Ça marche vraiment les réseaux sociaux d'entreprise ?

23. 2. 2021

8 min.

Ça marche vraiment les réseaux sociaux d'entreprise ?
autor
Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

Les outils de communication internes ont pris de nouvelles formes depuis une dizaine d’années : l’intranet, très top-down, a laissé la place aux réseaux sociaux d’entreprise (RSE) qui véhiculent une approche plus collaborative de l’information. Reflets de la culture digitale actuelle, ils sont aussi le moyen de répondre aux nouvelles attentes des salarié·e·s : un modèle d’entreprise « désiloté » offrant davantage de transparence et d’échanges. Mais qu’en est-il vraiment ? Les RSE sont-ils utilisés ? Qu’apportent-ils à une organisation ? Après plusieurs épisodes de confinement, alors que les équipes sont de plus en plus dispersées, il convient de s’interroger sur leur rôle effectif au sein de ce nouveau maillage organisationnel. Sont-ils synonymes de plus de collaboration et d’intelligence collective ? Pour nous éclairer, nous vous proposons les recommandations d’un expert et le retour d’expérience de la Cnam auprès de 75 000 utilisateurs.

De l’intranet au Réseau Social d’Entreprise : le grand bond en avant vers l’organisation collaborative ?

Depuis quelques années, les intranets sont devenus incontournables pour accélérer la communication interne des entreprises. Avec la déferlante collaborative au sein des organisations, ces outils se sont adaptés afin d’offrir de nouvelles fonctionnalités. Plus transverses et participatifs, ils ont laissé la place au réseau social d’entreprise (RSE). Le but ? Faire de l’entreprise un réseau d’acteurs, internes ou externes, en droit de s’exprimer. C’est surtout un outil qui facilite le partage d’informations et des expertises : téléchargement des documents de référence, annuaire des contacts selon les services, actualités produits ou services, référencement des expert·e·s…

Ainsi, la révolution digitale aurait transformé l’entreprise en une communauté d’individus plus collaborative et affranchie des hiérarchies et des frontières de temps et de lieux. Pourtant, en regardant de plus près l’utilisation effective des RSE avant la crise de la COVID-19, on remarque une sous-exploitation : 25 % des managers et 17 % des salarié·e·s les utilisent régulièrement. Aujourd’hui, la donne a changé : la crise du coronavirus, du fait de la généralisation du télétravail et de la situation de confinement forcé, a fait exploser l’usage des solutions digitales de collaboration. Ces outils deviennent incontournables… à condition que « le réseau social soit inscrit dans une stratégie d’entreprise et réponde à des enjeux et objectifs » selon Yoann Greffier, fondateur d’Exergue conseil, agence conseil en communication interne & RH.. Il faut proscrire le « RSE gadget » et bien prendre acte de la configuration de l’entreprise avant tout déploiement : « la culture, la maturité digitale, l’organisation (pyramidale, horizontale, en silo…), la volonté de la direction de laisser la parole aux collaborateur·rice·s etc. ».

Réseau Social d’Entreprise : 3 bénéfices clés pour l’entreprise dispersée

Une communication 360°

Les solutions collaboratives encouragent la transmission désintermédiée d’informations auprès de tous les acteurs : de la Direction auprès des collaborateur·rice·s et inversement, les salarié·e·s entre eux, entre managers et managé·e·s, auprès des clients également… Cela participe à la création d’une forme de proximité limitant les « îlots d’information». C’est aussi un coup d’accélérateur au partage d’expérience et à l’interactivité. Selon Yoann Greffier « cela s’inscrit dans une tendance de fond : celle de l’horizontalisation des entreprises. À la fois au niveau des organisations et de la communication interne, ce qui permet des échanges plus simples, décloisonnés et bénéfiques pour tous ». En effet, les salarié·e·s « ne consomment plus simplement l’information de manière descendante mais en deviennent contributeurs et acteurs ».

La collaboration et l’engagement renforcés

Les RSE jouent également un rôle clé dans l’engagement des salarié.e.s. D’abord, dans le fait d’améliorer la gestion de projet grâce à un accès en temps réel et à la transparence des informations. En ce sens, Yoann Greffier explique que ce type d’outils facilite l’acculturation des collaborateur·rice·s au mode projet « grâce aux espaces collaboratifs et au partage de documents ce qui invite les salarié·e·s à davantage contribuer. C’est un moteur d’implication et d’engagement ». Les collaborateur·rice·s peuvent s’investir davantage sur des projets transverses et démontrer leur intérêt ou leur expertise sur des thématiques ou problématiques identifiées. Chacun peut ainsi valoriser ses compétences : ce qui facilite la détection de talents et créer un levier de reconnaissance et de motivation individuelle.

