pour une convention de stage ou le chômage… et tout vaut mieux que le chômage », déclare Rafaël, 25 ans, un jeune diplômé en communication qui a accepté un stage après obtention de son diplôme. Il a donc rejoint une entreprise qui l’intéressait mais qui ne pouvait pas l’embaucher. « Comme je manquais cruellement d’expérience, il était très difficile pour moi d’être embauché à la sortie de l’école, confesse-t-il. Après plusieurs mois de chômage, j’ai donc choisi d’effectuer un stage dans l’une d’entre elles dans l’idée d’être embauché ensuite. »

Mélanie, elle, s’est reconvertie dans les métiers du digital à l’âge de 28 ans, mais plusieurs mois après avoir terminé ses études, pas l’ombre d’un CDI à l’horizon. « Après presqu’un an de chômage, on m’a proposé une opportunité intéressante dans une entreprise prestigieuse mais uniquement sous forme de stage. C’était la deuxième fois qu’on me faisait cette proposition. J’avais refusé la première, en me disant que je n’avais pas repris des études pour tomber dans la précarité ! Mais quand on m’a de nouveau proposé, je me suis rendue à l’évidence : si je n’en passais pas par là, je n’avais aucune chance de trouver un emploi. »

La course à la convention de stage : un processus louche

En théorie, pourtant, nous ne pouvons plus bénéficier d’une convention de stage une fois le banc des études quitté puisqu’une loi visant à encadrer et protéger les stagiaires exige, depuis le 10 juillet 2014, qu’un stage soit adossé à un cursus pédagogique. En cas de non-respect de cette règle, l’entreprise d’accueil encourt une amende administrative pouvant aller jusqu’à 2 000 € par stagiaire concerné et jusqu’à 4 000 € en cas de nouvelle infraction dans l’année suivant la première amende. Mais ces sanctions ne semblent pas dissuader les entreprises peu scrupuleuses…

Jusque là, quand on avait terminé les études, le moyen classique pour obtenir une convention consistait à s’inscrire à une formation, à la fac par exemple, dans le seul but d’en demander une. Mais depuis plusieurs années, les universités luttent contre ce phénomène et avec Parcoursup, c’est de toute façon devenu impossible. Les étudiants se procurent alors des conventions de stage sur Internet, via des organismes privés et moyennant finance. Rien de plus simple. En quelques secondes sur un moteur de recherche, il est possible d’entrer en contact avec des organismes de formation qui proposent d’obtenir des conventions de stage rapidement. Parmi eux, on trouve Be Student Again ou encore Paris Executive Business School.

Un business bien ficelé

La méthode est très simple. Il suffit de s’inscrire en ligne pour suivre l’une de leurs formations et le précieux document s’obtient rapidement, prêt à être rempli par l’entreprise qui vous accueille. Quant aux frais à débourser, ils se situent entre 400€ à 600€ selon les structures, auxquels s’ajoutent les 200€ de sécurité sociale étudiante. Des sommes élevées mais toujours moins que des frais de scolarité pour une école privée ou que le coût du chômage. Alors beaucoup se laissent tenter…
L’entourloupe, c’est que ces organismes proposent réellement des formations à distance. Be Student Again se définit d’ailleurs comme une « plateforme d’inscription en ligne à des universités étrangères reconnues internationalement. »

Ce n’est pas la convention que l’on achète sur leur site mais une inscription dans une université étrangère, ce qui donne droit à « tous les avantages liés au statut étudiant, l’édition d’une convention de stage offrant la possibilité d’effectuer un stage en entreprise, la réception de votre certificat de scolarité et carte étudiante internationale vous permettant de justifier de votre statut étudiant », mentionne leur site. L’obligation de formation est donc bel et bien respectée, même si dans les faits, aucune vérification n’est effectuée. De très nombreux étudiants s’inscrivent donc dans l’unique but de recevoir leur convention de stage sans aucune intention de suivre la formation.

