Permettre aux ouvriers du textile d'être designers : le défi d'About a Worker

23. 11. 2018

6 min.

Permettre aux ouvriers du textile d'être designers : le défi d'About a Worker
autori
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

On accuse parfois l’industrie textile de tous les maux mais de beaux projets existent aussi. Avec About a Worker, les deux créatifs Kim Hou et Paul Boulenger en font un vecteur de lien social grâce à une initiative expérimentale : ils permettent aux ouvriers de l’industrie de la mode de devenir designers. Leur but en les formant et en les accompagnant dans l’élaboration de leur propre collection : leur redonner la parole et la possibilité d’exprimer leur créativité. La première collection de la marque a été élaborée par quatre talents issus du chantier de réinsertion Mode Estime à Saint-Denis. Nous avons rencontré Paul qui nous a partagé sa volonté de favoriser la valorisation de soi à travers la collaboration créative.

D’où viens-tu et comment te présenterais-tu ?

J’ai fait Néoma, une école de commerce à Rouen, et je me suis spécialisé dans l’entrepreneuriat tout en m’intéressant à la création en général, puis à la mode plus récemment. Avant de choisir cette voie, j’ai hésité à me lancer dans des formations d’arts appliqués mais je n’étais pas certain d’avoir vraiment une âme d’artiste. Finalement j’ai préféré faire des études généralistes en me disant que dans un deuxième temps, je pourrais me tourner vers des métiers créatifs.

J’ai créé About a Worker avec Kim Hou. Elle est designer de la marque et je m’occupe plus de la partie technique et commerciale. On s’est rencontrés à Londres où on faisait tous les deux un échange universitaire, et on est devenus potes. On est restés en contact et pour son projet de fin d’études de design, elle avait l’idée de créer une marque qui soit désignée par des ouvriers d’usine. Pendant mes études j’avais aussi créé une marque de tee-shirt qui s’appelait La Boulengerie. Donc quand Kim a eu besoin de rencontrer des professionnels de l’industrie du textile, elle m’a parlé du projet, et j’ai accepté de l’aider.

J’ai créé About a Worker avec Kim Hou. Elle est designer de la marque et je m’occupe plus de la partie technique et commerciale. […] Pour son projet de fin d’études de design, elle avait l’idée de créer une marque qui soit désignée par des ouvriers d’usine. - Paul Boulenger, co-fondateur d’About a Worker.

Quelles ont été tes expériences professionnelles avant de monter ce projet ?

J’ai fait des stages dans un studio de design, dans une galerie d’art à Shanghaï, un stage de 6 mois au Maroc chez un intermédiaire en production textile, où là je me suis vraiment rendu compte de comment on crée les vêtements, tous ces ouvriers à la queue-leu-leu qui fabriquent des jeans ou autre. Ensuite, j’ai aussi été assistant chef de produit accessoires pour la Maison Kitsuné. Ça a été une expérience très enrichissante car je me suis rendu compte de ce qu’était le travail d’un studio de mode qui marche bien en France et à l’international. Après ça, j’ai travaillé de façon un peu transversale pour une marque parisienne de sacs à main, ça s’est aussi super bien passé. C’était une petite équipe mais ouverte aussi à l’international, et très connue au Japon. Je me suis vraiment éclaté, je faisais l’intermédiaire avec les usines, c’était plutôt sympa.

Que t’ont apporté ces expériences ?

Je me suis rendu compte que j’adorais la création, que toucher vraiment au produit et à la matière, et pouvoir remonter le plus en amont possible dans le processus de fabrication/production était particulièrement intéressant parce que ce sont des choses que les gens ne voient pas. Et en parallèle, le développement de ma marque de tee-shirts m’a permis, au moment de travailler avec Kim, d’avoir cette double expérience : entrepreneuriat et production de mode.

Paul Boulenger et Kim Hou, fondateurs de la marque About a Worker - Paris.

Quel a été votre cheminement pour créer About a Worker ?

La Design Academy, l’école où Kim est allée en Hollande est une école de design mais qui est plus basée sur la façon de réfléchir, de penser et sa spécialité tournait autour du design d’idées, de la création de concepts plutôt que la fabrication de produits. Elle était aussi vraiment intéressée par la mode, les problématiques sociales, environnementales et son idée était de créer des liens entre les différents acteurs de la mode : d’un côté l’élite, les grands designers, les grands influenceurs, de l’autre le consommateur et au milieu l’ouvrier qu’on ne voit jamais. De fil en aiguille, la problématique a été : comment donner la parole par la création à des gens qui n’ont pas à la base de compétences créatives ?

Kim était vraiment intéressée par la mode, les problématiques sociales, environnementales et son idée était de créer des liens entre les différents acteurs de la mode : d’un côté l’élite, les grands designers, les grands influenceurs, de l’autre le consommateur et au milieu l’ouvrier qu’on ne voit jamais.

