PSE, vague de départ, réorganisation : comment accompagner “ceux qui restent” ?

19. 10. 2020

7 min.

PSE, vague de départ, réorganisation : comment accompagner “ceux qui restent” ?
autor
Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

Le contexte socio-économique n’est pas au beau fixe depuis le début de la crise sanitaire qui a mis en berne le tissu économique français. Pour faire face, les entreprises s’adaptent comme elles le peuvent : réorganisation, coupure de budgets, gel des embauches ou encore plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) et/ou plan de départ volontaire (PDV). Côté salarié.e.s, les impacts sociaux émergent doucement : l’Insee prévoit un taux de chômage à 9,5 % à la fin de l’année 2020. Dans un environnement incertain et rythmé par des vagues de départ, comment maintenir la motivation interne ? Quelles actions mettre en place pour renouer avec la confiance des équipes au sein d’organisations fragilisées ? Des questions urgentes à adresser alors que les dirigeant.e.s ont besoin de s’appuyer sur l’engagement de leurs collaborateurs/collaboratrices pour renouer avec la croissance. Un challenge RH de taille qui, à terme, s’il est bien mené, permettra certainement à certaines entreprises de se démarquer.

Un contexte économique tendu qui fragilise les entreprises

Sans surprise, l’économie française est beaucoup moins dynamique depuis la crise sanitaire liée à la COVID-19. Le produit intérieur brut (PIB) a chuté de 13,8% au deuxième trimestre. En effet, en plein confinement, l’activité économique avait baissé de 29% par rapport à son niveau “normal”, selon l’Insee. En 2020, la France expérimente ainsi une récession hors norme : l’Insee parle d’une baisse historique du PIB de 9%. Face à l’ampleur des dégâts et pour juguler les impacts sociaux, le gouvernement tente de sauver le tissu économique à coup de milliards. Malgré tout, en termes de prévision, le taux de chômage devrait atteindre 9,5 % fin 2020 (toujours selon l’lnsee). On observe déjà une multiplication de suppressions de postes et de plans sociaux dans les entreprises. En août 2020, 345 plans de sauvegarde de l’emploi (PSE), ce qui équivaut à 51 000 emplois, ont été recensés depuis mars, contre 231 sur la même période l’année précédente.

Vague de départ, suppression de postes… la black list 2020

Les fragilités financières latentes de certaines entreprises n’ont pas résisté à la crise. Elles ont même été amplifiées, amenant un bon nombre d’enseignes à prendre des décisions radicales. Tous secteurs confondus - retail, aéronautique, distribution, habillement - on ne compte plus les enseignes qui affichent des indicateurs dans le rouge :

  • André, Naf Naf et Alinéa ont déjà été placées en redressement judiciaire
  • Auchan a annoncé en septembre 2020 une réduction de ses effectifs entraînant la suppression de 1475 postes
  • Renault a également confirmé la suppression de 4600 postes sur ses sites français
  • Dans la même veine, Valeo en supprime 2000 en France pour réduire ses coûts
  • Bridgestone a annoncé la fermeture en 2021 de son usine de Béthune, soit 863 personnes
  • Airbus a annoncé le 30 juin 2020 la suppression de 11% de ses effectifs, dont 5000 en France
  • Booking.com va réduire d’un quart ses effectifs. Même scénario pour TUI France qui lance un PSE pour 317 postes

Nous ne sommes qu’au début de la « vague ». Rappelons-nous, lors de la crise de 2008, les plans de sauvegarde de l’emploi avaient augmenté sur plus de deux ans : on en comptait 1052 en 2008 puis 2241 en 2009.

Des effets délétères sur l’engagement et la reprise

Le Directeur du cabinet RH Dialogue&Compétences, Nicolat Mazet, apporte des précisions sur le contexte actuel et ses impacts organisationnels dans une tribune pour Parlons RH : « C’est une période de forte incertitude qui s’est ouverte pour les employeurs et les salariés. Jusqu’ici, les entreprises pouvaient se projeter à six mois ou un an, aujourd’hui, elles ont à peine un mois de visibilité ». Face à cette ambiance morose, la réplique est assez fulgurante sur le moral des salarié.e.s : d’après une enquête sur les impacts professionnels et personnels du confinement mené par le même cabinet, 30 % des salarié.e.s estiment que la crise sanitaire rend leur avenir professionnel incertain et 14 % qu’elle pourrait être responsable de la perte de leur emploi.