La pratique n’est pas à proprement parler illégale puisqu’une loi du 6 octobre 2016 établit que « Les enseignements dispensés sous forme numérique par les établissements ont un statut équivalent aux enseignements dispensés en présence des étudiants. » L’organisme affiche d’ailleurs la mention “100% légal” sur son site… De fait, il semble que rien ne soit fait pour limiter ces pratiques. Au contraire, les changements de réglementation vont plutôt dans le sens d’une simplification des démarches

Est-ce une réelle volonté de faciliter l’accès aux conventions de stage ou un dommage collatéral d’une loi visant simplement à reconnaître les nouveaux modes d’enseignement numériques ? On ne peut que supposer. On sait que dans d’autres pays, comme l’Angleterre ou les Etats-Unis, aucune convention n’est nécessaire pour réaliser un stage en entreprise, peut-être s’agit-il d’aligner l’accès aux stages en France sur ces pays ?

D’autre part, il est impossible de prouver que ces organismes qui fournissent des conventions de stage sont en réalité des coquilles vides. Elles proposent bien des formations, même s’il est impossible de savoir si des élèves les suivent réellement. Le problème viendrait donc plutôt de l’absence de contrôle puisque visiblement, personne, ni dans l’organisme de formation, ni du côté des instances étatiques, ne vérifie que les cours sont suivis et/ou validés par un examen final. « En 2017, j’ai acheté une convention dans un de ces organismes pour prolonger mon stage de fin d’études qui me plaisait beaucoup, se rappelle Gaëlle, journaliste. Ça s’est fait très rapidement, ils m’ont tout de suite envoyé la convention, et après, je n’ai plus jamais eu de nouvelles de leur part. Aucune invitation à sélectionner des cours, ou à s’enregistrer pour un examen, nada ! »

Et quand bien même des contrôles auraient lieu, quels risques pourraient-ils représenter pour les étudiants ? Le fait de voir sa convention de stage invalidée à posteriori ? La menace de ne pas se voir délivrer un diplôme qu’ils n’ont de toute façon jamais cherché à obtenir ? Le problème semble donc très complexe à résoudre.

Une aubaine pour les entreprises

Les entreprises qui accueillent ces stagiaires, elles, sont totalement gagnantes. Cela leur permet de s’entourer de collaborateurs compétents, à moindres frais. Michel, dirigeant d’une PME dans l’évènementiel, témoigne : « Bien sûr, on ne va pas se mentir, entre un stagiaire tout juste diplômé payé 600€ et un salarié débutant qui coûtera au moins 3 000€ à l’entreprise, le choix est vite fait ! Mais je crois surtout qu’un mauvais recrutement coûte très cher, en prenant un candidat en stage, on teste donc ses compétences sans risque durant quelques mois avant de l’embaucher s’il est compétent. »

Pourtant, malgré les espoirs d’embauche, seuls 12% des jeunes diplômés trouvent leur premier emploi stable à l’issue d’un stage, selon une enquête de l’APEC de 2019. Sauf à estimer que 88% des stagiaires sont incompétents, il semblerait donc que le recours aux stagiaires ne soit pas uniquement un moyen de tester les compétences du candidat avant embauche, mais bien une manière de réaliser des économies substantielles grâce à une main d’œuvre qualifiée sous-payée.

Les lourdes conséquences du business de fausses conventions de stage sur le marché de l’emploi

Même si le recours aux conventions de stage payantes peut-être bénéfique pour les jeunes diplômés avides d’expérience, une telle pratique engendre en réalité un tas de conséquences néfastes sur l’intégration des étudiants dans le monde du travail…

Une exclusion des plus défavorisés

Première objection : tout le monde n’a malheureusement pas les moyens d’investir dans une convention de stage. Pour un jeune diplômé qui ne perçoit aucune allocation au chômage, payer une convention à 400 ou 600 euros pour percevoir un salaire de stage pendant 6 mois n’est pas forcément envisageable versus trouver un job alimentaire en CDI ou en CDD, bien plus rémunérateur et stabilisant. Le problème, c’est que celui-ci ne sera pas forcément en lien avec le métier ou le secteur visé. L’écart ne cesse donc de se creuser entre les jeunes privilégiés qui choisiront l’option de la convention payante, et ceux qui ne pourront pas se le permettre.