Comment êtes-vous passé à la concrétisation du projet ?

À l’époque, les professeurs de Kim lui avaient dit : « Écoute, c’est une super idée mais aucune usine n’acceptera de travailler avec toi. » Au début, sa volonté était vraiment d’aller en Chine, en Inde, ou au Bangladesh, là où les usines s’effondrent sur les ouvriers et d’aller changer les choses là-bas. C’est toujours notre but ultime mais dans un premier temps, il fallait qu’on se lance à une échelle plus réduite. Via mon projet de tee-shirt, je connaissais un petit atelier de réinsertion à Saint-Denis, où ils emploient une vingtaine de personnes qui ont un handicap physique ou social et qui font de la couture pour des créateurs et aussi pour des objets promotionnels. La directrice de l’atelier a été très enthousiaste et ça a commencé comme ça. On a fait une première collection test qui a pris 6 mois et qui nous a encouragé à en parler tout autour de nous et au-delà, aux gens liés à la mode et au design de près ou de loin. Au fur et à mesure, la sauce a pris !

Comment se déroule l’élaboration d’une collection ?

Alors, les workers prennent tous part à des ateliers couture et suivent une formation d’initiation au design en quatre étapes qu’a créée Kim. Puis elle leur explique comment se fabrique une collection, d’un tableau de tendances au produit fini. Et on crée une collection en totale collaboration. Les ouvriers sont libres sur ce qu’ils veulent créer. Le but étant qu’ils puissent s’exprimer en s’inspirant de leur propre vie et de leur expérience dans l’industrie textile. D’un point de vue humain, c’est très positif, le projet leur permet généralement d’acquérir une meilleure estime d’eux-mêmes. C’est vraiment expérimental et éducatif, on utilise la création pour rendre visible ceux qui ne le sont pas habituellement. On souhaite que ces collaborations atypiques inspirent les professionnels de la mode à repenser l’industrie du textile de façon plus responsable.

Les workers prennent tous part à des ateliers couture et suivent une formation d’initiation au design en quatre étapes qu’a créée Kim. Puis elle leur explique comment se fabrique une collection, d’un tableau de tendances au produit fini. Et on crée une collection en totale collaboration.

Quelle est la suite pour ces ouvriers, une fois la collection terminée ?

En juin dernier, on a été invités par les Beaux-Arts de Paris. On y a fait une installation où on a recréé toute une usine et une chaîne de production. Dans ce cadre, on a aussi organisé des ateliers de customisation de vêtements, de réparation et on a demandé aux quatre ouvriers qui avaient travaillé avec nous à Saint-Denis de venir animer ces ateliers. Ça a été l’opportunité pour eux d’être, pour la première fois de leur vie et sûrement la dernière, professeurs aux Beaux-Arts. On est encore une toute petite équipe mais dans la mesure du possible, on essaye d’avoir des relations sur le long-terme, de leur mettre à disposition notre réseau et que ce soit aussi bénéfique pour eux que pour nous.

Est-ce qu’il y a d’autres collections à venir bientôt ?

Oui, on a eu l’occasion de travailler avec la prison pour femmes de Venise. On a été invités à présenter la marque à la Biennale de Venise et donc on s’est dit qu’on allait faire une collection sur place. L’organisation du festival nous a mis en contact avec l’administration de la prison et donc la collection est en ce moment exposée là-bas. On va la présenter à Paris début 2019 normalement…

On a aussi été invités à la Fashion Week de Shanghai à la rentrée, ce qui nous a ouvert quelques portes au niveau du marché de l’Asie. On a le projet d’une collection en Amérique Latine qui se développe tranquillement, une collaboration avec une marque et plein d’autres choses dans les cartons ! Avec toujours en tête, ces trois axes : la mode, le social, l’art & le design puisqu’on essaye toujours de mettre en avant la marque sous forme d’installations, de performances artistiques.

Qu’est-ce qui est le plus enthousiasmant pour toi au quotidien ?

Je pense que le plus enthousiasmant, c’est d’avoir un impact assez direct sur les gens. Ce qu’on fait dans les ateliers, c’est bénéfique même si on en est qu’au début. C’est gratifiant de monter un projet avec plein d’acteurs différents. C’est génial parce qu’aucune journée ne se ressemble : hier on était à un séminaire au CNRS avec des chercheurs en sociologie, on était à la Fashion Week à Shanghaï il y a trois semaines, c’est hyper varié.

Je pense que le plus enthousiasmant, c’est d’avoir un impact assez direct sur les gens. Ce qu’on fait dans les ateliers, c’est bénéfique même si on en est qu’au début. C’est gratifiant de monter un projet avec plein d’acteurs différents.

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