Or, le niveau d’engagement des collaborateurs / collaboratrices conditionne la santé de l’entreprise et, par extension, la teneur de la reprise économique. Les recherches menées par Gallup montrent une rentabilité supérieure de 21 % pour les entreprises ayant les niveaux d’engagement les plus élevés. Comment (re)créer un « travailler ensemble », du sens et de l’engagement au sein d’organisations tendues voire fracturées entre « ceux qui restent » et « ceux qui partent »?

PSE, fermeture de site ou réorganisation : un défi social interne d’envergure

Le syndrôme du survivant : savoir gérer le ressenti de « ceux qui restent »

Le syndrome du survivant est une notion en psychologie identifiée en 1957 par le Docteur W. Niederland, psychiatre qui a travaillé avec des centaines de rescapés de la Shoah. Il désigne le stress post-traumatique vécu par les rescapés de situations extrêmes ( actes terroristes, conflits armés, combats, torture, camps de concentration, génocides,…). Cette notion a été intégrée au domaine de la psychologie du travail car certains salarié.e.s ayant vécu des réorganisations ont présenté les mêmes symptômes. Les «restant.e;s » peuvent subir des troubles tels que l’anxiété, un sommeil agité ou de la dépression… Ces derniers / dernières sont convaincus d’avoir mal agi suite à la situation traumatisante, responsable de la « disparition » des autres.

La prise en compte de ce volet émotionnel et des risques psychosociaux (RPS) dans un projet de restructuration est une problématique clé à adresser. Selon Amélie R., ancienne DRH d’un groupe international qui a expérimenté plusieurs plans sociaux, « il faut faire preuve de proximité auprès des équipes, répéter les messages et écouter les gens. C’est épuisant mais indispensable pour maintenir un corps social stable dans la durée ». En termes de moyens, on peut mettre en place des dispositifs professionnels d’écoute salarial : une cellule et une ligne par exemple. Mais « c’est essentiellement le rôle du manager. Et ce n’est pas simple pour eux. Il faut les y aider : c’est le rôle des RH de les accompagner ».

Un corps social fragilisé : le rôle clé des managers

Lors de période de grands changements, managers, équipe RH et collaborateurs/ collaboratrices vivent conjointement des situations humaines complexes. L’ambiance, les ressentis et la motivation sont affectés. Toute l’expérience collaborateur se trouve fragilisée. Amélie R. souligne : « la plus grande difficulté est de donner du sens et de la perspective. Particulièrement lorsque les restructurations touchent la question de l’emploi. Les personnes sont souvent tétanisées avec la peur au ventre d’être la prochaine sur la liste ». Une ambiance délétère d’autant plus complexe à gérer quand on y ajoute deux facteurs : l’âge et l’ancienneté des équipes. « Pour des structures où l’âge moyen dépasse 45 ans et l’ancienneté est d’au moins 15 ans, le relationnel doit être pris en compte ». En effet, comment annoncer à un.e collaborateur/collaboratrice qu’il/elle doit partir alors que l’on connaît le prénom de ses enfants ? Comment expliquer à une personne avec qui l’on travaille depuis 10 ans qu’elle doit partir ? « On ne mesure pas assez ces aspects relationnels qui peuvent être vécus comme des drames », insiste Amélie R. Et les premier.e.s touché.e.s sont les managers. En première ligne, « ils doivent gérer les questions et doutes des équipes au quotidien, raconter l’histoire, continuer à diriger et motiver des collaborateurs parfois éreintées…». Ainsi, le point névralgique d’un projet PSE ou PVD (plan volontaire de l’emploi) demeure l’accompagnement des managers « qu’il faut outiller au maximum afin de minimiser les impacts humains sur le terrain. Un tandem manager-RH est fondamental ».