La disparition des offres d’emploi junior

Autre problème : plus les jeunes diplômés proposeront aux entreprises de les rejoindre en stage, moins les entreprises embaucheront des jeunes en CDI. Car à compétences égales, une entreprise préférera payer un stagiaire au minimum légal plutôt qu’un salarié en CDI, on les habitue donc à cette mauvaise pratique. C’est un cercle vicieux ! Mélanie admet : « Je me rends bien compte qu’en ayant recours à de faux stages, je participe à la précarisation de l’emploi des jeunes alors même que c’est ce qui m’a poussée à reprendre des études ! Mais comment faire quand toutes les entreprises contactées ne vous proposent que des stages ? Le problème, c’est que je n’ai vraiment pas l’impression d’avoir le choix. »

La difficulté, pour les “vrais” étudiants, de trouver un stage

Enfin, ces stagiaires diplômés constituent une concurrence déloyale pour les étudiants qui débutent leur cursus et cherchent à effectuer un “vrai” stage. Car bien sûr, pour les entreprises, quitte à recruter un stagiaire, autant recruter un stagiaire expérimenté ! Il devient donc de plus en plus difficile, pour les étudiants qui commencent leurs études, de trouver un stage pour valider leur formation. Un engrenage aux conséquences négatives donc.

Mais alors, quelles alternatives ?

Comment faire quand on est jeune diplômé pour s’insérer dans le monde du travail sans tomber dans le piège des stages payants à répétition ?

Les missions locales

Les missions locales sont là pour favoriser l’insertion des jeunes de 16 à 25 ans via différentes actions. Il en existe 450 en France qui peuvent vous aider à décrocher un stage de maximum 2 mois, convention à l’appui, sans rien débourser. Ces missions travaillent avec un réseau d’employeurs (associations, collectivités, acteurs de l’économie sociale et solidaire) qui recrutent en priorité des jeunes inscrits en mission locale. Elles peuvent aussi vous aider à identifier une formation qui vous correspond ou encore à créer votre activité.

Reprendre de vraies études

Quitte à effectuer des stages, autant qu’ils soient adossés à un véritable diplôme qui vous permettra d’étoffer votre CV et d’augmenter votre niveau d’expertise. Si vous ne savez pas dans quel secteur effectuer votre formation, vous pouvez réaliser un bilan de compétences qui vous permettra de cerner vos atouts et de capitaliser dessus. Si vous êtes demandeur d’emploi, renseignez-vous auprès de votre conseiller Pôle emploi pour déterminer celles auxquelles vous pouvez prétendre.

Devenir auto-entrepreneur

En travaillant avec des indépendants, les entreprises s’entourent de collaborateurs compétents sans augmenter leurs charges fixes. Le statut d’auto-entrepreneur permet donc à de nombreuses personnes d’exercer une activité indépendante à moindre frais.

Certes, cela ne résout pas le problème de la précarité mais en tant qu’auto-entrepreneur, votre niveau de rémunération sera plus élevé qu’en stage et vous pourrez cumuler plusieurs opportunités en parallèle, ce qui est plus difficile en stage. Vous pouvez de plus conserver ce statut même si vous trouvez un emploi salarié et ainsi vous constituer des compléments de revenus.

Partir à l’étranger

Dans de nombreux pays, il n’y a aucune obligation d’avoir une convention ou de suivre un cursus pédagogique pour effectuer un stage dans une entreprise. Vous pouvez donc postuler par vous-même dans des entreprises à l’étranger ou vous rapprocher d’organismes comme My internship abroad, qui vous accompagne dans votre recherche de stages rémunérés aux États-Unis, Canada, Royaume-Uni, en Asie ou Amérique Latine.

Chercher des VIA ou des VIE

Il est également possible de vous tourner vers les VIE et VIA, des contrats de volontariat international en entreprise ou en administration accessibles aux jeunes de moins de 28 ans. Ou encore les services civiques en France ou en Europe.

Négocier un CDD

Dernière alternative : dégoter un CDD ! Soit en recherchant spécifiquement des offres d’emploi sur ce statut qui reste beaucoup moins risqué et engageant qu’un CDD pour l’entreprise, soit en le négociant avec l’entreprise qui vous propose un énième stage !

Photo by WTTJ

Preberané témy