Networker quand on est étudiant, mission impossible ?

22. 7. 2020

9 min.

Networker quand on est étudiant, mission impossible ?
autor
Alexandre Nessler

Journaliste - Welcome to the Jungle

Olivia l’a encore en travers de la gorge. Il y a quelques mois, la jeune diplômée d’école de comm’, alors en recherche d’emploi et en discussions avancées avec une entreprise, s’est fait doubler par une candidate moins expérimentée. « Je la connais, elle n’avait aucune expérience en communication. Moi j’avais déjà fait trois stages dans ce domaine… » Il se trouve que l’invitée de dernière minute était amie avec des employés de l’entreprise tant convoitée, ce qui l’aurait aidée à décrocher le poste… C’est ainsi qu’Olivia a pu être témoin, à ses dépens, de l’importance du réseau professionnel. Un constat largement partagé par les professionnels avec plus de bouteille, comme le laisse entendre une étude Ipsos réalisée en 2015, selon laquelle 66 % des cadres estiment que le réseau est un outil incontournable pour réussir sa carrière.

Mais “du réseau” beaucoup n’ont pas la chance d’en avoir, surtout les étudiants et les jeunes diplômés, qui manquent fatalement d’expériences et ne maîtrisent pas encore parfaitement l’art du networking, par méconnaissance du sujet mais surtout par manque de confiance en eux. Nous sommes allés à leur rencontre pour comprendre pourquoi ce système communautaire les freine dans leur insertion professionnelle. Vous êtes dans ce cas ? On vous dit aussi comment y remédier.

« Seul-tout dans mon réseau »

Alors que dans la course aux stages et au premier emploi on doit faire face à une concurrence rude, surtout en période de crise, et assumer un CV encore peu garni, le réseau pourrait constituer un joli coup de pouce. « Pour bien débuter sa carrière mais aussi et surtout obtenir de bons conseils et se familiariser avec le monde de l’entreprise » souligne Nushad Merchant, en charge du réseau Alumni de l’école de commerce Audencia, où il a également été étudiant. Pourtant, c’est souvent à ce moment que le réseau s’avère être un peu trop maigre, faute de rencontres et d’expériences professionnelles. C’est là toute l’ambivalence du networking étudiant.

Quand on lui parle de son réseau, Lucas s’amuse : « Quel réseau ? » lance-t-il à chaque fois. Pour le jeune homme en poste depuis près d’un an dans une start-up parisienne, miser sur le networking pendant ses études, c’est mission quasi impossible : « Je me rends compte de l’importance du réseau que depuis que je suis en CDI. Il faut dire qu’au cours de mes stages, je n’ai gardé contact qu’avec quelques rares collègues, le plus souvent stagiaires eux-mêmes. » D’autant qu’il estime que les stages sont de trop courtes expériences pour créer de véritables liens : « En tant que stagiaire, on est trop “éphémère” dans une boîte. On ne fait que passer, pour une durée de six mois maximum, et après on retourne en cours, ce qui nous éloigne du monde du travail et casse un peu ces relations. »

« En tant que stagiaire, on est trop “éphémère” dans une boîte. On ne fait que passer, pour une durée de six mois maximum, et après on retourne en cours, ce qui nous éloigne du monde du travail et casse un peu ces relations. » - Lucas, jeune diplômé en poste dans une start-up parisienne