Le conseil d’Amélie R. ? « Au coeur de contextes douloureux, il est parfois compliqué de faire preuve d’empathie pour certains managers (et c’est normal). C’est pourquoi, il faut qu’ils soient extrêmement pro sur les aspects techniques : un manager doit connaître parfaitement le dossier pour répondre avec précisions à ses collaborateurs ». En clair, les situations à forts enjeux humains ne doivent laisser aucune place à l’approximatif.

Organisation « fracturée » : les leviers pour (re)mobiliser les équipes

Comment embarquer “ceux qui restent” dans un nouveau projet collectif ? Comment booster leur motivation individuelle ?

De l’information et une communication irréprochables

Selon Amélie R., la communication est clé dans une période critique et « l’enjeu est double » :

  • Il faut à la fois expliquer la situation actuelle de manière très factuelle, à savoir, pourquoi les décisions économiques impactent les emplois. « L’angle économique est le plus adapté ».

  • Puis, essayer de donner de la perspective en répondant à ces questions : « Où voulons-nous aller ? À quoi ressemblera l’organisation de demain ? Quelle est notre trajectoire dans les années à venir ? Pour bâtir une stratégie cohérente, il faut des équipes dirigeantes soudées et transparentes (autant que possible). Mais la projection n’est pas simple pour les salariés : il revient aux équipes RH de traduire ces messages afin de faciliter leur compréhension ».

Des politiques RH participatives et orientées « compétence »

Farah Malaoui, consultante et formatrice RH, a accompagné de nombreuses entreprises dans le cadre de projets PSE. Elle partage quelques leviers individuels et collectifs pour réactiver la motivation interne.

  • Au niveau individuel :

« C’est le moment de s’intéresser davantage au parcours individuel en proposant des dispositifs plus dynamiques pour les salariés afin de valoriser leurs expériences ». Cela passe par la mise en place de parcours de formation innovants : tutorat ou encore masterclass en ligne pour muscler les compétences et développer l’employabilité. « À la clé, il faut des certifications, des célébrations pour booster la reconnaissance et la confiance en soi, essentielles en période de crise ».

En parallèle, il s’agit de créer en interne des passerelles entre les métiers. En effet, « le marché du travail est en pleine mutation : des pans entiers de l’économie se transforment, les organisations suivent le pas ! Il faut donc expliquer aux collaborateurs/collaboratrices que leurs compétences sont transférables d’un poste à un autre et les aider à mener cette transition » Une idée qui fait écho à la réforme de la formation de 2018 qui met en avant le concept de « société de compétences » au-delà du métier ou du secteur d’activité. Comment cela se traduit-il ? « En interne, mettons en place des dispositifs de mobilité qui facilitent l’adaptabilité afin d’accompagner les salarié.e.s » dans leur transition, souligne Farah Malaoui.
Ces actions permettent de réactiver l’engagement personnel et renouveler le « pacte social » avec l’entreprise, fondé sur le développement des compétences pour les deux parties.

Lire aussi : « Les crises sont aussi des opportunités de redistribuer les cartes »

  • Au niveau collectif :

Quelle que soit la taille de l’entreprise, la crise invite à repenser les contours de l’entreprise et le sens du collectif. Selon Farah Malaoui, les restructurations sont des moments opportuns pour initier une approche plus participative. Concrètement ? « Je pense à des ateliers collaboratifs et des laboratoires d’idées. Ce sont des espaces d’écoute privilégiés pour entendre les collaborateurs, partager sur leur vécu et faire émerger les idées. Surtout, cela permet de les impliquer davantage dans les orientations stratégiques, mais aussi la direction opérationnelle de l’entreprise. Un peu sur le modèle de l’entreprise citoyenne, proposons des prises d’initiative, des ateliers de réflexion sur le travail, le management ou encore les valeurs etc. » Ces dernières ont, quelle que soit la structure, été bousculées, ne serait-ce qu’avec le télétravail.

Ce type d’ateliers est une manière d’investir dans les capacités de résilience collective face à l’incertitude inhérente au monde professionnel actuel. Quant aux entreprises, cela permet aussi de faire face à une volatilité des postes qui devient structurelle sur certains métiers. « L’enjeu est de faciliter l’adaptabilité des collaborateurs en même temps que l’organisation… et non la stabilité à tout prix qui risque de scléroser l’organisation ».