« Et si on arrêtait de croire que c'est grave d'être paumé à 20 ans ? »

28. 10. 2021

7 min.

« Et si on arrêtait de croire que c'est grave d'être paumé à 20 ans ? »
autor
Manuel Avenel

Journaliste chez Welcome to the Jungle

« À vingt ans, on est invincible, à vingt ans, rien n’est impossible », chantait si justement Lorie (on ne t’oublie pas). C’est un adage que s’est appliqué Victoria Guillomon, jeune diplômée de l’INSEEC Bordeaux et auteure du livre Ce qu’on n’apprend pas à l’école (Éd. Kiwi). À un âge où l’on nous demande encore de trouver rapidement une place dans la société, la jeune femme rebat les cartes en affirmant qu’il est plus urgent de vivre et d’apprendre à se connaître au travers d’expériences singulières. Également créatrice du podcast Nouvel Œil dans lequel elle tend le micro à des personnalités inspirantes, la bordelaise ouvre une réflexion sur ce que signifie avoir 20 ans en 2021 et adresse un message optimiste à la jeunesse.

Dans ton livre, tu évoques l’orientation post-bac en ces termes : on nous pose à un âge précoce la fameuse question « qu’est-ce que tu veux faire plus tard ? » Qu’est-ce que t’inspire cette question ?

Elle fait peur. Cette question on te la pose avant même de te demander qui tu es toi à un âge où tout est un peu flou. À part ceux qui savent depuis tout petit ce qu’ils veulent être ou ont une vocation, à 20 ans, la plupart des jeunes sont juste paumés. Jusqu’à ce moment, on nous a enseigné des matières où il fallait être le/la meilleur·e, sans qu’on nous dise concrètement en quoi ces matières nous seraient utiles dans le futur. Et du jour au lendemain, on nous demande de choisir une orientation en nous disant que ça sera le choix le plus décisif de notre vie. C’est effrayant. À cette époque, je me disais que si je faisais le mauvais choix cela aurait un impact sur tout le reste de ma vie. Finalement, on associe ce choix au fait de “réussir sa vie”, un peu comme s’il allait déterminer tout notre avenir. Quand on jeune, on ne cesse de nous dire de qu’il faut faire ça à tel âge, avoir son permis, puis à trente ans il faut que tu aies trouvé l’homme ou la femme de ta vie, que tu aies commencé à construire ta maison, que tu aies un CDI. Mais pourquoi ? Chacun avance à son rythme. Certaines personnes seront toujours en train de vadrouiller, de tester plusieurs projets à quarante ans et ce n’est pas grave. Au lycée, j’étais tout le temps stressée. Je voulais faire ce qu’on me disait, je faisais tout pour avoir des bonnes notes pour montrer à mes parents que j’avais réussi, alors qu’honnêtement, je n’étais pas épanouie.

« Se détacher du regard des autres, c’est très important pour éviter qu’on nous dicte nos choix »

Tu dis que cela amène les gens à faire des erreurs, car ils se précipitent pour coller à un schéma prédéfini.

Oui, environ un tiers des jeunes regrettent leur orientation. Comme on ne sait pas ce qu’on veut faire après la terminale, on est poussé à faire des choix par défaut. Ça a d’ailleurs été mon cas. Comme je ne savais pas ce que je voulais et que j’étais curieuse de tout, on m’a dit d’aller en école de commerce. En soit, la filière de journalisme de Sciences Po m’aurait peut être permis de m’épanouir davantage. Beaucoup d’étudiants font des erreurs d’orientation et après une à deux années, en changent. C’est bien qu’il y a des carences et qu’on ne nous a pas donné les bonnes clés pour bien choisir notre voie.

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Comment peut-on se défaire de cette pression subie, quand on a pas encore la prise de recul nécessaire ?

En réfléchissant sur soi, mais on ne nous apprend pas ça à l’école. Quand je dis « je prends du temps pour moi », ça peut sembler égoïste, ou pire, bizarre. Le temps seul avec soi-même est hyper tabou alors que je pense qu’on apprend à se découvrir dans ces moments-là. Dans mon cas, ce sont des voyages en solitaire en Inde et en Chine qui ont été un révélateur. Ils m’ont permis de me détacher de cette pression sociale, car j’arrivais dans des pays où personne ne me connaissait, où je n’avais rien à prouver à quiconque, j’étais juste moi-même. J’ai appris à me découvrir, à sortir de ma zone de confort, à faire les choses pour moi et je me suis construite. Se détacher du regard des autres, c’est très important pour éviter qu’on nous dicte nos choix.

« Pour moi, la chose la plus précieuse c’est d’avoir du temps, de se sentir libre et d’exercer un métier sans avoir l’impression de travailler »

Est-il plus urgent de vivre d’autres expériences à vingt ans ? Développer des savoirs-être plutôt que des savoirs-faire ?

Il faut prendre le problème à l’envers, d’abord apprendre à être et à savoir ce qu’on veut, avant de faire et de s’orienter. Plus on apprend à se connaître jeune sur comment agir en société, comment agir avec soi-même, plus on sera à l’aise dans le monde qui nous entoure et en cohérence avec les choix de vie qu’on fera. Et ça nous évitera probablement un burn out à 30 ans. Car on est alignés avec nos actions, on apporte quelque chose de positif à la société.

Quelle est ta vision d’un métier idéal ? J’ai l’impression qu’elle a beaucoup évolué entre le début de ton questionnement et l’achèvement de ton livre. Tu constates avec dépit que le symbole de la réussite pour beaucoup de gens, c’est de ne pas avoir de temps.