Aujourd’hui, bien au fait de l’utilité du réseau, Lucas regrette de ne pas y avoir prêté plus attention pendant ses études : « Je m’entends plutôt bien avec les gens, j’aurais dû faire le nécessaire pour garder contact avec un maximum de personnes. Cela ne coûte rien mais ça aurait pu m’aider. » Néanmoins, il se veut rassurant : « Je pense que le sens du réseau vient avec le temps. Plus on se sent à l’aise à son poste et plus on devient apte à étendre son carnet d’adresses. » Caroline de Kerdaniel, responsable du réseau Alumni du groupe EDH (Efap, Icart, EFJ) conseille d’accepter que le réseau fait partie de la vie professionnelle et d’intégrer le networking comme un état d’esprit général, et ce le plus tôt possible, même si ce n’est pas évident. « Que ce soit dans un cadre personnel ou professionnel, toute rencontre peut faire partie de votre réseau, il s’agit donc d’avoir en permanence le réflexe d’échanger, s’intéresser aux autres, puis de maintenir le lien… en discutant avec un commerçant de votre quartier par exemple. Vous pouvez découvrir qu’un membre de sa famille recrute dans votre domaine ! » explique-t-elle. À l’entendre, un réseau se créée partout, tout le temps, alors n’oubliez pas d’être constamment à l’affût, de nouvelles opportunités peuvent se présenter à tout moment.

« Que ce soit dans un cadre personnel ou professionnel, toute rencontre peut faire partie de votre réseau, il s’agit donc d’avoir en permanence le réflexe d’échanger, s’intéresser aux autres, puis de maintenir le lien… » - Caroline de Kerdaniel, responsable du réseau Alumni du groupe EDH

Le côté donnant-donnant du networking est difficile à assumer pour un étudiant

Olivia était, elle, bien consciente de l’importance du réseau dès son premier stage et est restée en bons termes avec ses collègues, mais déplore n’avoir jamais pu vraiment “bénéficier” de ses relations « À chaque fin de stage, on me remerciait chaleureusement pour mon travail. On m’a plusieurs fois vivement conseillé d’appeler en cas de besoin ou de proposer une lettre de recommandation , se souvient-elle. Mais à chaque fois que je les sollicitais pour cette fameuse lettre : silence radio. Aucune réponse ne suivait. Et ce, même quand je leur mâchais le travail en rédigeant moi-même ladite lettre (rires) ». Pour elle, c’est très clair, après un stage, il y a un déséquilibre dans la relation professionnelle qui rend l’échange de bons procédés compliqué. « Je pense que mes anciens maîtres de stage sont des éléments importants de mon réseau mais que ce n’est pas réciproque. Ils doivent sûrement se dire que je n’ai rien à leur apporter, qu’ils n’ont pas de temps à perdre avec moi. Je pense qu’ils n’ont pas conscience des postes que l’on pourrait occuper plus tard. J’ai l’impression qu’ils ne se doutent pas qu’un jour on puisse devenir plus que des stagiaires. »

« On m’a plusieurs fois vivement conseillé d’appeler en cas de besoin ou proposé une lettre de recommandation. Mais à chaque fois que je les sollicitais pour cette fameuse lettre : silence radio. » - Olivia, jeune diplômée d’école de communication

Bien qu’un brin pessimiste, il faut avouer que l’analyse d’Olivia a du sens. Alors, comment faire en sorte de rétablir un meilleur équilibre dans la relation ? Faut-il rappeler son ou sa maître de stage seulement quand on est devenu un employé confirmé avec un réseau qui pourrait l’intéresser ? Faut-il s’y prendre plus tôt ? « Si j’ai un conseil à donner, c’est de *régler tout cela avant de terminer son stage. Sinon après, ils passent vite à autre chose et vous oublient. N’hésitez pas non plus à entretenir les relations que vous nouez, LinkedIn est un très bon outil pour ça », suggère Olivia. Si Caroline de Kerdaniel reconnaît l’utilité des réseaux sociaux pro, elle rappelle cependant qu’il ne s’agit “que” d’outils

« Le plus important reste de tisser de véritables liens. Si vous avez énormément de contacts sur LinkedIn par exemple mais que vous n’avez pas de véritable lien avec ces personnes, cela a peu d’utilité. » Concernant l’équilibre dans la relation avec les membres de son réseau, il s’agirait pour elle de prouver qu’on peut aussi donner et pas seulement recevoir, ce qui implique d’être proactif vis-à-vis de son réseau. « Ayez le bon réflexe, quand vous avez une information intéressante, essayez de toujours penser à qui cela peut être utile dans votre réseau. Peut-être que vous avez vu passer une offre d’emploi qui correspond exactement à ce qui est recherché par une de vos connaissances, passez-lui le bon plan. Plus vous pensez à votre réseau, plus votre réseau pensera à vous en retour, c’est un cercle vertueux. »