Mise en avant de la cohésion et la culture

4 salariés sur 10 se sentent aujourd’hui isolés et 3 sur 10 déclarent mal vivre le télétravail au quotidien selon une enquête réalisée par Harris Interactive du 4 au 8 novembre 2020 pour le ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion. La mise en place d’un RSE aide au maintien de la cohésion sociale. Au sein de communautés transversales, les collaborateur·rice·s peuvent à la fois mener des projets ou échanger sur des centres d’intérêt communs. Ces échanges informels et collectifs sont vecteurs de liens et favorisent le décloisonnement. Pendant le confinement par exemple, beaucoup d’entreprises ont lancé des concours ou des discussions autour de séries télévisées, de recettes de cuisine ou d’activités pour occuper les enfants ! Enfin, le RSE demeure également une caisse de résonance des valeurs et de la culture de l’entreprise : mise en avant de projets, d’initiatives, écoute des collaborateur·rice·s, transparence des informations, feedback… Tout ceci participe au maintien d’une vision commune autour de laquelle le collectif se retrouve.

Réussir le déploiement de son Réseau Social d’Entreprise : conseils et retour d’expérience

Prérequis : les conditions de succès du déploiement d’un RSE

L’implémentation d’un RSE sous-tend un changement culturel car « ce sont avant tout les usages et les pratiques qui changent » insiste Yoann Greffier. Pour cela, Charles-Henri BESSEYRE des HORTS, Professeur Emérite à HEC Paris, conseille aux entreprises de s’appuyer sur les conclusions d’un article paru dans la Harvard business Review. La journaliste, Francesca Gino, y affirme que la collaboration ne se développe réellement que dans les entreprises qui ont les « attributs mentaux » suivants :

  • Le respect des contributions de tout le monde

  • L’ouverture à l’expérimentation des idées des autres

  • La sensibilisation à l’impact de ses actions sur le travail des autres et les résultats de la mission.

Puis, Yoann Greffier recommande de mener 6 actions clés pour préparer au mieux le déploiement d’un Réseau Social d’Entreprise :

  • Rédiger un cahier des charges avec une position claire de l’entreprise sur le niveau d’interactivité : « il faut placer le curseur dès le début : dans quelle mesure laissez-vous la parole aux salariés et comment ? »

  • Choisir son outil : soit il s’intègre à une stratégie digitale où l’on veut faciliter les connexions avec les autres outils préexistants dans l’entreprise, soit on choisit un outil parce qu’il est intuitif pour les salariés sans se préoccuper de sa bonne intégration dans le SI de l’entreprise (mais c’est dangereux). C’est pourquoi, communication, RH et DSI doivent se coordonner pour faciliter les passerelles techniques.

  • Cadrer les espaces collaboratifs à savoir réfléchir aux règles d’ouverture ou encore l’animation souhaitée : « qui peut contribuer, qui liker ou commenter ? C’est clé pour éviter le chaos ».
    Créer une charte d’utilisation pour éviter « les dérapages qui sont rares dans le cadre professionnel ». Également, il est nécessaire d’envisager une charte rédactionnelle afin d’harmoniser les contenus s’il y a plusieurs contributeurs.

  • Définir une gouvernance claire et partagée : « quelles sont les règles du jeu et qui est chargé de modérer ou de valider les contenus (si nécessaire) ? »

  • Réaliser un plan d’accompagnement et de promotion : formations, démonstrations, création d’un groupe d’ambassadeurs intégrés au projet en amont…

Lire aussi : Les 5 défis RH incontournables de l’année 2021

Retour d’expérience : liam, le Réseau Social d’Entreprise de l’Assurance Maladie lancé auprès de 75 000 salarié.e.s

Vanessa Bernon, Chargée de mission au sein du cabinet du directeur général de la Cnam (Caisse nationale de l’Assurance Maladie), nous confie les bonnes pratiques de déploiement de leur digital workplace au sein d’un large réseau de plus de 156 entités.

Définir la raison d’être de son Réseau Social d’Entreprise

« Au sein de l’Assurance Maladie, nous parlons plutôt de plateforme collaborative car nos enjeux sont plus larges qu’un RSE. Il s’agit de faciliter les échanges nationaux, régionaux et locaux, de mieux partager l’information afin d’améliorer la performance collective, mais aussi de répondre aux aspirations des collaborateur·rice·s qui souhaitent travailler de manière plus transversale et améliorer le mode projet ».

Choisir l’outil adéquat

« Avant liam, nous avons pu tester une première plateforme collaborative dédiée aux collaborateurs de l’Assurance Maladie en charge de la communication (600 personnes). Ce qui nous a permis d’expérimenter les premiers cas d’usage. Puis, nous avons également mené plusieurs benchmarks d’outils. Finalement, nous avons retenu Jamespot ». Leur objectif était d’offrir aux collaborateur·rice·s une plateforme avec une courbe d’apprentissage courte : des outils autoporteurs un peu comme Facebook ou LinkedIn. « De plus, nous souhaitions une solution en mode Saas avec les données hébergées en France ».