C’est vrai. Dans les repas de famille, on entend souvent « non mais je suis overbooké en ce moment, je n’ai pas le temps du tout ». J’ai l’impression que les gens ont du plaisir à dire ça, comme si ça voulait dire « je suis quelqu’un d’important car j’ai des hautes responsabilités ». Sauf que c’est triste. Ces personnes sont tout le temps dans la course et n’apprennent même plus à savourer ce qu’ils font, leurs petites victoires. Dès qu’ils vont atteindre un palier, ils vont tout faire pour monter encore plus haut. C’est une course sans fin. Pour moi, la chose la plus précieuse c’est d’avoir du temps, de se sentir libre et d’exercer un métier sans avoir l’impression de travailler. Maud Ankaoua (auteure, coach et conférencière, NDLR) écrit que le métier pour lequel on est fait, c’est celui pour lequel on serait prêt à payer pour le faire. C’est un indicateur puissant. Et c’est mon cas depuis deux ans avec mon podcast : je dépense de l’argent pour le réaliser.

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Tu évoques ton père qui est agriculteur et qui t’a transmis des valeurs de travail importantes. Peux-tu nous en dire plus ?

Quand j’avais 12 ans, je devais me lever à 5h du matin le dimanche pour aller traire les vaches, alors que je n’en avais pas du tout envie ! Je trouvais ça terriblement dur. Mais avec le recul je me dis que ça m’a appris à faire des choses que je n’avais pas forcément envie de faire. On passe tous par des moments de moins bien et ça m’a appris à persévérer quand ça ne marche pas, de me dire, continue, on va faire différemment. Accepter cette valeur du travail, c’était aussi une façon de me dire que tout ne tombe pas du ciel.

« J’aurais aimé qu’on m’encourage à toucher à différents sujets, à multiplier les expériences plutôt qu’à me dire “fais attention, tu en fais trop, tu vas échouer” »

La raison d’être du livre est d’adresser un message aux jeunes et de proposer des conseils. Qu’est-ce que tu aimerais dire à tous ceux qui n’ont pas encore trouvé leur voie, qu’est-ce que tu aurais aimé savoir sur le monde du travail avant de l’aborder ?

Moi j’aurais aimé qu’on me dise : quoi que tu aies envie de faire, n’ai pas peur et essaye, au pire ça n’aboutira pas, mais peut-être que dans deux ans ça te mènera à une rencontre qui t’ouvrira les yeux et te fera mettre le doigt sur ce pour quoi tu es réellement fait. J’aurais aimé qu’on m’encourage à toucher à différents sujets, à multiplier les expériences plutôt qu’à me dire « fais attention, tu en fais trop, tu vas échouer, il faut que tu te spécialises ». On m’a souvent dit qu’il fallait avoir un parcours cohérent, des expériences qui aillent dans un seul sens. On nous pousse à être très linéaire, à ne pas nous éparpiller. Or, c’est en tentant différentes pistes qu’on optimise nos chances de tomber sur le truc qui nous animera vraiment.

C’est pour t’inspirer de parcours différents que tu as créé ton podcast Nouvel Oeil. Que retiens-tu des 73 entretiens que tu as mené avec des personnalités aussi diverses que Jacques Attali et Yann Arthus-Bertrand ?

J’ai remarqué que ce que ces personnes faisaient aujourd’hui n’avait la plupart du temps pas de lien avec les études qu’elles avaient pu mener. Elles se sont épanouies, sont devenues reconnues, dans des domaines pour lesquels on leur disait « non ça ne marchera pas ». Dans chaque parcours, il y a une décision qui découle d’une pulsion de vie, un truc qu’elles avaient profondément en elles, auquel elles ont cru. Elles ont persévéré et beaucoup travaillé pour que ça fonctionne. C’est ça le fil conducteur des entretiens que j’ai menés. Ces personnes ont osé dépasser leur peur, le regard des autres, quitter un job qui ne leur plaisait pas pour avancer vers une route cabossée.

Est-ce que la question de ta légitimité pour écrire un livre de conseils à ton âge s’est posée ? Qu’est-ce qui t’as fait prendre conscience que c’était possible ?

Certains jours je me disais « mais pour qui tu te prends ? » Les gens me disaient que normalement on écrit un livre à trente ou quarante ans, quand on a de l’expérience, qu’on est devenu expert dans un milieu. Des pensées limitantes et un syndrome de l’imposteur. D’autres jours, lorsque je m’éloignais du regard des autres et que je me concentrais sur moi, je voulais que ce livre existe, qu’il atterrisse entre les mains de jeunes, car j’aurais voulu l’avoir et que ce n’était pas mon âge qui allait déterminer la vérité ou non de ce que j’allais dire. Ce que je pense a autant de valeur que ce qu’analyse une personne de quarante ans, et ça permettra à des jeunes de s’identifier davantage à mes propos. À partir de mes 18 ans où j’ai débuté l’écriture et jusqu’à mes 22 ans pour la publication, ce livre a finalement mis quatre ans à voir le jour.

Quels sont tes projets d’avenir ?

J’ai un gros projet prévu dans un an et demi. Avec tous les bénéfices des ventes de mon livre, je souhaite entreprendre un périple en passant par l’Afrique et le Moyen-Orient jusqu’en Inde - sans prendre l’avion - pour construire des projets de développement directement avec les habitants et redistribuer les recettes du livre. Et je voudrais faire un film documentaire de ce périple.

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Article édité par Romane Ganneval ; Photos par Jean Le Roy pour WTTJ

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