« Le plus important reste de tisser de véritables liens. Si vous avez énormément de contacts sur LinkedIn par exemple mais que vous n’avez pas de véritable lien avec ces personnes, cela a peu d’utilité. » - Caroline de Kerdaniel, responsable du réseau Alumni du groupe EDH

Un manque de confiance en soi, le lot de tout jeune diplômé

De son côté, Léa, également diplômée d’une école de communication et actuellement en recherche d’emploi, déplore la difficulté pour un étudiant de prendre les devants et d’oser faire appel à ce réseau si précieux et impressionnant à la fois. « Je m’investis beaucoup dans les postes que j’occupe et j’accorde une grande importance aux relations que j’entretiens avec mes collègues et supérieurs hiérarchiques. D’ailleurs, j’ai souvent gardé contact avec eux et je suis sûre que si je leur demandais de l’aide, certains seraient prêts à répondre favorablement. Mais voilà, ça me dérange, et je pense que c’est dû à ma personnalité. Je ne conçois pas les relations professionnelles comme un moyen caché de me créer des opportunités. Je trouve tout cela un peu faux dans la démarche et ça me retient de me lancer. Résultat : j’ai me suis créée naturellement un réseau au fil de mes stages, mais je suis assez mauvaise pour le solliciter. » Comme le souligne Léa, notre principal ennemi dans la construction d’un réseau c’est souvent nous-même. C’est en travaillant sur soi que l’on peut, si on le souhaite, bénéficier du soutien de professionnels aguerris. C’est en osant, que l’on avance. Le culot, s’il est maîtrisé et toujours respectueux, ça paye !

« Je trouve tout cela un peu faux dans la démarche et ça me retient de me lancer. Résultat : j’ai me suis créée naturellement un réseau au fil de mes stages, mais je suis assez mauvaise pour le solliciter. » - Léa, diplômée d’une école de communication

Néanmoins, prendre soin de cultiver son réseau n’est pas forcément une démarche malhonnête ou intéressée. Le networking est basé sur une relation donnant-donnant, qui marche mieux lorsque chacun y trouve son compte. Si demander de l’aide dans sa recherche d’emploi à un ancien collègue vous paraît osé, voire opportuniste et déplacé, sachez que si ce dernier parvient à vous mettre en relation avec un employeur en recherche d’un profil comme le vôtre, cela lui permet aussi de renforcer deux de ses relations professionnelles : avec le recruteur en question et avec vous. Par ailleurs, être sollicité pour son aide peut être assez flatteur et l’on peut même apprécier se sentir utile. Léa est la première à le reconnaître, malgré son rejet de la pratique : « Si un de mes anciens collègues ou camarades de promo me demandait mon aide, je serai ravie de le faire et très flattée. »

Le réseautage n’est pas toujours conscient

Si certains, comme Léa, ne cachent pas leur gêne vis-à-vis de la pratique, d’autres, comme Thibaut, n’ont rien contre le principe, mais ne se rendent pas bien compte des différentes formes de réseau qui existent. « Si un jour j’ai besoin de faire appel à mon réseau, je n’hésiterais pas. Mais je n’ai jamais eu besoin d’un réseau jusqu’à présent, je préfère me débrouiller par moi-même » lance le jeune homme, actuellement en Graduate Program dans un grand groupe basé à Barcelone, avant de se reprendre. « Mais en y réfléchissant, c’est vrai que j’ai souvent obtenu mes stages et alternances en sollicitant des amis de ma famille et même, une fois, une voisine. Quant à mon stage de fin d’études, je l’ai trouvé grâce au réseau de mon école… Est-ce que ça compte ? » demande-t-il comme s’il s’agissait d’un jeu à points. « Ce n’est pas mon propre réseau, je ne l’ai pas construit, mais c’est vrai que connaître les bonnes personnes m’a aidé à certains moments. »

