Coronavirus : rencontre sans langue de bois avec un chercheur

17. 3. 2020

8 min.

Coronavirus : rencontre sans langue de bois avec un chercheur
autori
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Romane Ganneval

Journaliste - Welcome to the Jungle

Comment travaillent les chercheurs en médecine ? On les imagine vêtus de blouse blanche, concentrés vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur leur microscope en manipulant des souches de virus dévastateurs pour les rendre inoffensifs. En vérité, ils passent les 90% de leur temps à essayer de décrocher des financements en écrivant des projets de recherche qui ne sont quasiment jamais validés. Et puis, parfois, surgit une crise, comme celle que nous vivons actuellement. À 44 ans, Hakim Ahmed-Belkacem est le chef du laboratoire d’étude des coronavirus à l’hôpital Henri Mondor de Créteil (94). Il explique que depuis le début de l’épidémie du coronavirus, on lui demande d’obtenir les résultats d’expériences qu’on lui refusait de mener jusque-là. Rencontre, sans langue de bois.

Manipuler des virus, c’est votre quotidien. Mais comment procédez-vous avec le nouveau coronavirus ?

Une fois qu’un patient est diagnostiqué positif au coronavirus, les échantillons sont envoyés au laboratoire de recherche de l’hôpital. Notre but, en tant que chercheurs, c’est d’amplifier le virus pour l’étudier, donc nous le mettons “en culture”. Concrètement, on place les virus dans des cellules humaines dans un liquide, nous attendons que la souche prenne et que le coronavirus se multiplie. Après ce processus que l’on réalise dans un laboratoire à pression négative (ndlr: l’air de ces pièces ne peut pas sortir afin de limiter la circulation du virus) pour prendre absolument aucun risque, nous testons des médicaments sur des souches qu’on a désinfectées et qui sont donc inactives.

Depuis combien de temps travaillez-vous dessus ?

Depuis décembre dernier, mon équipe et moi-même sommes très attentifs à ce qu’il se passe en Chine, nous lisons absolument tout ce que les scientifiques écrivent sur le sujet. Mais cela fait seulement dix jours que nous avons le premier patient positif au SARS-COV-2 responsable de l’épidémie de COVID-19 à l’hôpital Henri Mondor et donc que nous travaillons dessus. Pour pouvoir travailler sur un virus, nous avons besoin de souches positives. Avant que ce nouveau virus ne fasse son apparition, je travaillais sur le virus respiratoire syncytial (VRS), responsable de la bronchiolite du nourrisson.

Vous avez donc abandonné les recherches sur tous les autres virus ?

Nous n’avons pas vraiment le choix, les deadlines sont très courtes ! La France a lancé le 3 mars dernier un appel à projet de deux millions d’euros pour la recherche sur les coronavirus. On a l’impression que c’est beaucoup d’argent, c’est pourtant ridicule. Mais chacun a aujourd’hui la possibilité de pouvoir avancer ses recherches et il va falloir s’y mettre. Tous les laboratoires du pays ont jusqu’au 23 mars pour compiler un dossier et montrer tous les résultats préliminaires obtenus sur le SARS-CoV-2, mais aussi pour expliquer notre démarche scientifique, avoir les bons arguments pour dire qu’on va arriver à trouver un remède efficace et convaincre.

La France a lancé le 3 mars dernier un appel à projet de deux millions d’euros pour la recherche sur les coronavirus. On a l’impression que c’est beaucoup d’argent, c’est pourtant ridicule.

Vous collaborez avec les autres laboratoires français ?

Heureusement, les laboratoires s’échangent des informations. L’Institut Pasteur a par exemple mis au point la QPCR, c’est-à-dire le processus de diagnostic qui permet de savoir si les patients sont infectés par le nouveau coronavirus. Pasteur s’est inspiré de résultats de recherche allemands. Donc non, on ne part pas de zéro dans la recherche, les uns aident les autres, mais jusqu’à une certaine limite. Les financements sont attribués à chaque laboratoire, on est aussi tous en concurrence.

Les financements sont attribués à chaque laboratoire, on est aussi tous en concurrence.

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Votre laboratoire travaille-t-il à l’élaboration d’un vaccin ?

Rien n’a été encore mis au point pour soigner les coronavirus : pas de vaccin, pas de médicament. Depuis l’apparition de ce nouveau virus, de nombreux laboratoires travaillent à l’élaboration d’un vaccin, parce que le vaccin c’est l’arme absolue. Une fois qu’on l’a, on peut éradiquer le virus.