Identifier les usages internes

Au-delà de l’outil, la question des usages est primordiale pour garantir l’appropriation. « Au niveau de l’Assurance Maladie, il existe 156 organismes répartis sur tout le territoire. Cela fait beaucoup de sites à informer et à coordonner : liam vient ainsi se positionner comme un accélérateur d’échanges entre tous les salarié·e·s ».
Dans cette optique, trois grands types d’usage ont pu être identifiés :

  • L’animation des équipes : « beaucoup de managers ont ouvert des groupes pour animer leurs équipes, donner des nouvelles et continuer le travail collaboratif. Cela a joué un rôle de ciment au sein des équipes en télétravail pendant les confinements ».

  • Le mode projet est facilité par les fonctionnalités de l’outil : « pour organiser les réunions ou encore gérer les banques documentaires ». liam intègre par exemple un tableau kanban pour piloter les activités et les projets.

  • Les remontées d’information du terrain et la diffusion de bonnes pratiques avec la création de communautés métiers : « nous en comptons 19 autour de thématiques telles que les ressources humaines, les juristes, l’action sociale ou la relation client. C’est un énorme gain de temps pour animer le réseau des référents métier en local ».

Déployer par étapes

Les changements induits par la mise en place d’une plateforme collaborative génèrent tout naturellement des réserves de la part de certains salarié·e·s. Les collaborateur·rice·s non initiés aux réseaux sociaux sont souvent les plus réfractaires. Il faut donc y aller par étapes. « Nous avons réalisé un pilote de juin à décembre 2019 auprès de huit organismes représentant 4 000 utilisateurs. Au regard du bilan positif, nous étions prêts à lancer la généralisation mais il fallait procéder de manière progressive ». La phase pilote a mis en évidence qu’il existait, comme souvent lors de l’implémentation d’un nouvel outil, un fort besoin d’accompagnement dans les usages. « Nous avons lancé une série de webinars, notamment à destination des managers, afin d’expliquer ce que liam pouvait leur apporter dans la gestion quotidienne de leurs équipes. De nombreux tutos sur les fonctionnalités phares ont également été réalisés ». La phase de déploiement s’est alors tenue de janvier 2020 jusqu’à fin juillet 2020 afin d’embarquer 75 000 collaborateurs à ce jour.

Suivre les indicateurs

Les résultats sont très prometteurs : 17% de taux d’engagement (au moins un Like ou un commentaire déposé) ce qui est au-dessus des moyennes et 60% de connexion (au moins une connexion depuis un an). « En comparant les retours de l’enquête annuelle de décembre 2019 et ceux de décembre 2020, nous observons une augmentation des habitudes de connexion journalières : 71 % des répondant·e·s nous disent se connecter tous les jours ». Autre point clé : les managers adhèrent largement à la plateforme collaborative. « Lors des confinements, ils ont vu tout le potentiel de l’outil pour animer leurs équipes et maintenir le lien ». Quant aux communautés métiers, « certaines sont déjà très actives et répondent à notre enjeu phare : celui de développer le lien d’appartenance autour d’une communauté de travail et de valeurs. Mais il faut au moins 6 mois pour que les nouvelles méthodes de travail se mettent en place et que la co-construction s’organise ».

Être patient… pour observer les premiers bénéfices

« Nous n’en sommes qu’au début : pour observer l’ampleur des impacts d’une plateforme collaborative ou digital workplace, il faut s’inscrire dans un temps long ». Dans tous les cas, les premiers bénéfices sont observables : « liam aide à améliorer le lien au sein des différentes communautés : partager un même objectif, donner du sens à l’action collective et renforcer la cohésion ». Autre impact positif : le fait de mieux se connaître. « Notamment dans le cadre de l’arrivée de nouveaux collaborateur·rice·s : ils/elles s’imprègnent plus rapidement de la culture d’entreprise et identifient facilement le rôle de chacun grâce à la transparence offerte par la plateforme ». Pour finir, Vanessa Bernon insiste sur l’entraide et la bienveillance au sein des équipes : l’outil offre un cadre où peuvent germer les idées grâce à l’intelligence collective.

Les 4 « takeaway » pour lancer son Réseau Social d’Entreprise

  • « Mettre l’humain au cœur de sa stratégie de conduite du changement ». Le meilleur outil ne sert à rien sans avoir réfléchi à sa raison d’être et en l’absence de réflexion amont sur l’accompagnement de tous les salarié·e·s « des plus aguerris aux plus éloignés de ce type d’outil ».

  • Le sponsoring du top management et/ou de la direction : « il est important d’être soutenu au plus haut niveau afin d’impulser le changement et donner une vision stratégique à l’outil ».

« Le déploiement d’un RSE doit s’inscrire dans l’écosystème des outils internes déjà existants pour travailler la complémentarité ». Il faut donc éviter l’effet mille-feuille car « plus personne ne sait quel outil utiliser pour quel usage ».

  • La co-construction des usages avec les collaborateurs. « Si on veut en faire un outil au service du travail quotidien, il faut prendre le temps de bien comprendre les usages clés et les besoins des métiers ».

Observatoire des Rythmes du Travail

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