« Ce n’est pas mon propre réseau, je ne l’ai pas construit, mais c’est vrai que connaître les bonnes personnes m’a aidé à certains moments. » - Thibaut, jeune en Graduate Program

Il existe en effet différents cercles à tout réseau, qui sont tous bons à prendre mais dont on n’a pas forcément conscience qu’ils sont à portée de main. Le premier, presque inné, concerne toutes les connaissances proches, non-professionnelles, comme les membres de sa famille, ses amis, parfois les amis de ses amis. Ensuite, on trouve le réseau de notre établissement supérieur. Nos professeurs, nos camarades de promo ou d’anciens étudiants peuvent aussi faire partie de notre réseau, même si cela est plus vrai dans les écoles privées qui mettent souvent à disposition de leurs étudiants un large réseau d’anciens élèves et d’intervenants tout droit venus du monde de l’entreprise. Nous ne sommes pas tous égaux vis-à-vis de ces deux premiers cercles. À titre d’exemple, dans le secteur culturel, seuls 14% des diplômés et 5% des étudiants ont un accès facilité à des contacts d’entreprise. Ils sont d’ailleurs 37% à citer le manque de réseau comme un obstacle à l’emploi. Enfin, la forme la plus connue de networking, que l’on cultive au gré de nos expériences pros, regroupe toutes les personnes avec qui nous avons été amenés à travailler et avec qui nous gardons contact.

Derrière le terme pompeux de “réseau” se cacherait-il donc une pratique somme toute assez naturelle : celle de faire part de ses projets à son entourage et à demander de l’aide aux personnes sur qui l’on peut compter ? Si celles-ci font passer le message à leur propre réseau, qui eux-mêmes le transmettent au leur, et ainsi de suite… notre puissance de frappe s’en voit décuplée, que l’on ait soi-même un grand réseau ou non, que l’on soit étudiant ou non.

Aujourd’hui, demander de l’aide à son entourage est une pratique très répandue, elle représente même le canal de recrutement le plus efficace pour les recruteurs (Dares, 2017), alors pourquoi s’en priver ? D’autant que, bonne nouvelle, face à la crise économique et au marché de l’emploi en peine, la mobilisation des réseaux Alumni s’est renforcée ces derniers mois. De nombreux anciens étudiants, touchés par l’épreuve que traversent leurs jeunes camarades de promotion, se font un plaisir d’aider ceux qui en ont besoin. Par ailleurs, des initiatives ont récemment vu le jour pour aider les étudiants en manque de réseau à rencontrer des professionnels.

L’une d’entre elles, appelée Mentor Express, propose aux étudiants de tous horizons de rejoindre une des communautés créées autour d’un métier qui les intéresse, dans laquelle ils pourront contacter un “mentor volontaire” disposé à répondre à leurs interrogations et à les conseiller ponctuellement. Un moyen de réduire les différences de réseau entre les étudiants. Comme le démontre l’étude de Claire Bidart sortie en 2011, il existe une inégalité d’accès au réseau entre les étudiants. Le milieu social, mais aussi la filière, ont un impact sur la taille, la nature et la diversité des relations et donc, a fortiori, du réseau. Les travaux de Jérémy Alfonsi, comme pour compléter ceux de Claire Bidart, font état de la grande influence du réseau dans le parcours des jeunes.

Qu’on le veuille ou non, le réseau fait partie de la vie professionnelle, alors mieux vaut l’accepter et essayer de le développer le plus tôt possible, de façon à en ressentir les effets rapidement et peut-être même, de bénéficier d’une aide précieuse en ces temps de crise.

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Photo d’illustration by WTTJ

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