Mais cela fait près de vingt ans que je travaille sur la famille des coronavirus et mon expérience me pousse plutôt à développer un traitement médicamenteux antiviral. Pour autant, l’idée de créer un médicament spécifique pour un seul virus n’est pas viable, parce que les épidémies peuvent être très éphémères. L’idéal serait de faire comme pour les maladies bactériennes qui sont soignées par des traitements antibiotiques, et travailler sur un médicament antiviral qui pourrait éliminer tous les virus respiratoires ! C’est ce que nous essayons de développer aujourd’hui.

L’idée de créer un médicament spécifique pour un seul virus n’est pas viable, parce que les épidémies peuvent être très éphémères.

Lorsque vous arrivez chez votre médecin traitant avec une angine ou une cystite, il n’est pas capable de savoir exactement quelle bactérie est responsable de votre état, mais il vous traite avec des médicaments à large spectre qui tuent un grand nombre de bactéries, et ça marche ! Nous aimerions qu’un jour un médicament fonctionne de la même manière pour les virus et que ces traitements soient disponibles en médecine de ville. Aujourd’hui, en dehors de quelques vaccins, comme celui de la grippe, on traite plutôt les symptômes des virus que leur cause.

Aujourd’hui, en dehors de quelques vaccins, comme celui de la grippe, on traite plutôt les symptômes des virus que leur cause.

Pourquoi aucun traitement n’a-t-il été développé ?

Un virus, c’est un marché. Historiquement, notre laboratoire a participé aux recherches sur le traitement antiviral de l’hépatite C. Quand j’ai commencé à travailler sur ce virus en 2006, 50% des patients mouraient, c’était un vrai problème de santé publique en France. Alors, les autorités et associations ont débloqué d’importants moyens et on a fini par trouver un traitement. Aujourd’hui, 99,9% des personnes atteintes de l’hépatite C sont guéries en douze semaines.

Un virus, c’est un marché.

Concernant l’épidémie actuelle, il ne faut pas oublier que la plupart des coronavirus en circulation sont bénins, ils sont notamment responsables des rhumes. Seuls trois coronavirus sont dangereux : le SARS-CoV apparu en 2003, le MERS en 2012 et maintenant le SARS-COV-2. Avant que l’épidémie ne survienne, pourquoi les autorités auraient débloqué des fonds pour des virus responsables de la goutte au nez ou des éternuements ? Elles n’en voyaient pas l’intérêt. Surtout qu’en règle générale, quand on commence à écrire un projet de recherche pour trouver des financements, le premier élément qu’on écrit sur le dossier, c’est le nombre de morts dans le monde. L’intérêt de la pathologie varie en fonction de sa gravité : sa diffusion et sa mortalité. Cela fait donc cinq ans que je soumets des projets sur le coronavirus du rhume qui sont tous refusés. Pourtant, lorsque je soumets un projet sur le coronavirus du rhume, ce n’est pas pour soigner le rhume, mais bien pour qu’on s’en serve de modèle pour étudier toute sa famille, dont des virus dangereux plus difficiles à manipuler.

Quand on commence à écrire un projet de recherche pour trouver des financements, le premier élément qu’on écrit sur le dossier, c’est le nombre de morts dans le monde.

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Tout le monde espère qu’un traitement sera trouvé rapidement, qu’en pensez-vous ?

Personne ne le sait vraiment. Tous les laboratoires communiquent sur le fait qu’ils ont découvert quelque chose, mais ils le font parce que dans le contexte actuel beaucoup d’argent va être mis sur la table et chacun essaie de se mettre en avant pour en récupérer une partie. Personnellement, je pense que c’est trop tard pour cette épidémie. Comment souvent, on commence à travailler sur un virus quand il émerge et il disparaît avant la fin des recherches. C’est comme si dans une partie d’échecs, on partait toujours avec un coup de retard.

Et vous, vous avez trouvé quelque chose ?

J’ai trouvé une molécule qui fonctionne sur tous les coronavirus. Disons que je soigne très bien mes cellules humaines dans mes tubes à essai, mais je ne sais pas encore si la molécule est toxique. J’ai quelque chose qui pourrait fonctionner mais personne ne le sait parce que je n’ai pas pu aller au bout de mes recherches. C’est totalement frustrant ! Aujourd’hui, je veux juste pouvoir avancer. Peut-être que si j’avais eu plus de financements, le médicament serait déjà sur le marché et aiderait les malades du Covid-19.

