Se lancer dans des études de médecine à 30 ans, la reconversion d'Éric

15. 9. 2020

4 min.

Se lancer dans des études de médecine à 30 ans, la reconversion d'Éric
autor
Marlène Moreira

Journaliste indépendante.

Reprendre ses études de médecine à 30 ans, une idée folle ? Après 6 ans en tant que kinésithérapeute, la crise sanitaire a donné envie à Eric de reprendre un projet mis de côté depuis trop longtemps : devenir médecin ! Témoignage.

Ma mère a toujours été persuadée que j’avais hérité du don de sa grand-mère, que j’étais capable de soigner avec mes mains. À l’époque, parce que j’aimais le sport et le contact humain, ma voie semblait donc toute tracée. À l’inverse de mes amis, je n’ai jamais eu l’ambition de devenir footballeur, astronaute ou star de cinéma. Je n’avais qu’une seule idée en tête : je serai kiné.

Après le bac, je suis donc entré en école de kiné sans me poser de questions. J’ai adoré, c’était comme une évidence pour moi. C’est seulement pendant mon stage de 3ème année auprès de l’équipe de réanimation de l’hôpital d’Annecy que j’ai réalisé que je m’étais peut-être trompé de voie… J’ai découvert l’effervescence de l’hôpital, l’unité et la solidarité qu’il y avait entre chacun des membres de l’équipe, l’énergie qu’ils dégageaient. Mais j’ai aussi compris que la place du kiné était très dépendante du médecin en charge, que je n’aurai jamais la vue d’ensemble sur le cas d’un patient et que je ne serai jamais celui qui prendrait les décisions. Bref, j’ai compris que ce qui me faisait réellement vibrer, c’était le métier de médecin.

J’ai découvert l’effervescence de l’hôpital, l’unité et la solidarité qu’il y avait entre chacun des membres de l’équipe, l’énergie qu’ils dégageaient.

À l’époque, il n’existait pas de passerelle entre les études de kiné et de médecine. Cela signifiait donc reprendre mes études depuis le départ. Alors j’ai laissé l’idée de côté, j’ai eu mon diplôme de masseur-kinésithérapeute et j’ai commencé à faire des remplacements en France et à La Réunion. L’attrait de la blouse blanche m’est passé, un peu. En tout cas, je parvenais à faire taire cette petite voix dans ma tête qui me poussait à tout plaquer pour tout recommencer.

Je parvenais à faire taire cette petite voix dans ma tête qui me poussait à tout plaquer pour tout recommencer.

Il faut dire que j’étais bien occupé à l’époque. En parallèle de mon boulot, ma carrière sportive a commencé à prendre de l’ampleur, je suis devenu capitaine de l’équipe de France d’Ultimate Frisbee. J’ai rencontré celle qui est devenue ma femme. Nous avons acheté un appartement en ruine que j’ai mis plusieurs mois à retaper intégralement. Être kiné en libéral me permettait d’être flexible sur mes horaires et d’articuler tous mes projets. Ça a été ma vie pendant quelques années. C’était parfait.

Jusqu’à ce que j’ai besoin de changement, d’un nouveau projet. Alors j’ai eu envie de monter mon propre cabinet. C’était une nouvelle aventure, et cela me semblait être la suite logique de mon parcours. Avec deux collègues et amis, on a commencé à travailler sur un concept, on s’est mis en recherche d’un local… puis la COVID est arrivée.

J’ai dû arrêter de recevoir mes patients, les compétitions d’Ultimate Frisbee ont été annulées, je ne pouvais plus voir mes proches, et même mon magasin de bricolage préféré a fermé ses portes… Impossible pour moi d’imaginer passer toute la journée enfermé, les bras croisés, avec tout ce qui se passait dehors. Assez naturellement, j’ai proposé mes services à l’hôpital à côté de chez moi, via une agence d’intérim. J’avais besoin de “faire ma part”. On m’a offert un poste dans un service de gériatrie. Puis dans une unité COVID. J’ai retrouvé l’effervescence de l’hôpital et des urgences, et j’ai été très vite intégré par l’équipe en place, qui m’a accordée sa confiance. Mais surtout, j’ai vu des médecins très affectés, qui découvraient une forme d’impuissance qu’ils n’avaient pas forcément connu jusqu’ici. Et des patients qui se battaient jusqu’au bout avec ce qu’il leur restait de force.

J’ai retrouvé l’effervescence de l’hôpital et des urgences, et j’ai été très vite intégré par l’équipe en place, qui m’a accordée sa confiance.

Ça a été le déclic. J’ai compris que la voix dans ma tête ne se tairait jamais. J’ai tenu une semaine avant d’en parler à ma femme : il FALLAIT que je change de métier. Je ne me voyais plus faire autre chose. Mais à 30 ans, on est quand même plus raisonnable qu’à 20. Et quand on a un prêt immobilier, on ne peut pas tout quitter sur un coup de tête. Alors j’ai beaucoup échangé avec mon entourage. Ma femme, comme à son habitude, s’est montrée immédiatement enthousiaste et m’a soutenu sans émettre l’ombre d’un doute. Ma famille également. Puis il a fallu l’annoncer aux deux collègues avec qui j’avais ce projet de création d’un cabinet. Ça a été difficile, pour eux comme pour moi.

Ça a été le déclic. J’ai compris que la voix dans ma tête ne se tairait jamais.

Afin d’officialiser ma démarche, j’ai rencontré le vice-doyen de la faculté de médecine pour lui parler de mon projet. Il m’a soutenu et d’ici quelques mois, je me présenterai devant un jury qui acceptera (ou non…) mon dossier et déterminera si je passe directement en deuxième ou en troisième année. Ensuite, je suivrai le parcours classique : internat, externat, spécialité. Probablement, la pédiatrie. Je devrais donc officiellement être médecin… en 2031 ! J’aurai 40 ans (rires).

Entre temps, cela va évidemment demander quelques sacrifices. Financier, évidemment. Les quatre premières années, je bénéficierai seulement d’une indemnité de stage d’environ 300€. On va devoir se serrer la ceinture. Je vais également devoir freiner sur les compétitions sportives, non seulement parce que c’est un sport que j’auto-finance et qui demande beaucoup de déplacements, mais aussi parce que j’aurai beaucoup moins de temps. Nous allons devoir trouver un nouvel équilibre, un nouveau rythme. Jusqu’ici je passais mes soirées et mes week-ends à vadrouiller, faire du sport, faire la fête avec ma femme et mes amis. Bientôt, je troquerai ça contre une graaande pile de bouquins, de fiches et de stabilos de toutes les couleurs.

J’ai conscience que tous ces sacrifices sont importants, mais je les fais en connaissance de cause. Et ce qui est sûr, c’est que je ne serai pas le même étudiant aujourd’hui que je l’aurais été à 20 ans. Je sais pourquoi je fais ça, j’ai plus de recul. J’ai déjà une expérience de l’hôpital et de la prise en charge d’un patient, je sais dans quoi je m’embarque. Sans vouloir être pessimiste, je pense que cette crise est la première d’une longue série. Je veux avoir les moyens d’agir. Et c’est en tant que médecin que j’aurai le plus d’impact.

Photo d’illustration by Unsplash