J’ai quelque chose qui pourrait fonctionner mais personne ne le sait parce que je n’ai pas pu aller au bout de mes recherches. C’est totalement frustrant !

La politique de financement de la recherche doit changer ?

Le financement de la recherche est à revoir complètement : on ne peut pas travailler dans l’urgence ! La recherche, c’est un temps long. Il faut anticiper les besoins avant qu’ils n’émergent. Pour vous donner une idée, notre laboratoire est financé à moitié par l’INSERM et de l’autre par l’Université Paris 12. Le montant total alloué pour notre fonctionnement, c’est environ 40 000 euros par an. Après, c’est à nous d’aller chercher de l’argent soit en écrivant des projets, soit en répondant à des appels d’offre. Nous, les chercheurs, nous sommes des grattes-papiers qui passons 90% de notre temps à écrire des projets pour rien. C’est du temps gâché.

Nous sommes des grattes-papiers qui passons 90% de notre temps à écrire des projets pour rien.

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Comprenez-vous l’affolement général ?

Il ne faut surtout pas prendre ce virus à la légère d’abord parce qu’il y a eu des morts et il y en aura d’autres notamment parce que les hôpitaux sont surmenés. Une épidémie comme celle que nous vivons, c’est du jamais vu en Europe, en tout cas de mon vivant. Il y a eu Ebola en Afrique, le MERS au Moyen-Orient, mais c’était loin de nous. Je comprends totalement l’inquiétude de la population à la vue des mesures sanitaires exceptionnelles, d’ailleurs je fais au moins une fois par jour des consultations téléphoniques sauvages pour mes proches inquiets. Mais après, et c’est ce que je leur dis, il ne faut pas céder à la panique pour autant : on guérit du COVID-19 dans la grande majorité des cas. D’ailleurs, ce n’est peut-être pas cette épidémie-là qui est importante, mais la suivante.

Une épidémie comme celle que nous vivons, c’est du jamais vu en Europe, en tout cas de mon vivant.

C’est quelque chose qui va revenir ?

L’émergence de nouveaux virus, oui. Les virus de la famille des coronavirus ont une grande capacité à émerger parce qu’ils passent facilement la barrière des espèces. Le fait qu’il y ait des virus n’est pas un problème en soi. Le problème c’est qu’ils passent de l’animal à l’homme. Le risque augmente aussi avec le réchauffement climatique, la déforestation… Les animaux sauvages qui n’auraient jamais dû entrer en contact se rencontrent. C’est d’ailleurs ce qu’il s’est passé.

Aujourd’hui tout d’un coup, on se souvient que vous êtes là et vous demande d’éteindre le feu…

C’est exactement ça ! En travaillant sur les coronavirus, même si c’est passionnant d’un point de vue scientifique, je n’ai jamais pensé pouvoir sauver la planète. Et du jour au lendemain, je me rends compte que ce que je fais a une importance médicale. Je le savais, mais là, c’est très concret.

Je n’ai jamais pensé pouvoir sauver la planète. Du jour au lendemain, je me rends compte que ce que je fais a une importance médicale.

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Qu’est-ce que ça change dans la vie de tous les jours ?

Maintenant j’y pense la nuit, alors qu’avant, mes recherches sur le rhume ne me réveillaient pas. Disons, qu’il y a une pression supplémentaire parce qu’il faut qu’on avance et vite, surtout quand on travaille sur un traitement antiviral, donc sur du soin. Ce que je fais peut potentiellement et tout de suite aider les malades. Ça ouvre des perspectives !

Maintenant j’y pense la nuit, alors qu’avant, mes recherches sur le rhume ne me réveillaient pas.

Beaucoup pensent que les chercheurs sont des farfelus qui cherchent des trucs dans leurs coins pour leur propre plaisir. D’autres imaginent que nous sommes des intellectuels nantis qui gagnons beaucoup d’argent. C’est tellement loin de la réalité ! En France, la recherche, c’est des CDD, c’est la galère tous les jours pour trouver des financements, c’est des économies de bout de chandelle pour faire tenir un laboratoire, c’est des tensions entre collègues parce qu’il n’y a pas d’argent…

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Photo by WTTJ

Preberané témy